"Dans la plaine les baladins s'éloignent au long des jardins ..." (Apollinaire) ...
Arpentons, amis lecteurs, ces jardins chatoyants qui, tels maints livres effeuillés, nous content mille récits ardents dont les figures mémorables pansent nos blessures et régénèrent nos désirs... Pour que ce flux magique continue d'irriguer notre Coopérative idéale : celle des Lecteurs Réunis.
samedi 16 décembre 2017
L'EGO CHATOUILLEUX DU BOUDDHA (2)
RECIT
(...)
« Comprendre le monde est le fruit d’un
geste mental qui prend naissance dans le projet de se donner/redonner en
évocations répétées les objets perçus dans le but de les saisir de mieux en
mieux. Si on ne laisse pas à l’élève le temps nécessaire pour percevoir, puis
évoquer, pour se dire les choses, il
ne peut accéder à rien de concret, de tangible, qu’il ne transforme
véritablement en « sien ». Chacun a besoin de l’assentiment de ses
éducateurs pour édifier patiemment ce sentiment de présence à soi qui fait des
« gagnants » de tous ceux qui apprennent. L’éveil de la conscience
s’ancre dans une éducation aux cinq sens. Il est fils du temps et du sens. La
conscience que vous placez en avant de tout n’est-elle pas ici au
centre ? » conclut Candido en tournant un regard interrogateur vers
le patron.
Celui-ci est à nouveau estomaqué par la
pertinence de ce qu’il vient d’entendre. Qu’opposer à cela sinon un assentiment
en bonne et due forme ? Le maître des lieux nous bassine depuis des
lustres sur l’importance de la conscience dans nos vies, et voilà que celle-ci
est citée en exemple dans des situations centrales, quotidiennes de
l’existence. Au fond, doit-il se dire, les élèves eux-mêmes sont souvent les
mieux placés pour illustrer les vérités mises en avant par le formateur. Que
n’y ai-je pensé plus tôt ! Mais il lui faut à tout prix reprendre la main,
s’il ne veut pas donner l’impression fâcheuse de déchoir ou, à tout le moins,
de se placer en retrait. Et le voici qui entonne, façon méditant :
« J’ai vécu moi aussi des luttes et des
apprentissages dont j’ai tiré un livre : Le zen dansl’art
chevaleresque du tir à l’arc, et je confirme ce que vous venez de
raconter : apprendre relève d’un parcours intérieur que l’on s’incorpore
plus ou moins. C’est au corps de réaliser les actions de l’être par la pratique
rituelle, sans cesse recommencée, des mêmes exercices. Méditer, c’est d’abord
pratiquer. Entrer dans chaque geste en mettant l’ego face à lui-même, en y
apportant la qualité de présence, d’attention à ce qu’on est. A la manière des
gestes du jeune enfant d’avant le mental, d’avant l’ego. Tout geste achevé est
le produit d’une intention de l’être. »
« Ainsi, l’apprentissage du tir à l’arc
réside entièrement dans huit gestes à suivre. Celui de la cérémonie du thé
dans… soixante gestes accomplis. L’acte banal d’ouvrir ou fermer une porte
requiert une économie de gestes qui peut nous étonner nous-même : la seule
inconnue réside dans la pureté de l’exercice tel que nous l’habitons de notre
présence : être ou ne pas être là, c’est au fond la seule question qui
vaille. Celle qui donne du sens à notre expérience sans cesse recommencée de la
présence à… un présent permanent. »
« Dans cette façon de voir, la peur de
la mort même se pose autrement : comme une pensée sur le corps qui n’a
plus lieu d’être à partir de l’instant où je décide de vivre ma vie
autrement. »
Les derniers mots du bouddha ont clos un
épisode riche et animé du récit de notre petit groupe. Pour autant, le silence
qui suit ne trompe personne : le feu couve sous la cendre et une éruption
proche est toujours à envisager. L’air embarrassé du daron en dit long sur ses
craintes.
En attendant, chacun est reparti vaquer à
ses samus préférés. L’exercice a le
mérite de nous recentrer sur l’agir des corps qui vient d’être vanté, justement.
Ceux-ci entament un ballet dont ils ont le secret : un tel s’absorbe dans
le maniement séculaire de la serpe ou de la faux, celui-là s’exerce aux vertus
purifiantes d’un débroussaillage en règle, cet autre encore aux précisions
chirurgicales d’un binage millimétré. Toute ressemblance avec des scènes
collectivistes bien connues ne serait que pure coïncidence, comme on dit. On
n’est quand même pas au kolkhoze !
De loin, on peut apercevoir, se découpant
dans l’encadrement d’une fenêtre, la silhouette bonhomme du bouddha en
contemplation devant la vision apaisante de ses méditants en pleine action… Les
corps que nous sommes, disait-il… L’attitude de notre mentor évoque celle d’un
bon père de famille satisfait de veiller sur son petit monde familier. Les
clichés paternalistes ont la vie dure.
La transition s’amorce tout naturellement
avec la méditation à suivre. Force est de constater que les uns et les autres
prennent de plus en plus de liberté avec les rites propres à la vie dans le
dojo. La promesse d’un allègement des signes religieux n’est pas tombée dans l’oreille
de sourds : les courbettes se font plus discrètes et les clins d’œil
complices en disent long sur un lâcher prise qui, au fond, s’avère parfaitement
conforme aux directives du boss : il suffisait simplement qu’il daigne
enfin se les appliquer à lui-même !
C’est un bouddha plutôt détendu qui pénètre dans
le dojo, même si ses épaules se sont un peu voûtées depuis notre dernière
méditation. Le voilà qui s’assoit en maître de cérémonie, saisit les
clochettes, prend le temps d’un regard intérieur et donne le signal
d’introduction à l’état de respiration consciente.
« Installez-vous dans une posture qui
exprime l’intégrité, la dignité. Rentrez dans le rythme de votre respiration,
nouvelle et unique à chaque fois. Soyez présent moment après moment dans
l’écoulement d’une durée que vous faites vôtre. Et lorsque vous vous sentez
prêt, imaginez une montagne, la plus belle, la plus imposante des montagnes. La
vôtre. Voyez comme elle est majestueuse, indétrônable. Mesurez son assise à
l’aune de son histoire séculaire. Elle traverse le temps, se joue des saisons,
Supporte les météorologies les plus extrêmes. Imaginez les sources qui la
parcourent, les transformations minérales qui la travaillent, les mouvements
géologiques profonds qui la sculptent lentement. Et pourtant elle est toujours
là, semblable à elle-même, stable dans son apparence, immuable dans sa force
d’être. » Bon, ce coup-là, il nous l’a déjà fait ! Mais que
dire ?... La nécessité de l’éternel retour à la pratique s’impose, comme incluse
dans un paquet-cadeau !
« Lorsque vous le sentez, accueillez
la montagne en vous. Incorporez-la, laissez-la prendre forme. Intégrez-en la
puissance tranquille. Jusqu’à vous approprier son assise, d’instant en
instant. »
Dans un silence impressionnant, les corps
semblent habités par une expérience qui les dépasse : le dojo n’est plus
qu’un vaste et calme paysage granitique où chacun respire une force minérale
apte à faire resurgir en lui ses lointaines origines stellaires. Nos corps ne
sont-ils pas des composés chimiques nés d’un hasard bienveillant ?
L’air bonasse arboré par le bouddha en
réjouirait plus d’un, mais impossible d’être à la fois acteur et spectateur de
cette scène un peu surréaliste. Il va falloir un signal fort pour ébranler de
tels massifs ! Visiblement, notre mentor a réussi son coup. Bouddha :
1.
Pour ce qui est du réveil de nos corps
enmontagnés, c’est Candido qui s’y colle encore. L’idée de massif montagneux le
pousse à évoquer le Tibet, le Dalaï Lama et les pays alentour imprégnés de
bouddhisme comme chacun sait. Les yeux inquiets du boss laissent entrevoir de
nouveaux rebondissements. Il s’attend à tout, le bougre. Et il n’a pas tort.
Accordant au groupe un délai pour émerger des brumes rocheuses, voilà notre
candide qui se met à évoquer l’actualité et ses affres.
« Savez-vous que le bouddhisme, dont
nous recevons ici les bienfaits, n’est pas si zen qu’on veut bien le laisser
croire ? Ainsi, la très bouddhiste Birmanie a-t-elle le privilège néfaste
de posséder une des minorités ethniques les plus persécutées du monde. Les
Rohingyas, pourtant présents sur cette terre avant les Birmans, sont exclus de
toute citoyenneté et reclus dans un minuscule territoire. Ils sont considérés
comme sous-hommes par la majorité bouddhiste du pays qui souhaite ouvertement
leur épuration. Et c’est un moine qui a pris la direction des opérations en lien
avec le gouvernement du pays ! A l’entendre, on le sent animé d’un vrai
souci de pureté de la race ! Il ranime là de bien mauvais souvenirs qui nous
soufflent que l’Histoire bafouille dès que la raison vacille. Comment le
religieux peut-il confiner au racisme pur et simple ? La question est
posée. »
Sa Majesté rocailleuse est comme saisie d’un
tremblement de terre. Elle semble s’effriter sur ses bases. Notre bouddha de
service n’en mène pas large. La pâleur qui a gagné son visage dit le trouble de
l’homme rattrapé par la vérité nue et crue : malgré toute la bonne volonté
affichée par le fait religieux quel qu’il soit, les religions, elles, ne sont
jamais à l’abri d’excès qu’elles génèrent, même si elles s’en défendent en
clamant volontiers leur candeur et leur droit à l’exception. L’alibi dudroit canon a toujours bon dos…
De son côté, Candido poursuit : « Je
connais bien les méfaits souterrains de toute religion imposée comme une
morale, une seconde manière d’être. Les initiateurs de telles entreprises
avancent masqués par un souci du bien mélangé à un sacré qu’ils se font forts
de ritualiser à l’extrême. Le résultat est le plus souvent un enfumage qui vous
en met plein la vue et vous décérèbre allègrement sans que vous vous en
aperceviez. En réalité, ces bons apôtres sont agités en secret par les
motivations très peu catholiques du pouvoir, de l’ascendant à prendre à tout
prix sur les autres. Il y a du vrai gourou chez tous ces faux mages, vrais manipulateurs
des consciences. Ils jouent aux faiseurs de dieux comme d’autres aux faiseurs
de rois. Il est vital pour tout le monde de dénoncer leurs petits calculs
mortifères avant qu’ils ne s’insinuent dans votre vie privée. Ce n’est pas un
hasard s’ils frappent dès la prime enfance, profitant du manque de défense et
de la naïveté de publics à leur portée. Je garde la mémoire de séances épiques,
dans la cathédrale de mon enfance, où le jeudi saint donnait lieu à des
lavements de pied équivoques des enfants de chœur par l’évêque de la paroisse
qui n’était sans doute pas lui-même un… enfant de chœur né de la dernière
pluie ! Qui dira la pathologie exprimée par ces hommes ayant fait vœu de
chasteté, tentés par les jeunes chairs palpitantes, et sommés d’y résister au
mieux ! Inutile de dire que les vrais agneaux, quant à eux, n’avaient pas alors
les clés de ce jeu pervers à sens unique. »
« Comment ne pas dénoncer les religions
lorsqu’elles se laissent aller à tourner en abus leurs pouvoirs affichés, comme
des prérogatives morales qu’elles s’attribuent. Le philosophe Nietzsche a su
très bien déconstruire les fondements vermoulus de cet éternel opium des
peuples qui s’enfonce dans nos profondeurs mentales et psychologiques pour y faire
les dégâts que l’on sait. Et puis si l’on réfléchit plus avant à l’origine
du phénomène religieux millénaire, on demeure médusé : il ne reste en fin
de compte qu’une simple propension à se raconter de petits récits pour grands
enfants, et à voler dans les plumes de ceux qui s’en racontent d’autres…
quasi-identiques. Ce mécanisme du désir et de la jalousie mimétiques mis au
jour à la fin du siècle dernier par l’anthropologue René Girard – ici présent –
exprime tout du moteur pervers des excès de la fibre religieuse chez l’homme. Fausses
croyances et vraie pathologie résument un fait universel qui nous pourrit
la vie en engendrant souffrance, dépendance, aliénation et mort. »
Un long silence succède à la diatribe de
Candido et laisse notre public pantois. Messire spirite, quant à lui, s’est mis
depuis unmoment aux abonnés
absents : son visage a blêmi, son corps immobile semble comme paralysé. Le
coup est rude !
