dimanche 20 septembre 2015
mardi 15 septembre 2015
Paolo Fresu - Passalento
LE CARNAVAL DES MIMES (2)
Juste un frisson. Celui qui vous parcourt l’échine lorsque
la sensation vous saisit soudain : une présence derrière la porte. Comme
le sursaut d’une conscience qui vous soufflerait à l’oreille l’apparition d’une
doublure fraternelle. Une rassurante copie de soi-même.
L’imitation
s’est longtemps voulue la reproduction fidèle du monde sensible et la finalité
essentielle de l’art. Il ne s’agissait au fond que de copier d’aussi près que
possible les apparences du monde visible. Intangible cliché ?
Deux
légendes antiques incarnent ce concept d’imitation né au cœur de la mimesis grecque. Pline l’Ancien narre le
récit du peintre Zeuxis, capable de
figurer des raisins avec tant de ressemblance que des oiseaux se mirent à les
becqueter. Quant à Ovide, il raconte dans ses Métamorphoses comment le sculpteur Pygmalion, voué au célibat,
tomba amoureux de la statue d’ivoire née de ses mains, qu’il nomma Galatée, et qu’une déesse rendit vivante
selon ses vœux.
Plus avant,
au théâtre de sa Recherche, le jeune
Marcel Proust mime ses adieux aux aubépines de Combray comme il le ferait à des
jeunes filles en fleurs. De tout temps, sur les planches, la mélopée exprimée
par une voix d’acteur déclarant et soupirant nous fait mimer intérieurement la
modulation musicale d’un violoncelle : tension des muscles du diaphragme
et comme l’écho d’une voix intérieure apte à faire vibrer en nous la corde de
l’émotion. N’en va-t-il pas de même pour toute musique qui nous est
chère ?
De nos
jours, saisie du réel et travail mimétique s’imbriquent avec un tel souci de
réalisme que les images virtuelles qui en résultent se donnent à voir comme
similaires à celles qui nous sont familières. Or leur réalité n’est bien souvent que le produit de notre
désir. Au point que nous prenons pour vérité toute trace apparente du réel qui
se donne. La réalité a rejoint la fiction. Ou l’inverse, comment savoir ?
Alors,
objets et clones d’objets : du pareil au même ? La simulation est
venue se loger au cœur du contemporain. L’imaginaire, filtre posé sur le réel,
a laissé place à la réalité comme source de fiction souvent plus forte que le
réel lui-même. Jamais notre faculté de nous prendre au jeu du même et de
l’identique n’a été autant stimulée. Jusqu’aux conflits modernes, enracinés
dans des fureurs mimétiques où battent leur plein surenchères idéologiques et
religieuses. Les martyrs en tout genre étalent un zèle suspect quant à leur
objectif : rejoindre au plus tôt les prairies d’un Eternel hypothétique.
Que n’y vont-ils seuls et sans fracas ?
Plus mesuré,
le poète propose un temps de réflexion préalable avant de passer à
l’acte : mourir pour des idées, d’accord, mais de mort lente… Pourtant,
modèles, séries, prototypes se pressent à l’appel, envahissent nos espaces
communs – nos lieux communs ? – au point de coloniser les esprits. La fabrique
mimétique tourne à plein régime, démultipliant l’ivresse des ego dans une obscénité irrépressible.
Jusqu’aux clichés langagiers les plus éculés : ne lance-t-on pas à tout-va,
dans l’espace social, des « bonne
journée »… même en fin d’après-midi ? Langage avalé par une
mécanique du vide, de l’insignifiant. Absurde collectivement consenti.
Nous voilà
campés dans la position de touristes volages devant l’univers simple et
ordinaire des choses humaines. Il faut que la réalité ne nous oppose aucune résistance !
Quitte à outrepasser le fictif. Drôle de temps que celui qui se laisse porter
par l’illusion d’une humanité en voie de duplication à l’infini. Dans l’ombre
portée de nos silhouettes s’agitent de curieux doubles dansant une sarabande
qui nous échappe. Nous voici mimant des rôles muets dont le sens demeure
étranger à nos raisons en exil. L’ombre obsédante, le double maléfique se sont
emparés de nos familiers séjours. A force de vouloir apprivoiser notre part
obscure, celle-ci a subverti nos forces vives, phagocytant à notre insu notre
vision du monde et jusqu’à nos désirs les plus profonds.
