mardi 15 septembre 2015

Paolo Fresu - Passalento






LE CARNAVAL DES MIMES  (2)



Juste un frisson. Celui qui vous parcourt l’échine lorsque la sensation vous saisit soudain : une présence derrière la porte. Comme le sursaut d’une conscience qui vous soufflerait à l’oreille l’apparition d’une doublure fraternelle. Une rassurante copie de soi-même.

   L’imitation s’est longtemps voulue la reproduction fidèle du monde sensible et la finalité essentielle de l’art. Il ne s’agissait au fond que de copier d’aussi près que possible les apparences du monde visible. Intangible cliché ?

 
   Deux légendes antiques incarnent ce concept d’imitation né au cœur de la mimesis grecque. Pline l’Ancien narre le récit du peintre Zeuxis, capable de figurer des raisins avec tant de ressemblance que des oiseaux se mirent à les becqueter. Quant à Ovide, il raconte dans ses Métamorphoses comment le sculpteur Pygmalion, voué au célibat, tomba amoureux de la statue d’ivoire née de ses mains, qu’il nomma Galatée, et qu’une déesse rendit vivante selon ses vœux.


   Plus avant, au théâtre de sa Recherche, le jeune Marcel Proust mime ses adieux aux aubépines de Combray comme il le ferait à des jeunes filles en fleurs. De tout temps, sur les planches, la mélopée exprimée par une voix d’acteur déclarant et soupirant nous fait mimer intérieurement la modulation musicale d’un violoncelle : tension des muscles du diaphragme et comme l’écho d’une voix intérieure apte à faire vibrer en nous la corde de l’émotion. N’en va-t-il pas de même pour toute musique qui nous est chère ?

   De nos jours, saisie du réel et travail mimétique s’imbriquent avec un tel souci de réalisme que les images virtuelles qui en résultent se donnent à voir comme similaires à celles qui nous sont familières. Or leur  réalité  n’est bien souvent que le produit de notre désir. Au point que nous prenons pour vérité toute trace apparente du réel qui se donne. La réalité a rejoint la fiction. Ou l’inverse, comment savoir ?

   Alors, objets et clones d’objets : du pareil au même ? La simulation est venue se loger au cœur du contemporain. L’imaginaire, filtre posé sur le réel, a laissé place à la réalité comme source de fiction souvent plus forte que le réel lui-même. Jamais notre faculté de nous prendre au jeu du même et de l’identique n’a été autant stimulée. Jusqu’aux conflits modernes, enracinés dans des fureurs mimétiques où battent leur plein surenchères idéologiques et religieuses. Les martyrs en tout genre étalent un zèle suspect quant à leur objectif : rejoindre au plus tôt les prairies d’un Eternel hypothétique. Que n’y vont-ils seuls et sans fracas ?

   Plus mesuré, le poète propose un temps de réflexion préalable avant de passer à l’acte : mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente… Pourtant, modèles, séries, prototypes se pressent à l’appel, envahissent nos espaces communs – nos lieux communs ? – au point de coloniser les esprits. La fabrique mimétique tourne à plein régime, démultipliant l’ivresse des ego dans une obscénité irrépressible. Jusqu’aux clichés langagiers les plus éculés : ne lance-t-on pas à tout-va, dans l’espace social, des « bonne journée »… même en fin d’après-midi ? Langage avalé par une mécanique du vide, de l’insignifiant. Absurde collectivement consenti.

   Nous voilà campés dans la position de touristes volages devant l’univers simple et ordinaire des choses humaines. Il faut que la réalité ne nous oppose aucune résistance ! Quitte à outrepasser le fictif. Drôle de temps que celui qui se laisse porter par l’illusion d’une humanité en voie de duplication à l’infini. Dans l’ombre portée de nos silhouettes s’agitent de curieux doubles dansant une sarabande qui nous échappe. Nous voici mimant des rôles muets dont le sens demeure étranger à nos raisons en exil. L’ombre obsédante, le double maléfique se sont emparés de nos familiers séjours. A force de vouloir apprivoiser notre part obscure, celle-ci a subverti nos forces vives, phagocytant à notre insu notre vision du monde et jusqu’à nos désirs les plus profonds.

