"Dans la plaine les baladins s'éloignent au long des jardins ..." (Apollinaire) ...
Arpentons, amis lecteurs, ces jardins chatoyants qui, tels maints livres effeuillés, nous content mille récits ardents dont les figures mémorables pansent nos blessures et régénèrent nos désirs... Pour que ce flux magique continue d'irriguer notre Coopérative idéale : celle des Lecteurs Réunis.
dimanche 2 juillet 2017
LE CARNAVAL DES MIMES (7)
Juste un
frisson. Celui qui vous parcourt l’échine lorsque la sensation vous habite
soudain : une présence derrière la porte. Comme le sursaut d’une
conscience qui vous soufflerait à l’oreille l’apparition d’une doublure
fraternelle. Une bienveillante copie de soi-même.
L’imitation
s’est longtemps voulue la reproduction fidèle du monde sensible et la finalité
essentielle de l’art. Il ne s’agissait au fond que de copier d’aussi près que
possible les apparences du monde visible. Intangible cliché ?
Deux
légendes antiques incarnent ce concept d’imitation né au cœur de la mimesis grecque. Pline l’Ancien narre le
récit du peintre Zeuxis, capable de
figurer des raisins avec tant de ressemblance que des oiseaux se mirent à les
becqueter. Quant à Ovide, il raconte dans ses Métamorphoses comment le sculpteur Pygmalion, voué au célibat, tomba amoureux de la statue d’ivoire
née de ses mains, qu’il nomma Galatée, et qu’une déesse rendit vivante selon
ses vœux.
Plus avant, au
théâtre de sa Recherche, le jeune Marcel Proust mime ses adieux aux aubépines
de Combray comme il le ferait à des jeunes filles en fleurs. De tout temps, sur
les planches, la mélopée exprimée par une voix d’acteur déclarant et soupirant
nous fait mimer intérieurement la modulation musicale d’un violoncelle :
tension des muscles du diaphragme et comme l’écho d’une voix intérieure apte à
faire vibrer en nous la corde de l’émotion. N’en va-t-il pas de même pour toute
musique qui nous est chère ?
De nos
jours, saisie du réel et travail mimétique s’imbriquent avec un tel souci de
réalisme que les images virtuelles qui en résultent se donnent à voir comme
similaires à celles qui nous sont familières. Or leur « réalité »
n’est bien souvent que le produit de notre désir. Au point que nous prenons
pour vérité toute trace apparente du réel qui se donne. La réalité a rejoint la
fiction. A moins que ça ne soit l’inverse.
Alors, objets
et clones d’objets : du pareil au même ? La simulation est venue se
loger au cœur du contemporain. L’imaginaire, filtre posé sur le réel, a laissé
place à la réalité comme source de fiction souvent plus forte que le réel
lui-même. Jamais notre faculté de nous prendre au jeu du même et de l’identique
n’a été autant stimulée. Jusqu’aux conflits modernes, enracinés dans des
fureurs mimétiques où battent leur plein surenchères idéologiques et
religieuses. Les martyrs en tout genre étalent un zèle suspect quant à leur
objectif : rejoindre au plus tôt les prairies de l’Eternel. Que n’y
vont-ils seuls et sans fracas ?
Plus mesuré,
le poète propose un temps de réflexion préalable avant de passer à
l’acte : mourir pour des idées,d’accord, mais de mort lente…Bref, modèles, séries, prototypes se
pressent à l’appel, jusqu’à coloniser les esprits. La fabrique mimétique tourne
à plein régime. Jusqu’aux clichés langagiers les plus éculés : ne
lance-t-on pas à tout va, dans l’espace social, des « bonne journée »… même en fin d’après-midi ?
Langage avalé par une mécanique du vide, de l’insignifiant.
Nous voilà
campés dans la position de touristes volages devant cet univers simple et connu
des choses humaines. Il faut que la réalité ne nous oppose aucune résistance !
Quitte à outrepasser l’imaginaire. Drôle de temps que celui qui se laisse
porter par l’illusion d’une humanité en voie de duplication à l’infini. Dans
l’ombre portée de nos silhouettes s’agitent de curieux doubles dansant une
sarabande qui nous échappe. Nous voici mimant des rôles muets dont le sens
demeure étranger à nos raisons en exil. L’ombre obsédante, le double maléfique
se sont emparés de nos familiers séjours. A force de vouloir apprivoiser notre
part obscure, celle-ci a subverti nos forces vives, phagocytant à notre insu
notre vision du monde et jusqu’à nos désirs les plus profonds.