Les méditants viennent d’instiller le doute
au pays du bouddha tranquille et marquent un point incontestable.
La séance s’est achevée sur un silence
plombé qui dit le malaise provoqué par le surgissement de vieux dossiers
toujours en attente. Les monothéismes éternels et toujours en sursis en ont
pris pour leur grade. La pratique du déni, ancienne comme le monde, a ceci de
particulier qu’elle prétend enterrer les problèmes pour les placer hors de
notre vue, sans les supprimer pour autant. Un peu à la manière des déchets
nucléaires qui continuent d’être radioactifs bien après leur enfouissement. On
se cache derrière son petit doigt en espérant qu’une poudre de perlin-pinpin va
opérer magiquement la dissolution des pommes de discorde. Erreur des scories en
cours et magie pour adultes pas tout à fait sortis des brumes de l’enfance.
Notre guide paraît ployer sous
l’accablement. Lui qui pariait sur une session calme, sans heurts, bref
« zen », comme on aime à le dire, le voilà confronté à une fronde
tous azimuts de méditants – faut-il plutôt parler de militants ? – enragés.
Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé d’insuffler de la pleine conscience
dans tous ces esprits agités ! Que peut-il tenter de plus, de
mieux ?... Il nage en plein doute, le bon apôtre !
Un méditant choisit ce moment d’expectative
pour s’avancer dans le dojo. Plutôt laid, bedonnant, barbu, l’homme ressemble à
un silène, ce démon hybride, paillard, bouffon. Mais cette apparence peu
engageante ne semble pas gêner le moins du monde le nouvel arrivant,
apparemment peu soucieux des questions d’image. L’homme se présente sous le nom
de Socratès. Il explique que sa mère est sage-femme et que lui exerce en
quelque sorte un métier similaire : il accouche les esprits. Pour autant,
ce drôle de maïeuticien refuse d’être pris pour un maître – notre bouddha ne
manque pas de tiquer à cette annonce qui ne le réjouit guère ! – passe le
plus clair de son temps à philosopher en arpentantles rues, les places publiques, le centre des
cités… mais ne se réclame d’aucun système, produisant presque malgré lui de
véritables conversions ( là, notre bouddha fulmine de rage !)
Socratès dit philosopher « par
l’exemple », en faisant coïncider au mieux sa pensée, son corps et sa vie.
Notre infortuné bouddha ne se sent plus ! Effet mimétique oblige, il
avalerait son chapeau si sa calvitie permanente ne lui interdisait !
Permettre aux esprits d’accoucher de ce
qu’ils savent déjà : c’est sa maïeutique à lui, Socratès. Il se dit habité
par l’ironie, cette suprême sagacité qui se permet de clamer le contraire des
choses en s’adressant à l’intelligence des autres. L’accoucheur feint de perdre
son interlocuteur pour mieux le laisser… se trouver lui-même. Sublime
contradiction à laquelle tous ne semblent pas forcément sensibles de but en
blanc ! L’homme fait mine d’ignorer, de douter, avançant par
questionnements, tâtonnements successifs, comme sans en avoir l’air. Au fond, sa
vie est celle d’un corps qui va philosophant. Comme au fil d’un hasard
tranquille.
Etonnement dans le dojo ! Mais la
capacité de s’étonner n’est-elle pas précisément la définition de l’activité
philosophique ? Ce qui est sûr, c’est que l’ami Socratès a produit son
petit effet, gommant au passage l’impression de trouble qui prévalait au début !
Et ce sont vingt têtes de philosophes en puissance qui tournent leurs regards
interrogateurs en direction du bouddha rouge de confusion. Celui-ci vient de
perdre encore un avantage. Face à la concurrence, il nage en plein doute,
envahi d’une jalousie proprement de base ! Gare au retour d’ego !
Socratès, lui, enfonce le clou en
ajoutant : « Il faut s’efforcer de prendre de l’altitude pour
contempler les choses de plus haut, comme du sommet d’une montagne. Au fond, efforcez-vous
d’adopter le point de vue de Sirius en relativisant le réel : voilà un bon
exercice de style ! »
Là, Sa Sagacité se sent remise en selle :
l’image de la montagne, elle connaît ! Le voilà conforté dans sa propre
démarche et admis à la présence du souffle philosophique qui s’est engouffré
depuis peu dans le dojo. Bref, il se perçoit comme tout le monde, au diapason,
et cela lui redonne du punch pour la suite. Le voilà tout ragaillardi, Pépère !
Remis en confiance, notre mandarin a bien
envie d’en savoir plus sur Socratès : le personnage lui plaît par son
naturel et l’originalité de son regard sur le monde. Il l’invite tout de go à
une méditation à partager. Fine mouche, le philosophe se laisse faire, curieux
de ce qui va suivre.
Notre bouddha énonce : « J’ai
entendu toute l’énergie et l’originalité de vos luttes et je crois que je les
comprends. Mais j’avoue être un peu déboussolé par le foisonnement d’émotions
qui les anime. Vos personnalités appellent la confrontation des idées et des
actions tournées vers l’extérieur. Je vous propose de vous recentrer sur ce qui
fait votre intérieur, l’épaisseur de votre conscience. »
Docile en diable, chacun des méditants de
notre petit groupe s’installe pour ce début de méditation. « Je vous invite à
prendre une position droite et digne, ici comme dans votre vie, en considérant
d’emblée votre corps comme un allié. Efforcez-vous de faire un pas de côté par
rapport à vos schémas mentaux habituels. Nous sommes ainsi faits que nous
sommes tous habités, à tout moment, par l’ensemble des récits qui forment notre
histoire personnelle et continuent de l’alimenter grâce aux fantasmes qui nous
sont secrètement chers. Ne chassons pas d’emblée tous ces matériaux à émotions,
tentons plutôt de prendre un peu de hauteur, de distance, pour les voir passer
dans le flux qui les emmène : ceux-ci portés par le fleuve de la vie, et
nous sur la berge, observateurs étonnés, circonspects, neutres. »
La voix du bouddha a retrouvé son rythme
lent, puissant, doux et convaincant à la fois. Une sorte de paix est revenue et
plane au-dessus du groupe. Comme souvent, le chef a su reconquérir la confiance
des méditants. L’exercice ira à son terme, chacun le sait.
La discussion qui suit amorce un
rapprochement bienvenu entre notre mentor et l’ami Socratès. Celui-ci évoque
l’exercice qu’il vient de partager en le rapprochant du mode de vie des
philosophes de l’Antiquité : un dialogue en face à face, seul avec
soi-même, soit debout, immobile ou marchant, soit assis et se parlant. Et,
citant le stoïcien Epictète : « Va te promener seul, converse avec
toi-même ». Le philosophe précise qu’il recourt, lui aussi, à des techniques
fort connues du contrôle du souffle. Inutile de dire que notre bouddha est aux
anges ! Un nouveau confrère vient
de le conforter dans la démarche qu’il défend.
Socratès poursuit : « Autrefois,
c’était dans le Gymnasion que se
pratiquaient les exercices physiques et que se donnaient aussi les leçons de
philosophie. Exercices du corps et de l’âme concouraient à façonner l’homme
libre, fort et indépendant. Dilatation et concentration de soi dans un même
lieu d’apprentissage : ces pratiques visaient à un semblable idéal, celui
du sage. Elever l’esprit par la pratique quotidienne de l’exercice du corps,
c’était forger au jour le jour l’unité de l’être, le détacher de tout ce qui
s’agglomère à lui au fil du temps et qui l’étouffe peu à peu, à son
insu. Cet acte d’ascèse si cher aux Anciens est résumé par un ami à moi,
Plotin, qui écrit : « Si tu ne vois pas encore ta propre beauté, fais
comme le sculpteur d’une statue qui doit devenir belle : il enlève ceci,
il gratte cela, il rend tel endroit lisse, il nettoie tel autre, jusqu’à ce
qu’il fasse apparaître le beau visage dans la statue… »
Le bouddha ne peut s’empêcher
d’acquiescer : « Comme en méditation, c’est l’épaisseur du présent
que la conscience de soi cherche à atteindre. Celle-ci n’est rien d’autre que
la conscience de notre moi agissant et vivant dans le moment présent. »
Socratès confirme en citant le grand
empereur romain Marc Aurèle lorsque celui-ci confie : « Pour
préciser ou redresser mon intention dans l’action que j’entreprends, le destin
que je construis, je dois concentrer mon attention sur ce que je pense en ce
moment, sur ce que je fais, ce qui m’arrive en ce moment. C’est dans cet
exercice de présence à soi-même que le philosophe se sent, se sait adéquat à sa
volonté propre… » Et le penseur ajoute : « Quiconque s’est
dit : « j’ai vécu » se lève chaque jour pour un bénéfice
inespéré. Hâte-toi de vivre et considère chaque jour comme une vie
achevée. » Parole de sage.
A l’énoncé de ces paroles, le large sourire
du bouddha s’épanouit, révélateur en diable : il vient de réaliser
l’étrange similitude des démarches antiques avec la sienne propre. Voilà un
sérieux bon point d’acquis ! S’estimant conforté dans ses choix, il
s’apprête à poursuivre son programme. Sans ciller.
C’est sans compter sur l’ami Tonio, de
retour sur le devant de la scène… Il a brusquement retrouvé tous ses flux, le
gus à la jactance popu. On le sent qui susurre déjà dans les touffeurs de sa
gamberge, l’apôtre. Notre bien-aimé bonze lance un regard fixe, impavide et
pour tout dire polaire à l’empêcheur de jacter en rond. Mais celui-ci ne moufte
pas encore, tandis que notre rutilante équipe s’attend à quelque nouvelle
échaffourée du meilleur cru. Le ver est dans le fruit, prêt à remettre le
couvert pour pas un rond.
« Pour tout vous avouer, je me sens en
état de tracassage et de navrance existentielle », nous lâche soudain le
populeux gouailleur. « Ou je n’ai pas la fibre méditante, ou j’y entrave
ballepeau à vos élucubrances. Tout ça ne vaut pas tripette à mon goût ! »
Le reste de sa brillante intervention se perd en vociférations vengeresses. Il
n’aurait pas le cervelet qui décapote, l’aminche Tonio ? A moins qu’il ne
soit jalmince, tout simplement ! Il n’est pas donné à tout le monde de se
la jouer « cérébral » avec des
fantasmes à ne plus savoir où les fourrer.