   Au carnaval des mimes, la réalité a détrôné la fiction.                

               
 



 
 
 
 
PAS PERDUS
 
 

L’homme investit de sa chorégraphie étrange le grand hall de la gare. Le corps s’agite, soubresaute, avec la puissance et la constance d’un ventilateur ronflant dans une immense pièce vide. Ses lèvres bougent, exécutent un discours muet, tout en intériorité. Don Quichotte moderne, il semble braver les éternels moulins d’une invisible utopie.
   Drôle de scénario qui se joue là devant nous, sous le faîte lumineux du dôme de verre. Voici une géométrie dans l’espace au cœur de laquelle l’homme – faut-il dire l’acteur qui s’ignore ? – paraît entretenir un dialogue complice avec lui-même. Un monologue nourri par sa propre mémoire. On sent comme une voix du passé sourdre de l’intérieur de ce corps battant.
   Quel invisible public l’homme prend-il à témoin au fil générique d’un récit qui s’ancre dans ses propres origines ? Son mime vibrant invoque on ne sait quelle divinité du théâtre des Anciens, nous entraîne sur les traces d’un Socrate arpentant les rues de la Cité au côté de ses disciples. Tel un daemon s’abandonnant à ses  impulsions, il est ce génial passeur initiant un dialogue sans âge de professeur à élève. Avec la pointe d’ironie propre au maître à qui on ne la fait plus, le voici qui met au jour les vertus souterraines de l’accouchement de soi par soi. Sans écrire un seul mot. Surgissement de l’espace intérieur, comme une renaissance.
   La charismatique silhouette bat l’air de ses bras faméliques. Ses lèvres palabrent au rythme de ses gestes, tout à leur effort de retenir les mots comme des bêtes indociles. Peut-être sait-il trop que tout vocable est appelé à mourir aussi, qu’il peut surgir un temps où celui-ci vient s’échouer sur les plages désertées de la langue. Comme une énorme baleine morte d’on ne sait quel manque de souffle.
   Mais il a décidé de faire vivre la parole par le mouvement, d’articuler en gestes la curieuse mimétique de son discours intérieur. A l’image de la langue signée par les sourds-muets. Cet acteur de l’étrange semble avoir fait sien l’adage selon lequel l’acte d’apprendre cousine avec la diction, la gestuelle propres au théâtre. Animer les corps comme faire sonner les mots : deux versants d’une même réalité qui perce sous l’imago, forme adulte, accomplie, qui vient d’abandonner sa mue. A la manière dont la nymphe éphémère vire lentement au papillon inattendu, insolite. A fleur de peau, à fleur de mue.
   Métamorphose. L’élève ancien appelle l’acteur nouveau. Qui tire sa substance de l’antique peau. Ensemble, il leur est donné de ranimer le souffle du sens, d’y adhérer pour de nouvelles aventures. L’osmose introuvable redevient possible le temps d’un curieux ballet dans l’espace. Derrière la gestuelle mutique, incantatoire, s’esquisse l’ombre d’un cyborg de science-fiction redevenant humain. Le temps d’en appeler aux émotions propres à son histoire singulière.
   L’ivresse d’un dialogue intérieur s’incarne dans ce désir toujours intact de mimer le monde.

 
 
 
                                    
 
 
 
 
ENTOMOLOGIE 




   Accroupi sur la moquette de sa chambre, l’enfant gracile et laborieux s’active parmi ses instruments d’apprenti sorcier. Coton, éther, filets, pièges divers. Et puis des boîtes et des boîtes encore. Petites, moyennes, grandes, en plastique transparent ou vieux carton récupéré. Un assortiment savant d’aiguilles fines pour clouer les insectes capturés. Pour les présenter, les faire beaux. Les apprêter aux fins d’exposition. Les assujettir à son désir. L’enfant s’abandonne tout entier au plaisir primitif du regard qui possède. Voir, c’est déjà tenir. Et posséder le monde.