Au carnaval des mimes, la réalité a détrôné
la fiction.
NATURE VIVE Sur fond de cyprès, quelques fruits sur un compotier.
Nature morte que ces touches de
couleurs vives offertes à l’organe qui sent, à
l’esprit qui saisit ? Non, il peut arriver que la
simple vision tourne à
la voyance.
Entre senti
et sentant, visible et voyant, dehors et dedans, comment habiter le
monde ? Il faut tout oublier pour toucher du doigt la courbure des pommes
charnues et l’odeur des cyprès fraîchement endormis sur la toile. Et se laisser
porter par ce que l’on ne comprend pas.
Question de
chair, idée neuve et antique. Nous tentons d’accoler au monde visible la
traversée d’un ego charnel. Belle tentative pour une vision en miroir : le
peintre se sent regardé par les arbres qu’il vient de peindre. L’art s’incarne
dans un mystère qui le dépasse. L’artiste et le philosophe inventent ensemble
leur troisième homme : le poète se tient maintenant à la pointe du
triangle parfait.
La sensation
crée l’échange en boucle. L’énigme court dans une circularité vertueuse. La
figure de l’entrelacs accouche de paroles croisées : le paysage s’incarne
en moi et je suis sa conscience (le peintre) ; il faut rendre au monde à
sa valeur d’énigme première (le philosophe) ; la terre est bleue comme une orange (le poète).
Pommes et
cyprès reposent sur la toile. La perspective offerte par le peintre en bombe
l’apparence. Nous percevons la convexité d’une mue dissimulée au cœur de la
matière. Voluminosité, oscillations vibrionnantes. Les aplats se déforment
comme ces mirages hantant les déserts ou ces anamorphoses épatantes qui vous
cueillent le regard et font les délices de nos imaginaires en vadrouille.
L’esprit s’émeut de visions arrachées à un temps devenu soudain élastique. La
toile bouge au gré du regard qui insiste, pénètre, s’incruste. Avant de rendre
finalement la nature morte à son statut de belle endormie.
Les matières
posées sur la toile réveillent nos sensations tactiles. Elles ouvrent autant d’univers
parallèles que nos regards pénètrent sans en croire vraiment leurs yeux.
L’ampleur de la palette déploie ses nuances comme l’instrumentiste répète ses
gammes. Avec infinie patience, régularité métronomique, souci du détail qui
éveille les sens. L’échelle chromatique expose ses touches quasi-sonores, aux
demi-tons troublants. La nature morte s’anime, prend vie.
C’est
d’abord une touche de vent qui fait onduler souplement les cyprès du fond,
donnant à la scène son rythme lent : un balancement quasi-musical qui nous
berce bientôt, et que vient compléter une douce sensation de chaleur
méditerranéenne ; Nous voici plongés dans la touffeur d’une après-midi
estivale.
Le volume de
chaque fruit prend forme à présent. Les chairs allument leurs couleurs vives,
éveillent des envies de saisir, de mordre, de goûter. Fourmillements et
démangeaisons tactiles nous envahissent en nombre et en intensité. Nous sommes
habités par la réminiscence d’un éden
antique. Celle de notre ancêtre cavernicole découvrant l’intense plaisir de
plonger ses mains dans la fraîche consistance des argiles molles. De la main au
regard. Du regard à la main. La toile se fait support de matériau comme
d’intentions.
Dans un
ultime raccord, l’œil a rejoint l’esprit.
EPIQUES
Plongées au
cœur de l’hiver, les petites boules se rapprochent en quête d’un surplus de
chaleur. Au point de se piquer bientôt. Contraintes alors de s’éloigner, de
prendre leurs distances, les voilà soudain saisies par le froid. Réchauffées,
hérissées. Hérissées, prenant leurs distances. Les porcs-épics vivent en
accordéon. Dans une valse-hésitation qui n’en finit pas. Comme l’oscillation
vertigineuse du pendule ou du balancier de la vieille horloge.
Nous jugeons
comiques ces petits animaux, sans voir que nous les mimons bien souvent. Besoins
de sollicitude, d’affection, d’intérêt, nous rapprochent de nos alter ego.