Sur ce, une idée me traverse le
caberlot : et s’il lui manquait de l’émotionnel, du chaleureux, à cet
esprit chicanier ? « Hello ! le relancè-je, instillant un chouïa
de guilleret dans mon intonation. » Et, m’avançant vers lui, je lui en
serre cinq en guise d’apaisement. Y a pas dire, les gens du peuple possèdent un
instinct infaillible quand il s’agit de désamorcer des patacaisses fumeux. Et
tout de go, on rompt la glace en éclusant gaiement un godet qui traînait par là.
On gorgeonne sévère, à la langoureuse, puis le courant repasse au voltage
correct. Il a le verre facile le gus, au moins autant que la bavasse
confidente. Le môme Tonio n’attendait que ça : délurer à bloc. Alors je
l’opère dans un nuage, tout en moelleux. Les larmes nous en salent les joues,
de cette ingurgitance improvisée. Remis en fiance, le voilà prêt à se recoller
au turbin, Pépère. Il radine sans peine à son poste – dans le fond d’la salle,
comme d’hab, pour déconner plus à l’aise ! – la frime aux anges et le
blase fiérot. Pacifié, quoi… jusqu’à la prochaine !
Ce que constatant, notre poussah lui adresse
un sourire ascétique, crispé, suivi d’une mimique absolutive. Notre fine équipe
pousse un soupir de soulagement – tout intérieur, selon la consigne du taulier
– mi-rassurée mi-nostalgique de devoir remettre à plus tard les turlurades
osées qui s’annonçaient. L’épique équipée peut se poursuivre, mes
lascars !...
Encore épastrouillé par tous ces événements,
mais soucieux de bicher à nouveau les affaires courantes, le camarade bouddha
hèle notre groupe de sa voix de stentor : « Eh ! les gars, il va
falloir songer à recoller au turbin ! » s’enhardit-il, étonné
lui-même de sa hardiesse de ton. Et le voici qui ferme illico les châsses,
comme pour s’encourager lui-même à la concentration. Il est des gestes dont
l’éloquence prime le geste. L’air profondément concentré du dabe nous incite au
turf. Plus question de bavasser de ceci cela : dans quel bateau-mouche le
matou papelard va-t-il nous entraîner cette fois-ci ?...
« Portons notre attention sur le
souffle qui va et vient. Appliquons-nous à ressentir l’ensemble du corps
respirant. Chevauchons les vagues de ce souffle en demeurant dans la
conscience. » Rien à dire, nous voilà en terrain connu. « Laissez
maintenant vos pensées aller et venir sans en choisir une seule, sans rien
rechercher. Identifiez peu à peu ce flux comme une construction, un échafaudage
d’idées, de commentaires, de conseils, d’appréciations diverses, de jugements
où vous prenez position de plus en plus automatiquement. Chaque couche de
pensées vient s’ajouter à la précédente, créant une rumination intérieure qui
grossit, sans que vous en ayez vraiment conscience. Où est passé le cadre de ce
flux ? Vous ne savez plus… » En effet, on ne sait plus ! Il nous
la bâille belle le boss ! Alors selon lui il faudrait s’arrêter de
penser ? On sent notre fine équipe toute tarabustée : présentement, chacun
doit s’ébrouer du cervelet comme il peut. Je balance un coup de périscope tous
azimuts et constate que les visages semblent perdus dans leur gamberge. Sans
espoir de retour ?...
« Au secours Tonio !
Reviens ! » enjoins-je à voix basse à notre héros popu. Je le rejoins
en clopinant, histoire aussi de me dégourdir les flûtes. Mais il est en grand
désarroi mental, le chéri. Il ne déverrouille même plus ses lampions et n’en a
visiblement rien à fourbir des idées
juteuses du dabe. En sus, ça fouette la sueur prolétarienne dans son secteur !
Je le surprends à claquer des râtiches, l’aminche, pris dans une conjugaison
époustouflante de ses biscottos et de ses neurones – enfin ce qu’il en
reste ! Lors n’écoutant que mon sens social, je lui assène une monumentale
baffe dans le dos. « Caille-toi pas la laitance, mec ! » béé-je.
Sa trombine décrit une embardée digne d’un vrai passage à tabac. Ma présence
survolte sa glandaille et c’est l’essentiel. Il exécute une volte et ne dit
mot. Consent. Fin – provisoire – de l’épisode. Je regagne mes pénates à l’allure
d’un facteur rural.
C’est alors qu’une drôle de voix s’élève du
fond du dojo. Un chant à la texture mystérieuse, comme venu d’ailleurs, se met
à coloniser nos oreilles de son charme insolite. Des vocalises aux accents
surnaturels nous invitent à une plongée inédite au coeur de nos émotions.
Personne ne moufte, comme habité par l’avènement de la beauté se frayant un
chemin dans une douce et subtile effraction. Son satiné, rumeur de velours, jeu
subtil de moirures, d’irisations sonores, tout en chatoiement furtif… Comme si
la voix creusait en elle-même en quête de ses ressources, toujours plus
profond. Quelque chose d’invisible se fait jour peu à peu pour les personnes
présentes dans le dojo. : chacun s’efforce de n’être qu’oreille. Cette voix
qui chante rappelle une trompette sourde, feutrée. Elle émet des accents
androgynes, qui troublent, envoûtent.
L’homme délivre sa mélodie avec une douceur
inaccoutumée, les yeux fermés. On le sent jouer avec le silence, en faire un
allié de ses vocalises aériennes. Comme s’il apprenait à occuper l’espace sans
l’investir en totalité, en en respectant le volume sacré. Avec une façon
dépouillée de se mouvoir dans la salle, un parti pris d’élégance et de
raffinement. A quelle chimère évanouie voue-t-il son air étrange, cet ange du
bizarre ? Ne se livre-t-il pas plutôt à une exploration sans fin des
variations intimes de lui-même ? Difficile à dire.
La force de l’épiphanie en cours laisse
notre groupe sous emprise. Sa majesté ronflante affiche lui aussi un air médusé
et demeure sans voix. Chacun prend soudain conscience qu’il est entré lui-même
sans le vouloir dans un état second, quasi méditatif, sans qu’ait été prononcée
la moindre consigne, sans qu’ait eu lieu la plus infime introduction. Pouvoir
magique de la musique et des sonorités qui semblent endosser le poids de secrets
contrats passés avec l’air respiré, le vôtre et celui des autres.
Nous réalisons alors à quel point l’expérience
à la fois forte et simple qui vient de s’engager peut apporter du neuf, de
l’inédit à notre démarche. Elle met en évidence la richesse de variations
possibles des rites méditatifs que nous avons adoptés dès l’origine, et qui
nous berçaient jusque là, faisant de nous des enfants repus, rassurés de la
marche à suivre. C’est fou comme on s’habitue à tout ! Et il a suffi d’une
ballade fredonnée pour forger subitement un éclairage insolite et habiller nos
regards de questions toutes fraîches.
L’homme à la voix de velours s’avance, la
démarche souple, le corps légèrement voûté. Il a le visage ridé, parcheminé,
d’un vieil Indien des plaines, les traits parfaitement en accord avec le timbre
de sa voix, léger comme une plume. Il adresse à notre groupe un doux sourire
figé en guise de salut. Ce qui a l’effet de nous plonger encore un peu plus
dans les vapes !
Notre boss est le premier à dissiper l’effet
de fascination. On ne la lui fait pas, à Pépère !
« Bienvenue », s’entend prononcer le maître des lieux.
« Joignez-vous donc à nous si vous le souhaitez », poursuit-il. « Qui
est donc derrière cette voix enjôleuse ? Eclairez-nous, noble
étranger. »
Pour toute réponse, l’homme à la figure
christique lève son index et le pose lentement sur ses lèvres closes en
prononçant avec chaleur « Chut ! Chet !... »
II-UN FORUM DANS LE DOJO
Le
mystère plane dans le dojo. A y regarder de plus près, les traits du musicien
mystérieux, surgi de nulle part, portent les traces d’une vieillesse précoce,
tel un masque transparent plaqué sur les vestiges d’une jeunesse qui s’obstine
à ne pas le quitter. « Chet B, musicien et chanteur de jazz »,
prononce-t-il comme une évidence. « J’adore user de l’air pour faire vivre
une pulsation, en m’imprégnant de ce que cela comporte de nuances, de
variations. Mon matériau de base est le même que le vôtre ici : l’air qui
nous environne et dont nous nous gorgeons à chaque instant. »
Le dabe se montre immédiatement passionné
par le nouvel arrivant tant celui-ci semble apporter de l’eau à son moulin.
« Nous étions justement en train de nous installer pour une nouvelle
méditation », précise-t-il sans détour. « Venez et prenez place, nous
allons commencer. »
Guidé par la force de l’habitude, chacun s’installe
comme à regret, désireux d’en savoir plus sur ce méditant fraîchement acquis à
la cause. Mais ce sera pour plus tard : notre bouddha préféré montre qu’il
tient à garder la main sur l’agenda. Le voilà parti pour diriger une séance de
marche méditative.
« Marcher est une action que nous
accomplissons quotidiennement. Je vous propose de le faire en pleine
conscience. Nous allons avancer dans la pièce en suivant le sens horaire. Tenez
vos mains en shashu : le poing
gauche fermé enserre le pouce droit, la main droite couvre le poing gauche, les
poignets sont légèrement cassés mais souples. Sur l’expiration, on pousse les
deux mains l’une contre l’autre, tandis que la racine du pouce de la main
gauche appuie sur le plexus solaire. »
A l’énoncé de cette consigne à la précision
diabolique, la tension se réinstalle illico dans le dojo. Chacun est animé par
le désir de bien faire, mais tous n’ont pas la religiosité vissée à la
morphologie et on sent que l’exercice peut vite tourner au blasphème. D’autant
que le bouddha en rajoute immédiatement une couche.
« Kinhin,
c’est le zen dans l’action. Le menton est rentré, la colonne droite. On pousse
le ciel avec le sommet du crâne. Les épaules sont détendues. Le regard porte à
trois mètres environ. Chaque pas, de la longueur d’un demi-pied, est effectué
après une respiration complète, ce qui donne une impression de course de
lenteur. Pensez à la tortue de la fable ! Le commencement de Kinhin est annoncé par deux coups de
cloche, la fin par un seul coup. On débute par le pied droit. Sur l’expiration,
on pousse le sol avec la jambe avant ferme et tendue et la jambe arrière
décontractée. Le talon de la jambe arrière reste au sol ou presque : on
dit qu’une fourmi peut passer dessous. Plus on avance dans l’expiration, plus
le poids du corps se porte sur la jambe avant et plus particulièrement sur la
racine du gros orteil. A la fin de l’expiration, on relâche les tensions, on
inspire spontanément et la jambe arrière passe devant. » Débrouillez-vous
avec ça, braves gens !...
Quelques soupirs désabusés se font entendre
ici et là. J’imagine dans quel état doit se trouver l’ami Tonio ! Bon,
mais chacun se met en marche, à la manière de chemineaux prêts à tracer la voie.
La chenille se met donc en branle tant bien que mal, tanguant d’un bord à
l’autre comme un cargo ivre d’espaces marins.