   Le petit collectionneur découpe, fiche, colle, attribue des étiquettes. Il déploie les ailes, étale les pattes délicates, transperce les thorax, fixe les corps sans vie, avant de leur choisir un nom unique, précis, singulier. Vocable à l’énonciation magique, issu d’un très ancien logos légué par d’humaines lignées dont il se veut le descendant, l’héritier déjà méritant. A l’image de ses glorieux aînés, le petit d’homme s’érige en maître de la Nature. L’enfant ressent et savoure ce vertige si particulier d’être investi du droit tout neuf de poser des noms qu’il veut savants sur les choses et les êtres. Ivresse d’un pouvoir naissant.

   Sans la nommer vraiment, l’entomologiste en herbe éprouve une satisfaction toute primaire à ranger, classer, étiqueter ses  petites bêtes, comme il les appelle. Sensation de prendre possession de la vie, de déployer sur les choses un pouvoir de voyant. Du haut de ses neuf ans, il est déjà l’homme lige d’une nature qu’il soudoie, sur laquelle il se donne le droit de vie et de mort. Sorcier minuscule, il tient au creux de ses mains les mystères de son petit monde. Dans l’antre du savant en herbe, le petit magicien se rêve en seigneur.

   Les boîtes s’entassent, se superposent, envahissent l’espace de cette caverne d’Ali Baba, musée naturel en miniature. Mais l’espace se resserre soudain à l’échelle d’une plus grande boîte encore. L’enfant vient de saisir – pur hasard – une drôle d’image se reflétant sur une surface plastique : l’apparition fugace, subreptice, de l’immeuble d’en face, qu’il saisit pour une fois dans sa totalité. Grande boîte verticale se dressant face à la sienne, qu’il ne peut voir entièrement, mais dont il devine maintenant la silhouette imposante. Immense boîte où s’emboîtent des centaines de plus petites, abritant des centaines de petites vies dans de petites cages, de petits êtres comme lui, humains ceux-là. Toutes petites vies dérisoires à l’image de la sienne sans doute.

   Panique du jeune prédateur soudain devenu grande proie. Insecte humain tout aussi affairé que les sujets qu’il traite. Moment cruel où la vérité s’inverse, désignant d’un coup la relativité du monde.

   Au hasard d’un regard furtif, le jaillissement du sens.
 
 


CONTAGION


Epi dèmos. Elle court elle court la rumeur. A l’allure d’un virus qui se propage aux entours du dèmos de nos cités, de nos ruralités. Elle gagne par imitation, contamine par contagion, dévore par duplication, absorbe par osmose. D’un corps à l’autre, d’une tête à la prochaine, d’une émotion suscitée à une sensation reçue. D’un ordre juste à un désordre moral. Primitive, la peur s’installe, la fascination colonise, l’imaginaire grave une danse macabre sur les écrans de la conscience. Sur fond de vengeance probable, anonyme, et de mort programmée.


   D’antiques récits émergent, nous replongeant dans notre condition oubliée d’animaux humains en proie à de très anciennes sidérations. La figure épidémique modèle scènes de panique et dissolution des identités. Le doute gagne les organismes individuels, attaque le corps social patiemment édifié. La catharsis épidémique nous plonge dans le magma singulier de nos émotions originelles.

   La peur nous cloue le bec, scelle nos lèvres dans un rictus muet. On déserte le langage ordinaire, de crainte qu’il ne nous trahisse à son tour. Les mots sont pipés, comme le virus reste innommé. A défaut de l’Eden perdu, nous aspirons encore à un vague retour au calme. Chimère sécuritaire.

   Traversé par un mal sourd, ce monde-ci prend la marque infâmante du scepticisme à l’œuvre. L’épidémie fait de nous des citoyens sans ethos. Aliénés, impuissants, tributaires d’une foule anonyme dissoute dans un bouillon de culture pathogène.

   Mimant les germes malins, passions et idées prolifèrent, se répandent en échanges, transmissions, interactions. Un flux d’informations alarmantes, souvent contradictoires, électrise nos synapses à la vitesse de l’éclair. Des capteurs mouchetant les cerveaux permettraient d’exhaler la petite musique ronronnante de la rumeur colonisant nos pensées les plus intimes. Ca pense comme ça coule, en fluide.