Jusqu’à ce que goûts, opinions et petits énervements nous en éloignent à
nouveau. Entre désir et rejet, proximité et liberté, nous balançons en cadence.
Comiques porcs-épics.
Comment se
réchauffer au contact des autres, lorsqu’on aurait plutôt tendance à être
hérissé ? Thermique affective et mathématique du cœur, équation toujours à
résoudre. Libre ou proche ? Libre et
proche, c’est l’issue de l’alternative. L’alter native et sa clé – à géométrie
variable : l’empathie mesurée, une distance pleine de sollicitude ou une
proximité… à juste distance.
L’ami proche
ne fait plus signe ? Pour nous pourtant, cela fait signe :
éloignement provisoire ou fâcherie durable ? Qu’y voir ?
L’interrogation, puis l’inquiétude grandit, jusqu’à la remise en question,
parfois. Désordre imaginatif : que lui ai-je fait, qui suis-je encore à ses
yeux ? Voilà que l’oscillation est de retour. Et avec elle la quête d’un
nouvel équilibre. A toute dissonance il faut une bonne résolution, comme en
musique. La relation est à l’image d’un petit air qui sinue d’une octave à
l’autre. Sens de la mesure.
Animal costaud, rustaud, solitaire et
paisible, le porc-épic va son petit train, toujours pressé de… ne rien hâter.
Pas de conclusions définitives, semblent dire ses yeux myopes. De tempérament
accommodant ou d’humeur vengeresse, on imagine l’animal capable de morsures
comme de pointes spirituelles. Apte à jouer la toupie, en somme.
Voilà qui
tombe bien. Le piquant mammifère peut se targuer de figurer la gamme infiniment
riche de nos états affectifs. De l’inclination à la passion, en passant par la
sympathie, l’attachement, la tendresse ou le béguin, toute variation est
possible sur la palette de nos affects. Une palette qui ne nous laisse jamais
indifférents et appelle ses exacts contraires : éloignement, aversion,
désamour, haine. Comme le suggère la petite pelote d’épingles prêtes à se
ficher sur le cuir de l’intrus, à lui faire
la peau, origine possible d’aventures – mésaventures – naissantes. L’épique
incite à l’héroïque, libère la parole et ouvre sur la légende. Avec son
caractère pittoresque, le porc-épic trimballe sa silhouette de bestiole
mémorable.
Jusqu’à la
force d’évidence du dicton : qui s’y
frotte s’y pique !...
GESTUELLE
Clavier
contre stylo, machine contre corps, une lutte sourde s’engage à notre insu.
Lutte de prestige ? D’efficacité ? Simple affaire d’outil ?
Enième soubresaut de la déjà longue histoire de l’écriture ? Plaisir
physique en passe de se perdre, peut-être.
A quand
remonte notre dernier long texte écrit à la main, à l’ancienne ? Cette mémoire-ci aurait-elle à voir avec la
mémoire du geste ? Elle qui confronte le mouvement automatique à la
motricité fine. L’aplat lumineux de l’écran au volume de la feuille qui se
rature, se plie, se chiffonne, se coupe. La recherche d’un propre et net
définitif aux traces patiemment accumulée d’un travail qui hésite, se cherche,
accumule les essais et erreurs. Sans les faire disparaître de suite. Et
peut-être pour les exhumer un jour futur, comme l’archéologue reconstitue
patiemment les linéaments de l’histoire biologique. Oubli des repentirs et
mémoire du corps.
La vitesse
d’exécution de la frappe tend à dissoudre la temporalité propre à l’exercice
écrit. L’exigence quasi-scolaire des pleins et déliés avait parfois laissé
place à l’écriture script. Faut-il
désormais mettre au rang d’idée romantique la tradition de l’écriture cursive, reliant entre elles les lettres
d’un même mot ? Ou son abandon, tout au contraire, signerait-il la
liquéfaction accélérée des liens qui confortent encore la cohérence de notre
monde ?