Au carnaval
des mimes, la réalité a détrôné la fiction.
PAS PERDUS
L’homme investit de sa chorégraphie étrange le grand
hall de la gare. Le corps s’agite, soubresaute, avec la puissance et la
constance d’un ventilateur ronflant dans une immense pièce vide. Ses lèvres
bougent, exécutent un discours muet, tout en intériorité. Don Quichotte
moderne, il semble braver les éternels moulins d’une invisible utopie.
Drôle de
scénario qui se joue là devant nous, sous le faîte lumineux du dôme de verre.
Voici une géométrie dans l’espace au cœur de laquelle l’homme – faut-il dire
l’acteur qui s’ignore ? – paraît entretenir un dialogue complice avec
lui-même. Un monologue nourri par sa propre mémoire. On sent comme une voix du
passé sourdre de l’intérieur de ce corps battant.
Quel
invisible public l’homme prend-il à témoin au fil générique d’un récit qui
s’ancre dans ses propres origines ? Son mime vibrant invoque on ne sait
quelle divinité du théâtre des Anciens, nous entraîne sur les traces d’un
Socrate arpentant les rues de la Cité au côté de ses disciples. Tel un daemon s’abandonnant à ses impulsions, il est ce génial passeur initiant
un dialogue sans âge de professeur à élève. Avec la pointe d’ironie propre au
maître à qui on ne la fait plus, le voici qui met au jour les vertus
souterraines de l’accouchement de soi par soi. Sans écrire un seul mot.
Surgissement de l’espace intérieur, comme une renaissance.
La
charismatique silhouette bat l’air de ses bras faméliques. Ses lèvres palabrent
au rythme de ses gestes, tout à leur effort de retenir les mots comme des bêtes
indociles. Peut-être sait-il trop que tout vocable est appelé à mourir aussi,
qu’il peut surgir un temps où celui-ci vient s’échouer sur les plages désertées
de la langue. Comme une énorme baleine morte d’on ne sait quel manque de
souffle.
Mais il a décidé
de faire vivre la parole par le mouvement, d’articuler en gestes la curieuse
mimétique de son discours intérieur. A l’image de la langue signée par les
sourds-muets. Cet acteur de l’étrange semble avoir fait sien l’adage selon
lequel l’acte d’apprendre cousine avec la diction, la gestuelle propres au
théâtre. Animer les corps comme faire sonner les mots : deux versants
d’une même réalité qui perce sous l’imago,
forme adulte, accomplie, qui vient d’abandonner sa mue. A la manière dont la
nymphe éphémère vire lentement au papillon inattendu, insolite. A fleur de
peau, à fleur de mue.
Métamorphose. L’élève ancien appelle l’acteur nouveau. Qui tire sa
substance de l’antique peau. Ensemble, il leur est donné de ranimer le souffle
du sens, d’y adhérer pour de nouvelles aventures. L’osmose introuvable
redevient possible le temps d’un curieux ballet dans l’espace. Derrière la
gestuelle mutique, incantatoire, s’esquisse l’ombre d’un cyborg de science-fiction redevenant humain. Le temps d’en appeler
aux émotions propres à son histoire singulière.
L’ivresse
d’un dialogue intérieur s’incarne dans ce désir toujours intact de mimer le
monde.
ENTOMOLOGIE
Accroupi
sur la moquette de sa chambre, l’enfant gracile et laborieux s’active parmi ses
instruments d’apprenti sorcier. Coton, éther, filets, pièges divers. Et puis
des boîtes et des boîtes encore. Petites, moyennes, grandes, en plastique
transparent ou vieux carton récupéré. Un assortiment savant d’aiguilles fines
pour clouer les insectes capturés. Pour les présenter, les faire beaux. Les
apprêter aux fins d’exposition. Les assujettir à son désir. L’enfant
s’abandonne tout entier au plaisir primitif du regard qui possède. Voir, c’est
déjà tenir. Et posséder le monde.