   L’épidémie du bouche à oreille accouche d’une infernale psychose. La  rumeur en écho transforme le n’importe quoi – un fiasco, objet minimum, ordinaire, commun – en une histoire unique, singulière, qui mérite d’être racontée. L’idée, le récit, se dupliquent en écho, se répliquent à l’infini. Le fait brut est lancé comme un pavé dans la mare publique. Tel un virus, il s’accroche et court d’organisme colonisé en volonté annihilée. Le mécanisme s’active en contagion. Mots et objets se contaminent pareillement.

   Ainsi copié, dupliqué, le virus nous mène droit à l’accoutumance, à l’addiction. Tic choppé. Image en direct – tournoyante jusqu’à l’obsession – du geek multiplicateur accouchant d’une vidéo en boucle sur la Toile. L’habitude de la réception s’installe, rend disponible, et cette disposition toute neuve nous fait plus réceptifs encore. Processus exponentiel de l’avancée en réseaux.

   Dormez braves gens ! Le conte populaire apaise en nous l’enfant, redisant à satiété son apaisant récit. Le thème musical rythme nos obsessions sonorisées. La parole politique endort jusqu’à nos instincts de survie. La contagion des imaginaires est en route. Toujours en avance d’une épidémie. Répétitive, notre mémoire s’embourbe dans un terreau propice aux idéologies rampantes. Nos identités se diluent dans un murmure lancinant. Le phénomène épidémique impose un présent totalitaire à nos raisons figées.

   La pandémie souffle désormais l’affreux vent de mort du fanatisme. 
 
 
 

               

                                  VOISINS

   C’est la fête des voisins. Vieux rêve déguisé ou cauchemar récurrent que cette obligation annuelle de camaraderie urbaine, civile ? Forcément civile. Il est loisible de saisir cet instant unique d’un glissement : celui où l’injonction sympathique s’érige en gentillesse organisée. L’espace de quelques heures y suffira. Durée bénie, temps suspendu où la mitoyenneté se mue en citoyenneté.
   Voisins, il vous arrivait d’être le problème ? Vous êtes désormais la solution. Voilà que l’on vous fête. Illustre anonyme, chacun de vous devient soudain aussi célébré que le Soldat Inconnu. Riche idée que celle où l’on vous intronise, sans coup férir, au rang de « prochain » à chérir plus que tout au monde. Surtout ne pas se rebeller. On serait bien capable de nous inventer la fête du reproche.

   Voisinage. Proximité de hasard ou de nécessité, par présence objective plus que par goût réel. Habiter est affaire mentale, histoire de représentation. Etranger à son voisin, on n’en reste pas moins exposé à son regard. Vigilant ou neutre, délateur ou indifférent, absent ou attentif voisin, quintessence du voisinage. Sous votre œil scrutateur, présumé envieux, nous vous haïssons tendrement, petits big brothers omniprésents. Solidaires par obligation, nous formons avec vous la grande marmelade des hommes dans la ville, chère au poète.

   Irions-nous jusqu’à nous grimer sournoisement pour adopter votre aspect, vos attitudes ? Raser les murs, être tout comme, comble du mimétisme avoisinant. Après tout, nous infiltrer, nous glisser dans l’identité d’un autre proche permettrait de nous délester un temps de la nôtre, un tantinet routinière avouons-le. Test édifiant de mutualité positive. Belle preuve d’abandon au monde tel qu’il va.

   Voisinage, pâte molle, indistincte, à pétrir au gré de nos errances du moment. Vous êtes, voisins, le miroir de nos enthousiasmes comme de nos inconséquences. Vous figurez l’enjeu d’une vertu réputée enfin accessible, le prix de l’excellence ouvert à tous : tendre au rang de citoyen responsable. L’avoisiner à tout le moins.

   Cher voisin, tu demeures pour nous le chaînon rassurant, toujours en attente de vérification, de nos attraits collectifs. Qu’advienne la preuve de méfiance de trop et nous nous replions sur nous comme des escargots. Que tu nous attires à nouveau dans les rets communicatifs d’une ferveur de bon aloi, et nous voilà aspirés dans l’amour inconditionnel de ce prochain soudain si proche. D’une empathie qui cerne, ou concerne ?