En reliant
les lettres entre elles, l’enfant qui apprend acquiert l’image du bloc que
représente le mot, et donc son orthographe. Dans les boucles d’une majuscule
ornée, il dessine, capte les rondeurs, l’harmonie, l’équilibre. Il y a une
danse de l’écriture, une mélodie du message qui ajoute de l’émotion au texte
qui prend forme sous son regard actif. Avec l’écriture manuscrite, on se
rapproche de l’intimité de celui qui a tracé les mots, tant chaque écriture
possède sa propre gestuelle émotionnelle, son charme unique. Jusqu’à révéler un
peu de la personnalité de l’auteur ? Calligraphie et narcissisme contre
sécheresse du clavier.
L’écriture
manuelle relève d’un geste complexe qui mobilise à la fois des capacités
sensorielles – je sens le stylo et la feuille -, motrices – j’utilise mes
doigts – et cognitives – je dirige le mouvement par la pensée. Le manuscrit
s’inscrit dans un mouvement singulier du corps. La frappe au clavier ne peut
figurer qu’une sommaire copie.
Le
support-papier autorise une liberté d’action : on peut écrire à l’endroit
ou à l’envers, jouer de la marge, déformer ou superposer les tracés, agrémenter
son texte d’un croquis illustratif… Sans oublier tous les petits accidents
d’écriture qui sont la trace du travail en train d’apparaître aux yeux de son
auteur. Vrais reflets de la plastique corporelle.
Vengeance du
clavier : vélocité du rythme, automaticité cognitive et capacité de penser
le plus rapidement possible… pour disposer d’un temps accru pour… penser à
nouveau ? Mais où est passée la riche mémoire du mouvement complexe ?
Et le travail de reformulation personnelle que permet la prise de notes ?
A défaut de
continuer à couvrir des volumes de pages, notre écriture manuscrite transfère sa
fraîcheur, sa hardiesse, au cœur de notre environnement, sur les murs de nos
rues. Graphismes publicitaires, graffitis, écrits de contestations, tags… les
arts graphiques se portent au mieux. Et ne font qu’amplifier nos gestuelles
physiques. Le corps reste à l’honneur dans les mystères créatifs de l’écriture.
Au service
de la mémoire d’un geste culturel.
VISION
Une ombre en mouvement se suspend à fleur d’eau.
Silhouette captée au cœur de la foulée d’un passant ordinaire, anonyme, dans la
ville anodine. Entre un avant qui ne sera plus et un après dont on ne saura
jamais rien. Le chasseur d’image suspend son souffle pour capter la réalité
fuyante. Il se donne le pouvoir d’arrêter le temps pour un bref mais intense
moment de vérité pure.
L’ensemble de la scène respire un paysage
urbain plutôt triste et gris. Ciel délavé, sol largement inondé par une forte
averse. Chaussée encombrée de détritus : amas de pierres, tuyaux,
brouette, une échelle de couvreur en bois. L’endroit est en travaux sans doute.
Et puis, au fond, une grille qui barre l’horizon, séparant une gare invisible
de la rue. Ce symbole carcéral ne fait qu’ajouter à la morosité ambiante, au
climat maussade de la scène. Tout ça est triste comme une prison en hiver.
Pourtant, l’artiste
voyeur a pris soin de ménager ses horizontales. Une énorme flaque d’eau occupe
toute la moitié inférieure de notre champ visuel, transformant du coup une
action anodine en tableau évanescent, poétique. L’image se dédouble
parfaitement, offrant un jumeau inversé idéal à l’ombre en fuite. Un peu comme
si l’homme arpentait le ciel. Donc volait. Ou courait tête en bas sur un miroir
de glace, entouré d’objets aux formes redoublées. Mise en abyme que ce monde
dupliqué à la perfection, univers parallèle qui prend des allures enchantées,
synonyme de liberté, de rêve, d’évasion.
Le coureur
inconnu s’envole avec son double vers le hors champ de la photo. Qui est cet
homme qui court, et où va-t-il ? Un quidam, un passant pressé ? Vole-t-il
au-devant d’un train qu’il n’attrapera jamais ? Son corps à contre-jour
semble marcher sur l’eau, la pointe du talon posée à l’extrême de la surface en
miroir. S’est-il servi comme d’un appui de l’échelle posée – noyée – au
sol ? Emergeant des tiges de bois, quelques ondes concentriques ont,
semble-t-il, conservé l’impulsion d’un mouvement encore frais.
L’homme sort
de l’image de gauche à droite – sens classique de la lecture – mais
l’instantané du cliché l’y emprisonne à jamais. Instantané, cet instant a été.