Le petit
collectionneur découpe, fiche, colle, attribue des étiquettes. Il déploie les
ailes, étale les pattes délicates, transperce les thorax, fixe les corps sans
vie, avant de leur choisir un nom unique, précis, singulier. Vocable à l’énonciation
magique, issu d’un très ancien logos
légué par d’humaines lignées dont il se veut le descendant, l’héritier déjà
méritant. A l’image de ses glorieux aînés, le petit d’homme s’érige en maître
de la Nature. L’enfant ressent et savoure ce vertige si particulier d’être
investi du droit tout neuf de poser des noms qu’il veut savants sur les choses
et les êtres. Ivresse d’un pouvoir naissant.
Sans la
nommer vraiment, l’entomologiste en herbe éprouve une satisfaction toute
primaire à ranger, classer, étiqueter ses petites bêtes, comme il les appelle. Sensation de prendre
possession de la vie, de déployer sur les choses un pouvoir de voyant. Du haut
de ses neuf ans, il est déjà l’homme lige d’une nature qu’il soudoie, sur
laquelle il se donne le droit de vie et de mort. Sorcier minuscule, il tient au
creux de ses mains les mystères de son petit monde. Dans l’antre du savant en
herbe, le petit magicien se rêve en seigneur.
Les boîtes
s’entassent, se superposent, envahissent l’espace de cette caverne d’Ali Baba,
musée naturel en miniature. Mais l’espace se resserre soudain à l’échelle d’une
plus grande boîte encore. L’enfant vient de saisir – pur hasard – une drôle
d’image se reflétant sur une surface plastique : l’apparition fugace,
subreptice, de l’immeuble d’en face, qu’il saisit pour une fois dans sa
totalité. Grande boîte verticale se dressant face à la sienne, qu’il ne peut
voir entièrement, mais dont il devine maintenant la silhouette imposante.
Immense boîte où s’emboîtent des centaines de plus petites, abritant des
centaines de petites vies dans de petites cages, de petits êtres comme lui,
humains ceux-là. Toutes petites vies dérisoires à l’image de la sienne sans
doute.
Panique du
jeune prédateur soudain devenu grande proie. Insecte humain tout aussi affairé
que les sujets qu’il traite. Moment cruel où la vérité s’inverse, désignant
d’un coup la relativité du monde.
Au hasard
d’un regard furtif, le jaillissement du sens.
CONTAGION
Epi dèmos. Elle court elle court la rumeur. A l’allure d’un virus qui se propage aux entours du dèmos de nos cités, de nos ruralités. Elle gagne par imitation, contamine par contagion, dévore par duplication, absorbe par osmose. D’un corps à l’autre, d’une tête à la prochaine, d’une émotion suscitée à une sensation reçue. D’un ordre juste à un désordre moral. Primitive, la peur s’installe, la fascination colonise, l’imaginaire grave une danse macabre sur les écrans de la conscience. Sur fond de vengeance probable, anonyme, et de mort programmée.
D’antiques
récits émergent, nous replongeant dans notre condition oubliée d’animaux
humains en proie à de très anciennes sidérations. La figure épidémique modèle
scènes de panique et dissolution des identités. Le doute gagne les organismes
individuels, attaque le corps social patiemment édifié. La catharsis épidémique
nous plonge dans le magma singulier de nos émotions originelles.
La peur nous
cloue le bec, scelle nos lèvres dans un rictus muet. On déserte le langage
ordinaire, de crainte qu’il ne nous trahisse à son tour. Les mots sont pipés,
comme le virus reste innommé. A défaut de l’Eden perdu, nous aspirons encore à
un vague retour au calme. Chimère sécuritaire.
Traversé par
un mal sourd, ce monde-ci prend la marque infâmante du scepticisme à l’œuvre.
L’épidémie fait de nous des citoyens sans ethos.
Aliénés, impuissants, tributaires d’une foule anonyme dissoute dans un bouillon
de culture pathogène.
Mimant les
germes malins, passions et idées prolifèrent, se répandent en échanges,
transmissions, interactions. Un flux d’informations alarmantes, souvent
contradictoires, électrise nos synapses à la vitesse de l’éclair. Des capteurs
mouchetant les cerveaux permettraient d’exhaler la petite musique ronronnante
de la rumeur colonisant nos pensées les plus intimes. Ca pense comme ça coule,
en fluide.