   Comment demeurer fidèle au cœur d’une émotion avoisinante, constant dans sa culture de l’entourage ? Il y faudrait une quotidienne fête des voisins. Nul doute qu’une enquête de voisinage rondement menée lèverait nos derniers soupçons, nous redonnant définitivement le sens originel d’une sympathie légitime, d’une coopération fraternelle. De celles que l’on n’a pas envie de resquiller.

    Pour nos chers voisins, ces autres nous-mêmes, c’est tous les jours la fête !

 
 
 
 
 
SOUFFLEUR
 


Retour à la soupe primitive. La boule rouge ondoie, hésitant entre fusion et calcination, fragment arraché à une très lointaine coulée de lave. L’homme la tient au bout de sa canne comme aux rets de son regard fasciné. Son visage perle de la sueur qui accouche. Du matériau brut jaillit l’œuvre en état d’éruption. Passage secret de l’état de nature à celui de culture.

   Ce que dompte ce moderne Vulcain, c’est un lambeau de pierre de lune. Un peu du noyau des origines abandonné par le créateur au centre de la planète bleue. Vomissure d’étoile, déjection de volcan, le cœur en fusion trahit sa présence enfouie au plus profond, entre pelure et centre nucléaire.

   Par quelle magie la boule de pierre et feu mêlés est-elle en passe de se transmuer en verre cassant et transparent comme la glace ? Le souffleur en tait le jaloux secret. Il n’écoute que son poignet élastique tournant et retournant la canne creuse animée d’un souffle redevenu divin. Mimétique, son geste figure celui du musicien explorant les trésors infinis de la gamme. La main s’attarde, rêve à la pointe de son instrument. Comme celle du sculpteur affronte le marbre. Ou celle du potier modèle patiemment la pâte. Menaçante, la boule gonfle jusqu’à enfler comme une géante rouge. Retour aux origines.

   Ardents comme ceux d’un dompteur, les yeux du vulcain fixent la chose en sa métamorphose. Ils guettent, gourmands, l’instant précis du gonflement porté à son acmé, celui où la forme se fait couleur. Oranges subtils, et jaunes d’or épanouis succèdent insensiblement aux rouges de feu. Chronologie chromatique aux fins glissandi de tonalités.

   Ardent songeur, le maître verrier sait que la difficulté de son métier vient justement de l’apparente fluidité de sa matière. Faire, façonner, fabriquer, créer. Même dans l’atmosphère étouffante d’un four à porcelaine où le visiteur oisif peut croire à l’enfer, l’ouvrier actif n’est plus le serviteur du feu, il est son maître. Et si c’est une rêverie, elle est active, les armes à la main. Et puis chaque travail n’a-t-il pas son onirisme propre ? Chaque matière travaillée n’apporte-t-elle pas les visions intimes qui lui sont propres ? L’artisan le sait : on ne fait rien de bien à contrecœur, à contre-rêve. Tout en lui appelle un temps béni où chaque métier aurait son chantre attitré, son guide onirique, chaque manufacture son bureau poétique ! Heureuse utopie.

   Imperceptiblement, le verre qui tiédit offrira bientôt ses parois translucides au regard apaisé du verrier appréciant dans ses courbes épurées l’objet de son ouvrage. Ou – occurrence fâcheuse – si la pâte s’est montrée rebelle à sa fantaisie, l’artisan déçu la rattrapera en lui accordant la forme la plus facile à souffler : celle d’une flasque, synonyme d’un fiasco qu’il tentera d’oublier.

  Epuisé, assouvi, l’artisan démiurge contemple enfin le fruit de son expir. L’esprit qui anime a su inspirer son acte créateur. Et rappeler le geste fou de Prométhée subtilisant le feu aux dieux ébahis pour l’offrir aux hommes. Entre souffle, ouvrage et songe, le geste a conquis la matière.

   Et su atteindre les régions éthérées de l’âme. Anima sua.



 
 
 
 

A SUIVRE ...
 


 


   .


 
 
.