En tête, messire La Gonfle arbore une mine
du meilleur effet : ses yeux mi-clos et sa bouche lippue évoquent le
crapaud de nos contes enfantins. Ses mouvements de bouche appliqués
accompagnent une marche lente, peu naturelle et pour tout dire pataude. Mais il
y croit le bougre. Comment pourrait-il faire autrement, lui qui vient d’énoncer
une consigne à dormir debout ! Il me rappelle le mécréant chanté par l’ami
Georges Brassens, troubadour joyeux des infidélités ordinaires – ou des
fidélités crédules : « Mettez-vous à genoux, priez et implorez,
faites semblant de croire et bientôt vous croirez ! » Eh quoi !
La méthode Coué, on n’a jamais rien inventé de mieux pour squeezer les problèmes,
non ?
On est en tout cas à mille lieues du moment
d’enchantement qui a précédé. La ballade en clair obscur que nous a offerte
Chet le jazzman chante encore dans les têtes. Et c’est sans doute ses effets à
elle, a contrario, qui nous aident présentement à composer une chenille
acceptable. Côtoyer l’harmonie vous aide à planer physiquement au-dessus des
exigences les plus rationnelles, les plus pratiques. D’habitude c’est l’âme qui
plane sur le corps, là c’est l’inverse.
Notre file ondule, ondule, ondule encore,
dans un flux qui semble ne jamais devoir se tarir. Une sorte de mouvement
perpétuel qui accouche de lui-même à chaque instant, sans travail apparent,
sans frottement, presque sans effort sinon quelques ahanements poussés ça et là
par quelque hérétique à rééduquer d’urgence. Du matériau tout trouvé pour la
compétence du patron.
Le retour au bercail s’annonce tout en
rondeur tant les visages expriment une langueur qui confine à l’anesthésie. Ce
que voyant, notre sachem roule des yeux : on lit dans son regard la
satisfaction candide de la tâche menée à son terme. Sire bouddha est au comble
de la félicité. Qui a dit que le zen était réservé à une élite ?!... Un
seul bémol à son incurable optimisme : un petit groupe de dissidents,
visiblement sous l’effet d’une trop grande concentration, n’a pas vu à temps la
file amorcer son ultime virage vers l’intérieur du dojo et se dirige tout droit
vers le couloir de sortie, façon « moutons de Panurge » appliqués.
Ils nous font l’équivalent gestuel du coup du lapsus linguae : l’erreur énorme des élèves appliqués, voulant
trop bien faire et finissant par se vautrer dans l’incartade et l’égarement. La
bourde et l’inadvertance mènent tout droit à l’errance programmée. C’est encore
raté pour la note maximale à laquelle aspirait notre bienheureux guide !
Décidément, le zen n’est pas une science
exacte, mais bien une expérience à l’image de la vie : soluble dans
l’essai et l’erreur. Voilà qui est rassurant, au fond, et met l’exercice à la
portée de tous, béotiens comme spécialistes. Tout est toujours à recommencer à
chaque instant. Egalité absolue face à notre présence au… présent !
Chacun finit par regagner sa base dans un
état plus ou moins éprouvé. Mais l’exercice a laissé une impression positive
dans l’ensemble. Les méditants en ont gardé la sensation d’une activité
exécutée en groupe et en lenteur, deux termes qui ne cohabitent pas toujours
dans l’harmonie.
Notre chef préféré se montre positif malgré
les a peu près enregistrés vers la fin de la séance. Mais cela ne l’empêche pas
de trouver son groupe de plus en plus hétéroclite, déconcertant, imprévisible.
Il avoue être souvent pris de court, lui qui adore se laisser bercer par la
toute-puissance des choses qui ronronnent. On sent un zeste de lassitude
s’immiscer sous ses paupières alourdies. Bref, le boss a le seum, qu’on se le dise ! Et c’est
avec un soulagement dans le ton qu’il envoie les méditants se livrer aux samus d’usage. Allez, tous au boulot, ça
me fera des vacances ! semble exprimer sa voix fourbue.
Notre groupe s’organise dorénavant selon les
affinités révélées par les personnalités de chacun. Chet, le dernier arrivé,
opte pour une solution très personnelle selon la devise qu’il nous énonce sans
l’ombre d’un scrupule : « Il faut trouver quelque chose qu’on aime
vraiment et faire cette chose-là mieux que personne.» Choix lumineux,
imparable, même s’il fera sans doute tiquer la direction, toujours soucieuse
d’ordre, de discipline et d’alignement dans l’action.
Joignant le geste à la parole, notre crooner
préféré se pare de sa belle trompette cuivrée dont il égraine quelques accords
avant de se livrer au jeu subtil, lancinant, d’une première ballade. Les
boucles de notes cuivrées gonflent et refluent comme des vagues successives,
épousant nos états intérieurs. Notre petit groupe demeure scotché autour du
souffleur sans demander son reste. Et c’est une aubade improvisée qui se joue
là devant le dojo, à l’ombre des arbres du parc. Moment magique que celui
offert par Chet à ses nouveaux amis. Les esprits se détendent à l’unisson des
corps mis d’autorité au repos.
Pourtant, le moment reste problématique,
puisque la règle du lieu, édictée dès le départ, veut que le silence soit
respecté dans l’enceinte du Centre. Comment va réagir notre mentor à ce qu’il
peut légitimement prendre pour une provocation organisée ? La réponse ne
se fait pas attendre. Au bout de quelques minutes, on entend – plus qu’on ne
voit d’abord – les volets extérieurs de la chambre du bouddha s’ouvrir dans un
souffle de fureur et laisser échapper ces mots, entre tirade théâtrale et
injonction farouche : « Silence dans le jardin clos !! »
La
chape de plomb qui s’abat sur notre collectif suite à l’incident dit assez l’embarras
de chacun. Mais chute en embûche ne vaut pas culpabilité pour autant. A ce
moment du stage, tous les méditants peuvent se targuer d’avoir joué le jeu
loyalement. En s’accordant une petite pause inopinée, ils ne font qu’instiller
un zeste de pleine conscience dans leur vécu du présent, appliquant ainsi à la
lettre l’enseignement distillé par sa Suffisance éclairée ! Quoi de plus
naturel ?...
Notre petite équipe opte aussitôt pour un
débat démocratique improvisé. Socratès rappelle le mot d’un collègue à
lui : « Sans la musique, la vie serait une erreur. »
Gaston B se dit ravi de se retrouver plongé dans sa chère nature, assurant
qu’il sent venir, hélas, un temps où les enfants des cités surpeuplées seront
élevés hors sol et ne sauront bientôt plus à quoi ressemble un brin d’herbe ou
un insecte. Simone de B s’insurge de son côté contre le pouvoir machiste des
religions, imaginant la « positive attitude » d’une femme à la place
de notre bouddha emberlificoté. Tonio en appelle à la mise en place de petites
pauses réparatrices et conviviales. Et Jacques T le cinéaste-acteur conclut sur
quelques entrechats de sa composition, en guise de pied de nez au maître des
lieux : « Nous sommes corps d’abord » ! Le reste de la troupe ne dit mot. Consent.
Les samus ordinaires sont illico
renvoyés à des calendes plus favorables, et notre nouveau – bon – génie musical
reprend sa ballade cuivrée comme si de rien n’était.
L’heure passe comme dans un songe. Les
esprits planent, les corps s’apaisent, les mémoires oublient : nous ne
savons bientôt plus pourquoi diable nous sommes ici et ce que nous y faisons.
L’ami Tonio est aux anges : « On n’est pas bien, là, à s’aérer
les neurones ? » gouaille-t-il tout fiérot. « Il commençait à
nous courir sur le poiluchard, ce gonze soporifique ! A force de jouer les
cheftons à la gomme, l’allait tout droit dans l’mur, le bon apôtre ! On a
beau tutoyer le 21e siècle après JC, certains se prennent encore
pour Dieu l’père en croyant toujours que ça va marcher ! », lance le
primesautier popu. Notre petit groupe se montre tourneboussolé par cette
intervention. Loin de galvaniser les troupes, la diatribe de Tonio part à
derche. Il y a loin du grand gueulard à l’amateur éclairé. Quoi qu’il en soit,
je suis prêt à parier que lors de sa prochaine apparition, le dabe sera loin
d’arborer un air jubilatoire incitant au pardon ou à l’optimisme. Wait and see…
Nous en sommes là quand une clameur s’élance
du côté de la chambre du boss. Un vrai cri de fureur propre à dissiper les
somnolences comme à aviver les inquiétudes. Le voilà qui radine ses pompes,
le regard en pétard, visiblement prêt à s’agiter du bocal, ou à émettreinarticulations et confusions, qui
sait ?
Eh non ! Autant pour nous. Loin de
déraper de la matière grise, notre bouddha adopte le ton grandiloquent du chef
avant l’assaut : « Ce lieu n’est pas dédié à la musique mais à la
méditation ! Je vous prie donc de regagner sans attendre les postes de vos
samus comme notre règlement le
prévoit. » Le gonzier a la paupière tombante mais l’œil furibard. La
situation est en train de tourner en béchamel. Prudent, le groupe vote une
retraite stratégique en bon ordre. Chacun opte pour une salutaire suspension de
séance. Seul demeure sur place notre jazzman faiseur de musique qui, laissant
ondoyer ses phalanges sur les clés de son instrument, semble avoir fait sienne
la formule du penseur Lévinas : « La caresse consiste à ne se saisir
de rien. » Il ne s’en laisse pas compter et joue bravement de ses pistons,
ce fier génie de l’évasion. Est-il adepte de la beauté du diable ou tout
bonnement allergique à toute sommation osant briser son inspiration ? Peu
importe. Fi des discours institués comme des injonctions qui en
découlent ! La liberté n’est pas un vain mot, camarades !
Va-t-on tout droit vers une révolte en
direct des kolkhoziens du zen ? La posture que nous sommes tentés
d’adopter mime plus que la simple singularité. Elle va aussi précisément dans
le sens de la démarche zen telle que nous la délivre notre cher bouddha depuis
l’origine. Chacun sent bien la force du paradoxe soulevé : pas de
rencontre harmonieuse possible de soi par soi sans un arrière-fond
d’émancipation, voire d’impertinence. L’irrévérence nous guette aussi sûrement
que ne l’a fait jusqu’à présent le sérieux de notre adhésion interne à la voie
proposée par notre mentor. Malgré nous, notre désir d’émancipation se met à
tutoyer l’irrespect, mais en tentant d’exclure tout dérèglement excessif,
coupable à nos yeux. Recherche d’autonomie : oui, laisser-aller :
non. Un air de libre-arbitre plane dorénavant dans le dojo, laissant entendre à
Sa Suffisance que rien ne sera vraiment plus comme avant.
Comment va réagir le bouddha à cette
nouvelle donne qu’il n’avait sans doute pas prévue ? Là est la question
qui ne manquera pas d’inspirer la suite de notre stage. Chacun attend la suite,
comme figé dans ses pensées, incertain de ses propres attentes. On a regagné
sagement nos tapis de méditation, en état d’expectative. Le dabe tarde à
pointer sa silhouette familière. Nul doute qu’il ait senti que les cartes
devraient se rebattre d’une façon ou d’une autre. A ce moment, sa réaction est
imprévisible.
Il finit par apparaître dans le couloir
donnant sur le dojo. Ses épaules se sont tassées, l’air paraît accablé, la mine
renfrognée. C’est le bouddha des mauvais jours qui fait son entrée dans la
salle. Pourtant, si la posture de l’homme inspire plutôtla tristesse et le dénuement, c’est d’un air
décidé qu’il se dirige vers le petit autel orné de l’icône bouddhiste. Il prend
tout son temps pour raviver la flamme du lumignon posé sur la tablette. Puis,
reculant d’un pas, il s’incline d’une très lente révérence devant l’icône.