L’épidémie
du bouche à oreille accouche d’une infernale psychose. La rumeur en écho transforme le n’importe quoi –
un fiasco, objet minimum, ordinaire,
commun – en une histoire unique, singulière, qui mérite d’être racontée.
L’idée, le récit, se dupliquent en écho, se répliquent à l’infini. Le fait brut
est lancé comme un pavé dans la mare publique. Tel un virus, il s’accroche et
court d’organisme colonisé en volonté annihilée. Le mécanisme s’active en
contagion. Mots et objets se contaminent pareillement.
Ainsi copié,
dupliqué, le virus nous mène droit à l’accoutumance, à l’addiction. Tic choppé.
Image en direct – tournoyante jusqu’à l’obsession – du geek multiplicateur accouchant d’une vidéo en boucle sur la Toile.
L’habitude de la réception s’installe, rend disponible, et cette disposition
toute neuve nous fait plus réceptifs encore. Processus exponentiel de l’avancée
en réseaux.
Dormez
braves gens ! Le conte populaire apaise en nous l’enfant, redisant à
satiété son apaisant récit. Le thème musical rythme nos obsessions sonorisées.
La parole politique endort jusqu’à nos instincts de survie. La contagion des
imaginaires est en route. Toujours en avance d’une épidémie. Répétitive, notre
mémoire s’embourbe dans un terreau propice aux idéologies rampantes. Nos
identités se diluent dans un murmure lancinant. Le phénomène épidémique impose
un présent totalitaire à nos raisons figées.
La pandémie
souffle désormais l’affreux vent de mort du fanatisme.
VOISINS
C’est la fête des voisins. Vieux rêve déguisé ou cauchemar récurrent que cette obligation annuelle de camaraderie urbaine, civile ? Forcément civile. Il est loisible de saisir cet instant unique d’un glissement : celui où l’injonction sympathique s’érige en gentillesse organisée. L’espace de quelques heures y suffira. Durée bénie, temps suspendu où la mitoyenneté se mue en citoyenneté.
Voisins, il
vous arrivait d’être le problème ? Vous êtes désormais la solution. Voilà
que l’on vous fête. Illustre anonyme, chacun de vous devient soudain aussi
célébré que le Soldat Inconnu. Riche idée que celle où l’on vous intronise,
sans coup férir, au rang de « prochain » à chérir plus que tout au
monde. Surtout ne pas se rebeller. On serait bien capable de nous inventer la
fête du reproche.
Voisinage.
Proximité de hasard ou de nécessité, par présence objective plus que par goût
réel. Habiter est affaire mentale, histoire de représentation. Etranger à son
voisin, on n’en reste pas moins exposé à son regard. Vigilant ou neutre,
délateur ou indifférent, absent ou attentif voisin, quintessence du voisinage.
Sous votre œil scrutateur, présumé envieux, nous vous haïssons tendrement,
petits big brothers omniprésents. Solidaires
par obligation, nous formons avec vous la grande marmelade des hommes dans
la ville, chère au poète.
Irions-nous
jusqu’à nous grimer sournoisement pour adopter votre aspect, vos
attitudes ? Raser les murs, être tout
comme, comble du mimétisme avoisinant.
Après tout, nous infiltrer, nous glisser dans l’identité d’un autre proche
permettrait de nous délester un temps de la nôtre, un tantinet routinière
avouons-le. Test édifiant de mutualité positive. Belle preuve d’abandon au
monde tel qu’il va.
Voisinage,
pâte molle, indistincte, à pétrir au gré de nos errances du moment. Vous êtes,
voisins, le miroir de nos enthousiasmes comme de nos inconséquences. Vous
figurez l’enjeu d’une vertu réputée enfin accessible, le prix de l’excellence
ouvert à tous : tendre au rang de citoyen responsable. L’avoisiner à tout
le moins.
Cher voisin,
tu demeures pour nous le chaînon rassurant, toujours en attente de
vérification, de nos attraits collectifs. Qu’advienne la preuve de méfiance de
trop et nous nous replions sur nous comme des escargots. Que tu nous attires à
nouveau dans les rets communicatifs d’une ferveur de bon aloi, et nous voilà
aspirés dans l’amour inconditionnel de ce prochain soudain si proche. D’une
empathie qui cerne, ou concerne ?