Par un jour gris, un photographe a suspendu le saut de cet homme. Pour
l’éternité. Il a arrêté le cours du temps. Sa photographie nous donne à voir
l’invisible de la durée. Médusés, nous ne faisons que regarder ce que
l’artiste, lui, a vu.
Entre monde
physique et monde des songes.
DIVINS EGO
Dieu a le
dos large. Et, sans rien demander, une multitude d’affidés prêts à célébrer les
plus récentes et sanguinolentes versions de Lui-même. L’élection soigneuse,
têtue, de boucs émissaires sans cesse remis au goût du jour Lui assure une
promotion permanente dont il se passerait bien. Mais les divins prétextes ne
manqueront jamais. Tapis dans l’ombre du dieu alibi, les ego paranos aiguisent leurs crocs. Prêts à mordre la concurrence.
Conflits et
règlement de comptes vieux comme le monde virent aux surenchères dignes d’une
salle des ventes. Les infidèles – à
quoi, à qui, grands dieux ? – n’ont qu’à bien se tenir ! Qui châtiera
le mieux aimera le plus. Les saints sbires sont toujours prêts à jouer les
pères fouettards au nom de leur divinité préférée. Car Dieu est grand et hors
de Lui point de salut, le texte est connu mais on fait mine de renouveler la
musique pour conjurer le doute et entretenir une foi aux allures de roc
branlant. Mille petits barbus agités affichent une filiation incontestable avec
leur grand Inspirateur : Dieu est
Dieu ! Nom de Dieu !...Ils
secouent leurs têtes effarées, vides comme des calebasses…
Sous la
fraîcheur bienvenue des chapelles dort l’impatience millénaire des ego frustrés. Derrière les œuvres
concoctées pour son divin prestige, couvent l’arrogance des culs bénis et la
ferveur butée des soldats de la foi. Toujours prêtes à refaire surface, voilà
les antiques chamailleries de famille pour savoir qui est le plus digne de porter
l’héritage. Aucun slogan n’est trop fort pour désigner le mécréant à la vindicte. Tout est prêt pour les grandes manœuvres
purificatrices. Gare aux naïfs en panne de sainteté proclamée : le Ciel
pourrait leur tomber sur la tête plus tôt que prévu !
Car aux yeux
de ces gens-là, toute indépendance d’esprit est immédiatement suspecte. Toute liberté
vaut déviance, et toute déviance entraîne méfiance.Suspicion et sourd désir de châtiment. Ces
bienheureux pères la vertu ne savent
répondre à leur peur de l’absurde que par un zèle féroce. S’ils ne présentaient
pas toutes les apparences de la folie, on finirait par les prendre pour autant
de répliques de Dieu le père soi-même. Qu’ils ne nous en veuillent pas de
préférer l’original, quel qu’il soit. Ces clones barbus et braillards miment
l’imposture agressive des pilosités guerrières. Au grand dam du Prophète et de
Dieu, qui se désespèrent en comptant les points.
Pour ces
jusqu’auboutistes du dégoût de soi, la victimisation est une seconde nature. Il
y jouent hardiment la farce des mauvais garçons pris en flagrant délit de haine
gratuite pour des corps – les leurs comme ceux des autres – qui ne sont pour
eux que costumes. Enveloppes vides.
Ils ne
brûlent que de se rendre célèbres pour redorer une estime de soi qu’ils se sont
eux-mêmes acharnés à détruire. Ils pérorent comme des perroquets complaisants
aux aguets de leurs misérables ego mis
à mal. Adeptes d’un suicide collectif, si possible, – pourquoi mourir seul sans
en faire profiter les camarades ?! – les voilà lancés dans des diatribes
incompréhensibles, des harangues obscures auxquelles ils s’efforcent de faire
droit, tant bien que mal. Mettez-vous à
genoux, faitessemblant de croire… et
bientôt vous croirez ! prédisait le philosophe.
Au cœur de
la malédiction mimétique, les voilà prêts à sacrifier père et mère au nom de
slogans brouillons, incompréhensibles, qu’ils beuglent sans en saisir la
portée. On ne pense pas, on suit. On ne nomme plus, on profère. On ne prie
plus, on éructe. On ne juge pas, on exécute. Au diable le pourquoi des choses : une transe collective s’est emparée
d’eux et ne les lâchera plus. Les voilà emballés dans le cirque collectif des
illusions perdues. Un double, qu’ils veulent croire plus vertueux qu’eux-mêmes,
les a dévorés de l’intérieur, ne leur laissant que la peau et les os. Vidés de
toute substance intelligente au profit d’un ego
tortionnaire, les voilà contraints de mimer les terroristes bigots de service.