Bluff ou provocation ? L’ire nous chatouille !
Ayant gravement regagné son tabouret de
méditation, il amorce un regard circulaire austère, solennel, à destination de
notre assemblée. Malgré le silence pesant, ça carbure dans les esprits. Notre
grand manitou va-t-il remettre les compteurs à zéro comme après confesse ?
Un classique. S’apprête-t-il à débiter les reproches amers, de circonstance,
aux méditants devenus pénitents le temps d’une gaffe impardonnable ? Le
silence se poursuit dans la durée, s’installe, s’étire, se pose, jusqu’à
réverbérer des ondes positives. S’il n’y a pas de vie valable sans musique, son
contrepoint le silence tient aussi du luxe sacré : c’est bien la leçon
qu’est en train de nous administrer Sa Sérénissime Grandeur en guise de saine
réaction à nos écarts de mortels ingrats.
Succédant à une éternité de vide, une voix
étonnamment calme, issue du fond de l’air impalpable, nous invite à porter
notre attention sur le rythme de notre respiration : inspir/expir. Nous
voilà réintégrés de plein pied dans l’esprit du zen qui apaise. Nous
replongeons aussi avec délices dans l’épaisseur déjà entrevue de notre
conscience. C’est un voyage neuf qui recommence à chaque tentative. Reprenant
les images du lac, nous sommes invités à nous couler dans l’immobilité sous la
surface, loin de l’agitation et des eaux tempétueuses du ressentiment. La voix
nous invite à nous mettre en présence de ce vaste réservoir de pleine
conscience lové quelque part en nous, dans le secret d’un être qui nous
contient en totalité. Elle nous incite à adopter une vraie compassion envers
nous-même, nous plaçant au cœur des égards pour soi comme pour les autres. Le
monde ne s’en sortira pas sans un réel climat d’empathie, de gentillesse. Notre
inspirateur en zénitude vante l’équilibre nécessaire à chacun pour lutter
contre les angoisses de la vie. Il parle des circuits cérébraux que nous
mettons en place très tôt dans nos existences : sans le savoir, nos forces
comme nos vulnérabilités pré-câblent notre système neuronal, pour le meilleur
comme pour le pire. Et nous sommes vite embarqués vers l’un ou l’autre si nous
n’y prenons garde.
« Nous avons touché les limites du
système. Partout, la société de performance, de consommation, d’égoïsme,
s’effondre. A nous de redécouvrir les vertus de l’altruisme, de la compassion,
de la bienveillance, de la douceur. La parole sur la gentillesse se libère.
J’ai toujours pensé que c’était une vertu immense. Les avancées scientifiques
prouvent aujourd’hui que nous en avons un besoin biologique. A nous de
choisir ! »Gentillesse…
Gentillesse… Voire !
L’épisode en cours s’achève sur une note de
gravité à mi-chemin entre autonomie et empathie. Méditants : 1,
Bouddha : 1. Equilibré, le match renaît de ses cendres.
Un bien curieux personnage fait son entrée
dans le dojo ce matin-là. « Chef indien Seattle », se présente-t-il.
L’homme a le port noble, le ton grave, pondéré, des sages. « Comment
peut-on acheter ou vendre le ciel, la chaleur de la terre ? me suis-je
demandé tout haut lorsqu’il en a été question avec les pionniers blancs venus
coloniser nos espaces primitifs. Si la fraîcheur de l’air et le murmure de
l’eau ne nous appartiennent pas, comment peut-on les vendre ? Pour mon
peuple, il n’y a pas un coin de notre terre qui ne soit divin. Chaque clairière
et chaque insecte bourdonnant sont sacrés aux yeux et dans la mémoire de ceux
de mon peuple. »
Notre petite assemblée semble impressionnée
par ces paroles frappées au coin du bon sens comme d’une vraie spiritualité.
Une voix poursuit : « Mais que d’eau a coulé depuis qu’elles ont été
prononcées… sans être entendues ! Il faut nous pincer pour nous dire que
nous ne rêvons pas, hélas ! A quoi ressemble notre terre contemporaine
livrée aux dérèglements de ce que nous nous sommes nous-mêmes résolus à nommer
l’anthropocène ? Autocritique ou autodérision ? Certaines vérités
sont si dures à voir en face ! »
Surprise, c’est bien notre bouddha qui vient
de s’exprimer ainsi, donnant lui-même un nouveau coup de canif à la règle
instituée du silence dans le dojo. Chacun y voit l’effet de l’épisode précédent
qui a couronné la prise d’autonomie de notre groupe. Et le résultat d’un climat
de confiance accru qui règne parmi nous. Jusqu’à quand ?
Nous sentons tous qu’il faudrait une parole
élevée, compétente, autorisée, pour faire écho à ce que vient d’énoncer le chef
indien. C’est l’anthropologue Charles D qui s’y colle. Il nous explique qu’il y
a des mécanismes universels qui permettent de comprendre nos croyances, des
mécanismes aussi naturels que nos manières de voir, de marcher, de respirer. C’est
comme si nos idées se diffusaient à la manière de virus s’incrustant en nous
pour ne plus en repartir et y laisser des traces physiologiquement inscrites, à
transmettre aux générations qui nous suivront. Charles D poursuit son
exposé : « Comment firent les premiers hommes pour survivre dans les
cavernes, avant de partir en quête d’autres univers à découvrir ? Et les
Mayas dans leurs forêts primitives ? Le peuple Inuit perdu dans ses
immensités glacées ? Il y a là pour le moins des mystères qui taraudent
nos vérités ordinaires ! Quelle confiance dans leur milieu naturel et dans
leur propre existence ont animé ces humains ? On sait que le cerveau
de l’homme s’est transformé, évoluant lentement au gré des aventures qu’il a
traversées comme des milieux qu’il a colonisés. A chaque fois, ce sont de
nouveaux neurones, de nouvelles connections qui se sont créées, fournissant aux
chercheurs d’aujourd’hui des preuves que l’homme est capable de réagir et de
s’adapter physiologiquement à nombre de cadres de vie se proposant à lui. »
René G, en spécialiste du phénomène
mimétique, prend le relais de Charles D : « L’Histoire contemporaine
nous montre toute une gamme de comportements humains dont certains nous
surprennent ou nous inquiètent même parfois. Comment expliquer aujourd’hui les
réflexes meurtriers qui semblent habiter les Islamistes radicaux, à l’image des
acteurs des totalitarismes et des fascismes ? Au nom de quoi ces gens
s’autorisent-ils à éliminer leur prochain avec un sadisme, une hystérie qui
semblent leur échapper autant que les transcender ? Quels schémas
narratifs ont pu coloniser leurs malheureux cerveaux ? La question se pose
de toute urgence : quelle réaction leur opposer tant que l’on n’a pas
compris ces mécanismes ? Ne peut-on supposer que la violence et le
sacré reposent sur des récits culturellement satisfaisants, réussis, au nom desquels
leurs auteurs ont envie de s’investir, jusqu’à se sacrifier eux-mêmes ? Pour
nous, démocrates, si leurs pauvres têtes paraissent bien malades, c’est d’abord
parce que nous relevons d’un système de valeurs élaboré autour des idées de raison,
de respect, de liberté et de progrès, qui se sont peu à peu inscrites dans nos
esprits et, sans doute aussi, jusque dans la physiologie de nos cerveaux.
L’expérience millénaire des générations d’Islamistes radicaux est tout
autre : au-delà du tabou ordinaire de la jubilation guerrière, elle est
imbibée d’expériences extrêmes tournant autour de croyances aveugles les
dépassant et menant à l’autosacrifice comme réflexe quasi ordinaire. La
violence et le nihilisme ne seraient-ils pas devenus, avec le temps, leurs
vertus morales à eux ? Comble du renversement des références – de notre
point de vue ! »
« Au fond, cela ne reviendrait-il pas à
avouer que ce qui attire dans toute idéologie quelle qu’elle soit, c’est la
gloire, l’enthousiasme, et la transcendance de soi proposés comme but, comme
projet commun ? Voici un cocktail gagnant à tous les coups : c’est ce
que semble nous apprendre, hélas, une vision réflexive de l’Histoire en
marche ! Comment expliquer autrement la séduction mortifère opérée sur des
milliers de jeunes esprits embrigadés ? Les traditions sur lesquelles ils
s’appuientontprogrammé leurs connexions pour une bataille
aveugle, à mort, que nous ne pouvons appréhender avec nos esprits formés à la
démocratie et à l’ouverture ! »
« Les illusions religieuses représentent
des vecteurs de choix pour allumer la mèche de barils de poudre prêts à
exploser depuis longtemps. Jouant chacun pour leur propre compte, les
monothéismes prétendent depuis toujours posséder la seule et unique vérité
transcendante possible, à l’exclusion des chapelles concurrentes, rapidement
taxées d’infidélité, de non conformité. Toutes ces croyances ont en commun une
même folie : obéissant à des fantasmes intuitifs, elles sont irréductibles
à la raison, mais prêtes à soutenir corps et âme tout récit culturellement
« réussi », c'est-à-dire capable de se répandre à la manière d’un
virus contagieux. La fin des fins, c’est de triompher. Peu importent les
moyens. »
« Le lieu commun le plus pratique de la
transcendance de soi devient la transcendance tout court, malaxée, manipulée,
hystérisée. L’efficacité nécessite les voies les plus brèves, les formules les
plus frappantes. L’aspect cognitif des religions se borne le plus souvent à faire
croire à des idées absurdes. Les extrémistes meurtriers d’aujourd’hui
ressemblent comme des frères à ceux de nos guerres de religion : leur seul
programme se résume dans un joyeux étripage du voisin, même si celui-ci lui a
offert son hospitalité historique ! Le feu de Dieu purifiant les âmes a
bon dos : il sert de cache-misère à la bêtise qui colore toute religion
lorsqu’elle se réduit au martelage primaire de dogmes et de rites aveugles.
Derrière l’hystérie des culs bénis se cache la soif de pouvoir sur les
consciences, incluse dans toute religiosité virant au fanatisme. Le fait
religieux – respectable en lui-même – s’est depuis longtemps absenté de tels
comportements, abandonnant à leurs éructations de nouveaux analphabètes sans
repères humains. »
« Pour eux, nos démocraties abouties
ont fini de faire rêver, puisque nous ne serions plus prêts à tout sacrifier
pour préserver nos idéaux – pourtant longuement acquis au cours de notre
Histoire. C’est bien pourquoi il nous faut relever le défi, remonter à l’origine historique de nos propres
récits, les ré-insuffler à nos générations montantes pour qu’elles s’en
imprègnent à nouveau. Il nous faut en retrouver les exigences, les devoirs à
égalité des droits. C’est en opposant notre propre transcendance morale à celle
– aussi fausse qu’affichée – des fous de Dieu, que nous pourrons le mieux leur
faire pièce ! Ne soyons pas timorés devant ces mystificateurs sans
scrupule ! »
« Face à leurs défilés de propagande,
vraies parades mimétiques de corps masculins hystérisés, opposons la mise en
scène esthétique de nos comédiens, de nos danseurs, de nos sportifs. Face à
leurs slogans braillés, opposons nos rhétoriques construites, raisonnées. Face
aux invectives issues de faux prophètes, déroulons la force tranquille, rimée,
de nos poèmes. Répondons argument contre argument : retrouvons les sources
de notre art oratoire. Luttons contre l’infiltration des psychés par des
fantasmes guerriers primaires. Nous restaurerons ainsi une autorité qui nous
revient objectivement grâce aux avancées de nos institutions démocratiques.