Comment
demeurer fidèle au cœur d’une émotion avoisinante,
constant dans sa culture de l’entourage ? Il y faudrait une quotidienne
fête des voisins. Nul doute qu’une enquête de voisinage rondement menée
lèverait nos derniers soupçons, nous redonnant définitivement le sens originel
d’une sympathie légitime, d’une coopération fraternelle. De celles que l’on n’a
pas envie de resquiller.
Pour nos
chers voisins, ces autres nous-mêmes, c’est tous les jours la fête !
SOUFFLEUR
Retour à la soupe primitive. La boule rouge ondoie,
hésitant entre fusion et calcination, fragment arraché à une très lointaine
coulée de lave. L’homme la tient au bout de sa canne comme aux rets de son
regard fasciné. Son visage perle de la sueur qui accouche. Du matériau brut
jaillit l’œuvre en état d’éruption. Passage secret de l’état de nature à celui
de culture.
Ce que
dompte ce moderne Vulcain, c’est un lambeau de pierre de lune. Un peu du noyau
des origines abandonné par le créateur au centre de la planète bleue. Vomissure
d’étoile, déjection de volcan, le cœur en fusion trahit sa présence enfouie au
plus profond, entre pelure et centre nucléaire.
Par quelle
magie la boule de pierre et feu mêlés est-elle en passe de se transmuer en
verre cassant et transparent comme la glace ? Le souffleur en tait le
jaloux secret. Il n’écoute que son poignet élastique tournant et retournant la
canne creuse animée d’un souffle redevenu divin. Mimétique, son geste figure
celui du musicien explorant les trésors infinis de la gamme. La main s’attarde,
rêve à la pointe de son instrument. Comme celle du sculpteur affronte le marbre.
Ou celle du potier modèle patiemment la pâte. Menaçante, la boule gonfle
jusqu’à enfler comme une géante rouge. Retour aux origines.
Ardents
comme ceux d’un dompteur, les yeux du vulcain fixent la chose en sa
métamorphose. Ils guettent, gourmands, l’instant précis du gonflement porté à
son acmé, celui où la forme se fait couleur. Oranges subtils, et jaunes d’or
épanouis succèdent insensiblement aux rouges de feu. Chronologie chromatique
aux fins glissandi de tonalités.
Ardent
songeur, le maître verrier sait que la difficulté de son métier vient justement
de l’apparente fluidité de sa matière. Faire, façonner, fabriquer, créer. Même
dans l’atmosphère étouffante d’un four à porcelaine où le visiteur oisif peut
croire à l’enfer, l’ouvrier actif n’est plus le serviteur du feu, il est son
maître. Et si c’est une rêverie, elle est active, les armes à la main. Et puis
chaque travail n’a-t-il pas son onirisme propre ? Chaque matière travaillée
n’apporte-t-elle pas les visions intimes qui lui sont propres ? L’artisan
le sait : on ne fait rien de bien à contrecœur, à contre-rêve. Tout en lui appelle un temps béni où chaque métier
aurait son chantre attitré, son guide onirique, chaque manufacture son bureau
poétique ! Heureuse utopie.
Imperceptiblement, le verre qui tiédit offrira bientôt ses parois translucides
au regard apaisé du verrier appréciant dans ses courbes épurées l’objet de son
ouvrage. Ou – occurrence fâcheuse – si la pâte s’est montrée rebelle à sa
fantaisie, l’artisan déçu la rattrapera en lui accordant la forme la plus
facile à souffler : celle d’une flasque, synonyme d’un fiasco qu’il tentera d’oublier.
Epuisé, assouvi,
l’artisan démiurge contemple enfin le fruit de son expir. L’esprit qui anime a
su inspirer son acte créateur. Et rappeler le geste fou de Prométhée
subtilisant le feu aux dieux ébahis pour l’offrir aux hommes. Entre souffle,
ouvrage et songe, le geste a conquis la matière.
Et su
atteindre les régions éthérées de l’âme. Anima
sua.
A SUIVRE ...
.
.
Inscription à :
Articles (Atom)