Dieu, quant à lui, sceptique comme pas deux, s’est mis depuis longtemps aux
abonnés absents.
Le vieux
cirque ambulant des pathologies identitaires mène grand train. Et joue son
éternel retour. Au même et au pire.
BEAUTE
Une lune irréelle pointe sa bouille blême tout au
bout de la rue. Moment où le spectacle de la beauté naturelle intensifie notre
sentiment de présence au monde. Pourquoi cherchons-nous le sens partout, nous
autres animaux humains ? Sinon pour être rendus au monde, justement. Notre
désir – comme notre gratitude – d’en être, grandit dans ces moments fugaces
d’esthétique pure. La beauté nous apprend à aimer sans posséder. Et mime à
notre intention un ailleurs sublime aux allures de paradis perdu.
S’approcher
du phénomène nous en apprendra-t-il davantage ? Le beau est parfois
bizarre, prévient le poète. Et le risque existe de s’en trouver déçu. A y
regarder de plus près, nos yeux se décillent : l’astre nocturne d’abord
entrevu se mue tout de go en… réverbère à la lueur pâlichonne. L’émotion se
dissout soudain, faisant place à la reconnaissance d’une réalité triviale qui
nous a bien baladés. La réalité s’est éclipsée, nous laissant toutefois la
trace revisitée d’une sensation bien… réelle.
A-t-on
besoin de savoir pour voir – entrevoir – le beau ? Même frelaté, le moment
de grâce a eu lieu malgré tout. Et demeure dans notre esprit sous forme d’une
image propre à entretenir en nous une forme de tremblement romantique qui nous
est familier. La lune sera toujours la lune, même imitée, suggérée, offerte à
notre regard qui se voudrait toujours virginal. Mystères de la nature et enfance
de l’art.
Au-delà d’un
effroi jouissif qui nous paralyse, voilà un mystère supérieur au sens : il
n’y a pas de parce que dans la
contemplation du beau. Nu, vierge, le comment
appelle notre intuition primitive. Geste intérieur de plénitude apaisée. Après
la culture acquise, le temps viendra de l’inculture recherchée, souhaitée. De ce
qu’il reste d’indélébile quand on a tout oublié. Sensation pure.
Le sublime
nicherait-il dans ce moment hors langage où le monde ne nous parle plus ?
Mais nous laisse enfin face à face avec nous-mêmes, ravis de nous faire
confiance. Simplement. Rencontre inopinée, fugace, de l’estime de soi.
L’harmonie
d’un lever de soleil, la force des vagues sur le littoral, la puissance d’un
pic montagneux… Mais aussi bien l’esthétique d’un texte, d’une toile ou d’une
musique. Et si nous avions le pouvoir de faire revenir à l’envi les sensations
que ces scènes ont imprimées en nous ?
Si la beauté
ne se possède pas, ne nous aurait-elle pas envoûté au point d’inscrire en nous un
certain sens de la gratuité des choses ? Et si la beauté ne nous faisait
signe vers rien, nous laissant à ce sentiment nouveau d’une destination qu’elle
aurait oublié en chemin. Ce sentiment de n’être jamais autant soi-même qu’en
parlant de tout autre chose que soi-même.
Il nous
resterait le chemin. Le synapse connectant plus que les neurones connectés. Les
liens plus que la chose en soi. La voie plus que la cible. Et le bonheur rare
de se perdre.
COMMUNICANT
Il est passé
par ici, il repassera par là. Tel le petit lapin mécanique secoué par sa pile
dorsale, l’agité du bocal occupe la scène jusqu’à plus soif. Il déclame,
explique, argumente, prouve, bienfonde,
conclut… avant de recommencer sa sempiternelle litanie. Circulez, il n’y a rien
à voir hors sa propre vision, rien à dire hors son propre discours. Il est
l’alpha et l’omega de toute circonstance. Il crée l’événement. Il est l’événement.