Contre leur retour à un VIIe siècle pré-moyenâgeux, osons faire droit à nos
avancées dans la modernité. »
« Assumons nos sociétés laïques
dissociées des excès du divin. N’oublions pas que notre propre religion
chrétienne n’a toujours pas résolu ses propres problèmes avec la légitimité du
spectacle théâtral ou cinématographique. Et là, nous n’hésitons pas à nous
battre ! Alors, un poids une mesure ! »
La
force rhétorique des dernières interventions nous laisse pensifs. Sur leur
contenu d’abord. Mais aussi sur la réaction du bouddha. C’est la première fois
que celui-ci laisse se dérouler, mieux encourage, un échange oral dépassant le
cadre de nos exercices méditatifs.
Il reprend toutefois la main aussitôt, nous
proposant un nouveau travail de méditation marchée. Chacun reprend place dans
le dojo et concocte une incursion en lui-même. Avec ce sentiment devenu
familier de s’y retrouver comme dans une maison, sa maison. Nous remarquons que
cette sensation s’est accrue depuis le début de notre initiation. Nous accordons
dorénavant un véritable espace de vie à notre conscience, preuve qu’elle est
devenue une réalité à soigner à nos yeux. Il s’agit bien de s’accueillir chez
soi en état d’éveil.
« Laissez d’abord votre esprit aller et
venir comme bon lui semble, sans s’arrêter sur rien. Vous reconnaissez là un
état de rêverie, d’errance, propre à une balade sans but, sans objet. Vous
ressentez la gratuité des choses, comme leur impermanence dans ce monde. Tout
va et file sans espoir de retour sur le même, l’identique. « On ne se
baigne jamais deux fois dans le même fleuve », énonçait Héraclite dès les
origines de la philosophie. »
« Incluez maintenant à cette promenade
sans but votre respiration régulière, en imaginant votre présence à la manière
d’un instrument de musique qu’il convient d’accorder : trop lâche, la
corde flotte et ne délivre aucun son audible ; trop tendue, elle produit
une sonorité sèche, contrainte, discordante. Recherchez donc l’harmonie dans la
régularité rassurante de votre souffle. Accordez votre propre musique
intérieure et laissez-la se dérouler dans le temps, sur un rythme tranquille,
apaisant. »
« Vous vous installez ainsi devant le
vaste miroir vide de la conscience qui contient tout, en deçà et au-delà de
vous. Vos représentations mentales, émotionnelles, se suspendent, à l’image de
chauve-souris venues s’endormir sagement sous le toit d’une grange déserte. Il
n’y a plus que vous… et vous ! Et vous demeurez là, installés dans votre
corps comme dans un asile tranquille et ouvert sur le monde. Votre regard plane
sur un présent intemporel auquel répond votre présence légère. Plus rien
n’importe que d’être là, sans attente. Simplement là. »
Le silence qui suit laisse chacun à son
exercice intérieur. Tout est dit et tout reste à faire… sans qu’il n’y ait rien
à faire. Clin d’œil gentiment adressé à ceux à qui viendrait l’idée saugrenue
de vider l’océan avec un dé à coudre ou de continuer la balade en marchant sur
la tête ! Quant à moi, je sens que je me quitte moi-même avec une désinvolture
de bon aloi. Une bonne partie de ma petite personne semble s’être absentée,
évanouie, me laissant l’esprit libre de toute attache, de toute représentation
et de tout souci de… représentation ! Un air d’évasion souffle sur le
bonhomme entier. Il n’y a pas à dire, la méditation, ça vous aère les
neurones !
Comment se croire au bout du monde tout en
demeurant en soi-même : la solution vient de nous être donnée en quelques
indications simples. Nous voilàdevenus
de vrais esprits voyageurs flottant comme en état d’apesanteur. La fin de
l’exercice voit chaque visage étonné revenir à un semblant de présence où plane
encore comme un zeste de doute.
« Vous venez de pivoter dans la
conscience », émet une voix laconique que nous tardons à reconnaître comme
celle de notre mentor. « On est encore dans les vapes », résume
parfaitement l’ami Tonio qui se remet doucement de l’opération en cours.
« Faut qu’la comprenette revienne en douce, camarades ! Y a pas
d’urgerie, hein ? quoi t’est-ce ? »
Le dabe reprend peu à peu possession de son
groupe parti en vadrouille. Il nous aime épanouis, Pépère, comme tout
initiateur qui soigne son travail : l’exercice a beau friser l’intangible,
il lui faut le retour sur investissement qui motive pour la suite. Celle-ci se
présente sous la forme d’une proposition d’écoute musicale. Chacun s’allonge à
un endroit de la salle et ferme les yeux. Après quelques minutes d’un silence
de transition, Sa Zénitude nous demande une disponibilité auditive maximale,
sans a priori. « Juste l’entendre », précise-t-il laconiquement,
désignant par ce verbe déguisé en substantif l’acte lui-même dans sa pureté
originelle.
« Ne cherchez pas à nommer cette
musique, même si elle ne vous est pas étrangère, même si des titres vont sans
doute se présenter à vos esprits. Vos repères culturels ne doivent pas faire
écran. Faites comme si vous aviez tout oublié. Comme si c’était la première
fois que vous l’entendez. »
Un air d’orchestre retentit sous le plafond
du dojo, remplissant l’air de nappes de sonorités lentes, puissantes,
aériennes. Chacun est seul avec sa musique, s’autorise à la sentir, à se
laisser gagner par elle, tout en cherchant à éliminer toute référence
d’orchestre connu, de moment et de lieu d’écoute mémorisé et se rappelant à
notre bon souvenir. Exercice aussi difficile que de désapprendre du déjà connu,
du repéré, du culturellement acquis. Il faut faire comme si on ne savait pas déjà ! Pas simple, vous
avouerez !
Le bouddha croit bon de compléter sa
consigne de départ : « Rappelez-vous notre exercice de contemplation
du parc et de sa verdure. Vous avez tentéd’appréhender des masses de feuillage indistinctes, sans nommer vraiment
chaque arbre vu, chaque plante entraperçue. Vous êtes ainsi parvenu à une
contemplation sans objet : juste le
voir ! Voici juste l’entendre. »
L’enseignement qui suit va nous en faire
voir de toutes les couleurs ! Un méditant qui répond au patronyme de
Pierre B demande la parole. Celle-ci lui est accordée sans difficulté par le
patron, conformément à son nouvel esprit d’ouverture.
« Je souhaite rebondir sur la
méditation musicale dont nous sortons. Je suis artiste peintre, et ce travail
de contemplation me parle beaucoup. J’ai commencé ma carrière en représentant
des scènes familiales dans les jardins, les vergers où la couleur verte
prédominait dans toutes ses nuances. Mon dessin des choses était figuratif,
avec le brin de naïveté qui marque souvent les œuvres de jeunesse. »
« Puis ma vision des choses et des
êtres a évolué, et avec elle ma façon de peindre. Mon trait s’est simplifié et
j’ai concentré mon attention sur les couleurs elles-mêmes. J’ai inventé mes
propres chromatismes en essayant d’en habiller mes sujets. Je me suis efforcé
de sublimer le quotidien par des visions intemporelles. »
« Insensiblement, je me suis mis à
exalter la couleur, à m’enivrer de ses nuances. Ma palette s’est recouverte de
couleurs légères, lumineuses, vraies pour moi bien que non réelles. Je me suis
livré à des fictions chromatiques que j’ai fini par traiter sous forme de
véritables cascades de lumières où la figuration des scènes prenait un rôle
secondaire. Je me suis plu à introduire du mystère dans l’apparence visible des
choses. On a même dit que je cherchais à représenter une certaine idée du temps
perdu, à la manière de mon collègue romancier contemporain Marcel P, passionné
par la recherche du temps passé. »
« Une multitude de chromatismes a
toujours habité mon regard intérieur, changeant même parfois avec le temps.
Ainsi, il m’est arrivé de retoucher en secret mes toiles une fois exposées au
musée. Guettant le passage du gardien d’une salle à l’autre, je sortais de ma
poche une minuscule boîte garnie de deux ou trois tubes, et, du bout d’un
pinceau, je tentais d’améliorer furtivement, de quelques touches, un détail qui
me préoccupait. Et, mon coup fait, je disparaissais, radieux comme un collégien
après une inscription vengeresse au tableau noir. »
Pierre B poursuit : « J’ai utilisé,
je crois, tout le spectre disponible des couleurs, à la manière dont un
compositeur peut être amené à créer des partitions usant de cascades de notes
avec demis et quarts de tons, dans un déluge chromatique similaire. Les
couleurs du monde sont illimitées, à l’image de nos sentiments et de nos pensées.
La variété de leur appréhension possède une semblable infinité. »
« Je sens que la contemplation proposée
dans ce dojo relève des attitudes à la fois ouvertes et attentionnées propres à
l’artiste. »
Dont acte.
Peinture
et musique viennent d’enluminer nos esprits méditatifs, et Sa Félicité en
semble tout réjoui, ragaillardi presque. Lui qui était obnubilé par la sacro-sainte
règle du silence vient semble-t-il de découvrir les mérites d’une souplesse
profitable à l’esprit : dans sa malléabilité extrême, ce dernier cherche
toujours à s’enrichir de nouveautés, de changements de rythme propres à nourrir
ses émotions, matériau de base de ce qui nous fait nous « mouvoir ».
Combien de fois n’avons-nous pas entendu
cette injonction presque administréecomme un calmant nécessaire : « Sois raisonnable » ?
Avec à chaque fois l’idée qu’il ne fallait pas laisser nos émotions prendre
trop de place ! Vieux tic propre à notre Occident sage et raisonneur,
suivant la voie de nos penseurs antiques dont l’exemple bimillénaire nous
poursuit encore aujourd’hui.
On se souvient que les Grecs se méfiaient de
l’hubris, cet affect de la démesure
qui troublait l’ordre social et risquait fort de leur attirer la foudre des
dieux. Les savants ont, de nos jours, établi l’origine biologique de ce vaste
réservoir d’émotions en chacun, et l’on connaît mieux son empreinte changeante
sur nos corps et nos comportements. Que faire de cette grande marmite toujours plus
ou moins en état de bouillonnement ? Quel pouvoir avons-nous sur ce mitonnage
permanent ?
La question, évoquée par l’un des méditants,
est reprise par les uns et les autres, dans une discussion qui s’annonce aussi
ouverte que passionnée. Candido avoue pour sa part être souvent débordé par ses
émotions, et donc s’en méfier, à l’image du (proto)type raisonnable décrit au
début. « Comment voulez-vous que je reste calme, quand je me sens assailli
par la colère, la jalousie ou l’anxiété ? Je sais que c’est toujours
un mauvais moment à passer, alors je patiente en attendant la fin de l’épisode,
mais sans maîtriser grand-chose ! » On le sent adepte de la méthode
Coué, notre Candide !
« Le climat, l’attitude poétiques me
sont d’un grand secours pour nommer, reconnaître et finalement observer mes
émotions », lance une voix juvénile derrière moi. C’est Arthur R, le poète
de seize ans, qui vient de s’exprimer. Joignant le texte à l’acte, le voici qui
déclame avec gravité, l’œil allumé d’une étrange vision :
« Oh !
Ne les faites pas lever, c’est le naufrage…
Ils
surgissent comme des chats giflés
Ouvrant
leurs omoplates, ô rage !
Tout
leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous
les écoutez, cognant leurs têtes chauves,
Aux murs
sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors,
Et leurs
boutons d’habit sont des prunelles fauves
Qui vous
accrochent l’œil au fond des corridors ! »
« Apprivoiser mes émotions m’est devenu
familier au fil de mes écrits : je me plonge dans ce bain dès que les
images naissent devant une scène vue, sentie, identifiée. Je prends tout sur
moi, comme un photographe de guerre au plus près de l’action : la force
émotive surgit d’une vérité crue que je tente de capter puis de décrire avec les mots du peintre ou de
l’anthropologue. J’en ressens toutes les ondes dans mon corps, comme si j’étais
à la place de ces émouvants Assis.
Comme si je témoignais pour eux ! »
René G et Charles D, les anthropologues
présents, réagissent comme un seul homme à la description puissante de cette
expérience, si bien que l’on ne sait plus lequel répond vraiment : « Oui,
le corps intervient avec force dans cette drôle d’affaire de l’impulsion
émotionnelle : si l’on pouvait placer des capteurs sur le cerveau à ce
moment-là, on serait étonné de la réaction enregistrée ! Nos émotions sont
comme nos envies : elles ont besoin de trouver une expression, de se
sentir exister, dans un premier temps du moins. Alors ça grince fort à
l’intérieur de la maison. Et on risque de se laisser emporter purement et
simplement par ce flux des passions, sans comprendre ce qui nous arrive, sans
trouver de recul. Jusqu’à ce que l’on apprenne à nommer ces mouvements
internes, à les repérer, à en saisir le sens. Cela prend du temps, mais permet
un jour d’anticiper en assistant à l’orage d’un œil plus extérieur. Comme
l’observateur regardant passer un train et se disant : « Tiens voici
la peur. Tiens voici la colère, l’angoisse… » On commence alors à vivre
plus détaché. En spectateur. »
Gaston B, en familier des quatre éléments,
nous plonge, lui, au cœur d’une métaphore toute météorologique : « Au
fond, il conviendrait d’assister à nos états émotifs comme à des passages de
formations nuageuses : légers nimbus, bas stratus, cumulus en bulles
multiformes, chaque atmosphère a ses particularités. Il en va de même pour notre
ciel émotionnel où nos impressions varient à l’infini d’un moment à l’autre. Mais
tout cela passe, ne demeure pas : c’est l’impermanence décrite par nos
ancêtres stoïciens. Il suffit d’un peu de patience pour assister à ces
évolutions sans y rajouter nos propres constructions mentales. Aiguisons donc
seulement notre attention à ces phénomènes, sans nous y plonger corps et âme.
Demeurons comme des observateurs aussi neutres que possible face à notre météo
intime. »
« Ouais, mais quand ça vous chatouille
les tripes, faut bien qu’ça sorte ! », lance l’ami Tonio sur le ton
gouailleur qu’on lui connaît bien. « Se laisser aller à dire c’qu on
r’sent, ça m’paraît un peu mieux que rien, comme disait mon cher aïeul. Moi,
j’aime trop la véritance pour laisser quimper à tout va. Quand on se sent fripé
de l’intérieur, vaut encore mieux s’brancher illico su’l’compteur à chavirance
que d’négationner en solo », hypothèse-t-il. « Et puis quand je
grince de méninges, j’aime bien qu’ça s’sache ! Sinon, j’dessèche sur
pied ! » diagnostique-t-il.
L’argoteur regagne son port d’attache sans
moufter, fier comme Artaban. Alors qu’un certain Antoine de La G intervient
avec assurance : « J’ai trouvé des similitudes frappantes entre le
domaine des émotions et mes recherches sur notre capacité à l’évocation :
dès qu’il s’agit d’entrer dans la connaissance des réalités, on ne peut se
passer de se faire des représentations, des images, de se parler et de
s’entendre dire les choses : en l’occurrence ici, il faut tenter d’appréhender
les signes intérieurs qui se présentent à notre conscience avant d’en décoder
le sens et, enfin, d’en faire quelque chose. Il est question, là encore, de
rentrer dans l’accointance profonde des phénomènes, dans leur intelligence
aiguë. Seule différence de taille : ces objets ne sont plus extérieurs à
notre vision, mais surgissent du dedans ! Familiarisons-nous avec cette vie
intime qui est la nôtre, avant d’y avoir un accès de plus en plus clair. »
La romancière Simone de B souligne de son
côté la nécessité de fouiller le caractère de ses personnages pour mieux
croquer leurs attitudes, leurs aventures. « Il y a du psychologue et
du policier chez tout romancier qui doit se fondre dans l’identité de ses
personnages, percer leur caractère, expliquer leurs comportements à travers les
émotions véridiques qu’ils sont amenés à traverser. Il faut proposer une
certaine logique au lecteur pour qu’il se coule dans la peau de ses héros ! »
Enfin, Chet, Pierre B et Jacques T donnent
leur avis d’artistes. La musique comme la peinture et le cinéma sont
directement porteuses d’émotions, c’est justement leur fonction, leur raison
d’être. Les créateurs et les interprètes endossent ce rôle unique : se
faire des passeurs de sensations pour un public qui reçoit des signes sans
forcément être capable d’interpréter la finesse des codes ou l’intention des
artistes. Rude et belle responsabilité d’initiateurs pour les amateurs que nous
sommes.
Et comme pour faire le lien avec
l’expérience zen en cours, Pierre B ajoute en se tournant vers notre bouddha :
« Le lien que nous établissons ici entre esprit et art peut s’incarner dans
cette belle réflexion d’un collègue peintre, Paul Cézanne : « Le
paysage se pense en moi et je suis sa conscience. »
Pour la première fois, tous les méditants
déjà connus, identifiés, ont pu prendre la parole dans l’enceinte du dojo. Cela
réjouit visiblement le bouddha dont la voix grave énonce clairement :
« Et si nous méditions, à présent ? »
Décidément, il veut toujours avoir de
dernier mot, Pépère.
« Suspendre les émotions pour mieux les…
cerner. Comme pour les prendre à revers. Tel pourrait être l’objet de notre
méditation de l’instant. » Le bouddha s’inscrit dans la continuité de nos
échanges précédents. « Cela reviendrait à sortir du film de notre vie
ordinaire pour en devenir le spectateur curieux, attentif, à la manière du
héros de Woody Allen dans La rose pourpre
du Caire, celui-ci quittant l’écran pour passer du côté de la salle de projection. Autrement dit, et pour
paraphraser Lewis Carroll : comment passer De l’autre côté du miroir. »
Les méditant échangent des regards
médusés : il en a des références, le maître de l’assise ! Celui-ci
poursuit : « Quoi de plus libérant que de voir et de reconnaître pour
ce qu’elles sont toutes ces pulsions qui nous habitent et nous mettent en
mouvement ? Mais cela exige d’abord une meilleure approche de notre
identité physique. Je vous propose donc maintenant un scanner du corps. »
L’étonnement se lit sur les visages. Que signifie
ce langage médical dans un stage de méditation ? On demande à voir !
En tout cas, on peut dire que le dabe possède à merveille l’art incomparable du
contre-pied.
« Etendez-vous confortablement. Vous
entrez en contact avec votre respiration, régulièrement, paisiblement. Peu à
peu, installez votre attention dans la plante de votre pied gauche. Dirigez
l’air inspiré vers ce lieu précis de votre corps. Puis laissez-le remonter
avant de l’expirer. Recommencez plusieurs fois en enveloppant cet endroit aussi
chaleureusement que possible. Jusqu’à expirer une dernière fois dans votre
plante de pied en la laissant se dissoudre… »
« Portez ensuite votre attention sur
vos orteils, l’un après l’autre. Respirez dans chacun d’entre eux tour à tour,
avant de les laisser se retirer à la dernière expiration. »
Et vous remontez ainsi le long du corps en
explorant votre jambe, votre genou, vos hanches… l’abdomen, le diaphragme, les
membres supérieurs, les épaules, le visage, le crâne… Scrutez, sondez chacun
de ces lieux du corps avant de les laisser se dissoudre à votre conscience.
Constatez combien chaque point s’est réchauffé à la présence de votre
attention. Sentez le flux de la respiration traverser votre morphologie. Prenez
simplement conscience de votre unité physique, de votre totalité. Vous savez
maintenant scanner votre
corps. »
Nouveau livre paru le 27 octobre 2021
DEFENSE et USAGE de la FRANCOPHONIE par la lecture et l’écriture !
Avec « Eclats de rire », je signe son douzième projet d’écriture. Mon intention ? Faire vivre et partager dans toute sa diversité notre langue française de plus en plus cernée par un globish anglo-saxon colonisateur et délétère. Il y va de notre culture comme de notre identité !
LIGNES d'ERRE
La FORCE de l'INTUITION
LIVRE 11 paru en DEC 2020
Laisser la pensée errer : une rareté qui confine au luxe d’une temporalité désormais perdue ? Qu’est-ce que sentir, apprendre ? Rêver ? Quels liens entre qui je suis et ce que je sais ? Comment la reconnaissance peut-elle faire échec au spectre toxique du ressentiment qui agite notre village global contemporain ? Qu’est-ce qu’un réseau citoyen de savoirs partagés ? Comment le partage magique de l’art peut-il transformer notre école en micro-société bienveillante, fondée sur des rapports de confiance et de coopération ? Comment chacun.e de nous se révèle-t-il via ses œuvres singulières ? Autant de questions originelles propres à enrichir et déployer nos identités personnelles et collectives. Au bénéfice d'un lien social à raviver.
Que signifie « penser » ? Enigme non levée ! Sauf à (se) révéler, via la trace et l’entrelacs, le noble étonnement né de notre autonomie et de notre dignité. Cette question en voile une autre, connexe, touchant à l’esquisse d’une vérité sacrée, qui nous dépasse : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Et, pour éclairer nos chemins, ce viatique puissant : la poésie de l’intuition.
A VOIR SUR : edition999.info/LIGNES-d-ERRE.html
ESPRITS NOMADES
EXILS A L'OEUVRE (TEMOIGNAGE)
LIVRE 10 (paru en AVRIL 2020)
Quelle alchimie peut survenir de la rencontre improbable entre émigrés précaires et sédentaires assumés ? Ancestraux, mouvements de migration et gestes d’accueil appartiennent au cours normal de l’histoire. Leur brutale résurgence pose à nos sociétés consuméristes, hyper connectées, la question lancinante du socle des valeurs à sauvegarder.
L’expérience partagée ici, au plus près du quotidien de nos territoires, témoigne d’un échange et d’un enrichissement possibles entre des migrants contraints à la fuite et les exilés de l’intérieur que nous sommes tous à des degrés divers. Elle débouche sur l’opportunité de faire œuvre ensemble autour d’une quête et d'une estime de soi qui nous transcende. Elle nous parle de l’exil comme d’un lieu de révélation possible de cette création. Celle d’une reconnaissance mutuelle s’incarnant dans un récit commun porteur de sens.
« Un homme ça s’empêche » écrit Camus en un mantra moral sidérant. « Mon cirque est dans le ciel » clame en écho Chagall dans une vision rêvée aux parfums d’enfance. Reliant ces deux fils à son propre récit de vie, un certain Candide tente de ranimer les feux puissants des Lumières. Entre son Qui suis-je et son Que sais-je, le fils de Voltaire nous livre sa parole en mutation. De l’espace sonore avorté à celui, médité, de la feuille blanche, le geste et l’esprit rejouent leur duo idéal, nous proposant une belle leçon de vie : l’émancipation par la connaissance et l’acte d’écriture.
" LE CARNAVAL DES MIMES ", Dans l'oeil du désir mimétique
Quels liens tisser entre les attitudes du souffleur sur verre au travail, les lubies du collectionneur passionné, un orchestre d’enfants jouant sur des instruments fictifs et… une bonne tête d’équidé placide ? Quels rapports imaginer entre les arabesques d’un corps dans l’espace, les gestes de pudeur d’une femme voilée et les formes palpitantes d’une nature morte ?Quelles affinités pour figurer les feintes du poulpe mimétique, les facéties chimiques d’une comète et la fascination exercée par nos écrans connectés ?
L’imitation inconsciente d’un désir secret nous balade entre fusion et conformisme, désignant à notre insu des modèles à contrefaire. Partout et de tous temps la mimétique est à l’oeuvre. Le monde est un théâtre d’ombres où chacun consent à délaisser un original unique pour des doublures fictives. Un Carnaval des Mimes s’agite sur fond de caverne sociale. Pour le meilleur et pour le pire. Entre fiction et essai, ces courts récits de vie témoignent d’une observation réfléchie du phénomène et en présentent une vision émouvante aux colorations poétiques et philosophiques.
L'auteur inscrit son travail dans les traces de René Girard (" La Violence et le Sacré " - 1972).
Plongés dans le flux du vaste laboratoire lexical, nous assistons à l’éclosion des mots émergeant du bain révélateur de nos émotions. Dilatant nos paysages intérieurs, ils se font les témoins incarnés de nos étonnantes traversées de la nature à la culture. Origines et généalogies, formes et mythes, chroniques et métaphores, esthétique et philosophie trouvent leur port d’attache dans les dédales enivrants de la langue. Là où se révèle la part infrangible de nous-même.
Sous les fins mots, phénomènes et flux de pensée, dont les épures nous troublent, esquissent des récits mouvants, allégoriques. Ceux de nos mutations profondes, incessantes, célébrant la voie plus que la cible. Tous nos sens aux aguets, nous prolongeons l’éphémère des passages. Jusqu’à goûter l’onde qui se propage intérieurement. La vibration intime de nos émouvances.
PHILOJAZZ Petites ritournelles entre souffle et pensée
PUBLICATION
" PHILOJAZZ ",mon 3ème livre, est paru le 1er décembre 2012.
" PHILOJAZZ ", une histoire passionnée du jazz écrite au rythme de la pensée philosophique, à travers l'écoute de 25 standards de la musique afro-américaine. Quand jazz et philosophie, passion et raison, nouveau et ancien monde, savent croiser des forces complices dans une démarche commune d'appréhension du monde...
"PHILOJAZZ" sur FRANCE-CULTURE
Au "Journal de la Philosophie" de François Noudelmann
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
En vad...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrouille
En vadrouille
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS
Dans le cadre de la BIENNALE " PHOTOFOLIES EN TOURAINE ", l'auteur expose à la Bibliothèque de Beaulieu lès Loches, sur le thème de la lumière.
Place à la lumière, matériau premier du peintre comme du photographe. Lumière-matière à modeler, sculpter, transformer. Sublime glaise dont chacun peut jouer à l'infini. De l'évidence scientifique à l'esthétique picturale, la lumière surgit, rayonne, diffuse, réfléchit, colore, voile révèle. Et quand elle s'absente sur la fine pointe de ses radiations, c'est en nous confiant le vestige d'une réalité au creux même de la pensée. Convertie en essence philosophique, sa clarté en vient à célébrer la joie mobile de l'esprit. Irait-elle jusqu'à nous livrer la clé des songes ?... Fiat lux ! ... Que la lumière soit !...
ARAGON / FERRE
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps
J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles
Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent
Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune
Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'Homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais
Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon Amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante
Je passe le temps en chantant Je chante pour passer le temps
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LAZULIE
CHAGALL (détail)
CHAGALL (détail)
PARIS PAR LA FENETRE
MARC CHAGALL 1913
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
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Furtifs
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Furtifs
Furtifs
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MUSEE
MUSEE
MUSEE
MUSEE
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAU ICEBERG 1
VAISSEAU ICEBERG 2
VAISSEAU ICEBERG 3
VAISSEAU ICEBERG 4
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LE BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ...
... La tempête a béni mes éveils maritimes Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes Dix nuits sans regretter l'oeil niais des falots
... Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes Toute lune est atroce et tout soleil amer L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !...
Arthur RIMBAUD Poésies
ALBERT CAMUS "Noces à Tipasa"
Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.
L'hiver, le soir : alors, parfois, l'espace ressemble à une chambre boisée avec des rideaux bleus de plus en plus sombres où s'usent les derniers reflets du feu, puis la neige s'allume contre le mur telle une lampe froide
JACCOTTET "A la lumière d'hiver "
RENE CHAR
Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette langue inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
APOLLINAIRE " CHANSON DU MAL AIME "
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir...
... Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise...
VERLAINE / BRASSENS
COLOMBINE
Léandre le sot Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson Cassandre sous son Capuce
Arlequin aussi Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous Ses yeux luisant sous Son masque
Do mi sol mi fa Tout ce monde va Rit chante Et danse devant Une frêle enfant Méchante
Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent leurs appas Et disent : " A bas les pattes ! "
L'implacable enfant Preste et relevant Ses jupes La rose au chapeau Conduit son troupeau De dupes
Charles BAUDELAIRE
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière...
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes; Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
" UN BALCON EN FORET " Julien GRACQ
Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente Julien Gracq se fait pour nous guetteur muet des sylvestres solitudes. Le coeur de la forêt refuge et prison à la fois carrefour d'histoire à poésie de poésie à géographie. Gracq rêveur éveillé des toits et des belvédères agissant et se regardant agir dans l'épais silence des layons filant à travers bois vers le val de Meuse en contrebas. Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente où l'espace et le temps s'estompent infiniment lecture et art fusionnent étrangement ...
Paul ELUARD " L'Amour la poésie "
La terre est bleue comme une orange ...
Les guêpes fleurissent vert L'aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre Sur les chemins de ta beauté
Les idées sont des succédanés des chagrins
Marcel Proust
Au coeur des paysages s'inscrit l'étoffe des rêves comme autant de pays sages arpentés sans trêve
La langue est la peinture de nos idées RIVAROL
La plupart des gens meurent sans avoir vécu. Heureusement, ils ne s'en aperçoivent pas.
IBSEN
BLOGS AMIS La Passée des Arts
Bleu de cobalt
L'Estro Armonico
Infime est la portion de vie que nous vivons SENEQUE
Une preuve du pire, c'est la foule SENEQUE
C'est quand il n'y pas grand'monde qu'il y a grand'chose PREVERT
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
René CHAR
L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps
MACHIAVEL
On ne retrouve jamais le commencement du commencement, mais toujours l'aurore d'une vie nouvelle JANKELEVITCH
BHAGAVAD GHÎTÂ
En haut, ses racines, en bas, ses branches, tel est l'arbre cosmique immuable. Les hymnes en sont les branches. Qui le connaît connaît la connaissance.
Krishna
RIMBAUD Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond [,] À genoux, cinq petits, — misère ! — Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond [.] Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Quand, pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche, On sort le pain, Quand, sur les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie Ils ont leur âme si ravie, Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières, Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
APPRENDRE ?... UNE ALCHIMIE
Le sage montre la lune, le sot vise le doigt. La scène a valeur de fable. Déjouons-la pour mieux la rejouer. Voici que le sot présumé glisse son regard vers la face joviale de l’astre… jusqu’à le plonger sur son versant caché. Dans le secret gardé des choses, ce lieu de la conscience né de l’épaisseur de qui nous sommes. Notre apprenti – ce frère universel en puissance – se fait soudain plus sage que… le sage lui-même. La leçon a valeur de tremplin. Par où diable est-il passé ? Quels subtils chemins de traverse a-t-il arpentés ? Son parcours tient du labyrinthe mêlé, complexe, d’une gestation aux ressorts intimes dont lui seul détient les clés. L’instant d’apprendre ?... Il le nourrit d’abord d’un souffle alterné, au rythme d’un échange gazeux. Son corps et tous ses sens émergent, vestiges en nous de l’animal qui s’apprête à bondir. Sa tête aussi, sentinelle aux aguets comme un cœur qui bat. Et l’esquisse d’un geste d’attention, l’adresse d’un silence, d’une promesse de soin faite à l’objet d’apprentissage. La connaissance n’en finit pas de s’amorcer dans l’attente de son plaisir différé. Muette et patiente épiphanie. Surprise d’une promesse neuve comme un phénix. Elle n’oublie pas qu’elle est naissance toujours revisitée. Co-naissance, re-connaissance. Rappel bienvenu d’un état croisé dans une autre vie ? Savoir inscrit, toujours remémoré ? L’objet se tient là, le futur sage se sent prêt. Tout en lui vise, pointe, prévoit, anticipe. Gourmande à l’avance. Présent à soi, il sent qu’il entre en état d’initiation, en accès à cette part de lui qui sait… qu’il ne sait pas encore. Attente pleine, concentration… Et bascule. Le cœur du geste d’apprentissage advient telle une évidence longtemps retenue, contenue. A l’image d’un désir qui migre, l’instant survient où tout s’éclaire, l’espace d’un frisson qui entre en résonance avec son objet, le comprend, l’appréhende, le saisit dans sa singularité touchante. Via l’émotion, le corps et le mental réunis. Passage entre frôlement et impulsion. Force de l’évidence. Vertige provoqué et relâchement des sens. Ajustement des liens.
L’après s’annonce déjà, comme l’éclaircie suit l’ondée féconde, l’averse gonflée de ressources. En nous guette encore la vigie grisée d’une veille attentive. Avant que n’advienne le sursis né d’un trop plein de tension. Escale bienvenue que ce moment où le créateur suspend l’œuvre parvenue à son apogée. Le climax d’une attente dès lors comblée, assouvie. L’euphorie pleine des promesses du travail accompli habite l’élève, désormais initié. Tel un vin nouveau, le savoir du jour est arrivé. Rien ne sera plus comme avant. Notre tronc toujours en croissance vient s’enrichir d’une strate fraîche qui fait lien vers la totalité de l’arbre – multiples rhizomes – que nous formions déjà. Somme d’instants anciens, familiers, prêts à se réactiver à tout moment. Gisement de ressources liées à notre récit personnel, unique en son genre, inscrit dans ce que nous ne cessons d’être. Une continuité en mutation. L’apprentissage appelle la transmission, comme sous le matin qui blêmit la rosée s’attarde. Que faire d’un magot dormant ? D’un pactole froid ou d’un astre éteint ? Alors que le plaisir de savoir se dédouble, se redouble à l’infini d’un délice qui dure, s’étale, prend ses aises. La connaissance nous a transformés. Et voici que l’élève appliqué mute en professeur curieux. L’acte d’apprendre vient de trouver sa seconde vie : enseigner. Est-ce une autre histoire ? Ou la même qui lui ressemblerait comme une sœur ? De quel bois sommes-nous faits ? Notre personnalité se révèle ici en compagne accueillante qui sous-tend, anime et ravive nos apprentissages. Elle est ce lieu précieux d’une rencontre à explorer entre ce que je sais et qui je suis…
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