Communiquer
est sa seule et vraie nature. Se mettre en avant sa raison d’être. Allergique
aux bienfaits du silence, de la solitude, et à toute forme de pudeur, il
rebondit comme un culbuto dans son espace préféré : la sphère sociale et
familiale. Surexcité en permanence – n’y suspectons aucun ajout de substance
illicite – il prétend surplomber les situations, surinterprète les données,
surexpose sa personne. Il surjoue les
solutions, gère seul les suites à
donner. Délivré d’une voix nasillarde au débit prolifique, son message vient se
superposer à son visage. Jusqu’à la surimpression parfaite.
En apprenti
sorcier expert de ses autocélébrations permanentes, il sait jouer de toutes les
tonalités de la gamme communicante. Oratoire, il mélodise ses affirmations de vocalises étudiées : sautes de
voix, hoquets, sifflements, consonances appuyées, martelages persuasifs.
Didactique, il planifie les éléments, subdivise les alinéas, résume en mots
clés. Polémique, il balaie l’opposition d’un revers de manche. Héroïque, il
s’offre lui-même pour le bien de tous, prêt à payer de sa personne qu’il
projette en avant comme un étendard. Grande gueule et paquet de nerfs, il prend
date, adepte de la formule miracle : on
ne lâche rien ! Le voilà prêt à courir à tout va, y compris après sa
propre mort, comme un poulet sans tête.
Rechargé
comme une batterie, Monsieur je sais tout
/ je suis partout / je m’occupede
tout – à personnage omnipotent, vocable abracadabrant – sature l’espace de
sa présence indispensable. Le voilà qui révèle, s’épanche, prend à témoin, ose
des détails intimes, étale des affects, se cite en modèle… tout en gardant un
œil sur son auditoire, attentif à l’anesthésie qui ne tardera pas à guetter
celui-ci, il en est sûr. Il enfonce alors le clou par un appel vibrant à
l’action qui vérifie le discours, à l’entreprise qui remobilise, au fait
d’armes qui requinque. L’Histoire l’attend, tout est dit.
Le silence
qui suit résonne encore de l’agitation qui nous abandonne, exténués, exsangues,
devant tant de maestria. Un temps bref nous est enfin accordé. Celui de
recharger les piles du fanfaron ludion.
L’infernal
lapin redémarre.
GEPEES
La voix
neutre, anonyme, insistante, résonne dans l’habitacle métallique, égrenant
méthodiquement ses injonctions numériques. Elle insiste, se répète, du même ton
monocorde et robotique, sans état d’âme. Le conducteur exaspéré en est à son
troisième passage au même endroit. Il doit se rendre à l’évidence : il
tourne en rond. Le système d’orientation incarné dans cette voix a beau être
dirigé par un ensemble de satellites irréprochables, quelque chose ne tourne
pas rond !
L’homme gare
son véhicule et ressort une carte papier des lieux. La déplie, la déploie,
comme un accordéon de mémoire. Il l’étale et commence à rechercher, à
s’orienter. A creuser les souvenirs du scout qui dormait en lui. Du temps où
l’on pouvait encore se sentir perdu quelque part et trouver son chemin avec les
moyens du bord : soleil, boussole, carte. Les lieux devaient être
apprivoisés, lus, déchiffrés. Avec patience, méticulosité. Comme on en use avec
un code bien précis : la carte légendée possède ses signes, ses couleurs,
sa légende, son échelle, son orientation. Elle est le fruit du travail précis,
précieux, des géomètres, géographes et marcheurs qui sont allés vérifier, cartographier tous les éléments sur le
terrain. La carte se lit comme le produit de ce long et patient travail, un peu
comme le lecteur sait apprécier les dédales du récit livré par le romancier. La
carte, récit intime des espaces. A lire et relire pour réveiller nos liens aux
lieux.
L’espace
vit, évolue, se transforme. Il se donne à voir à travers l’imaginaire, la
représentation. Il appelle des comparaisons, des mises en relation, des
explorations multiples et complémentaires du réel. Sa lecture nous fait
mesurer, tracer, nous projeter dans des voies à choisir, à inventer. A la
manière du romancier radiographiant sa ville pour en faire ressortir les
couches successives, des plus apparentes aux plus profondes. La mémoire des
lieux éveille nos lectures palimpsestes les plus enfouies, les plus secrètes.
Nous
mesurions autrefois un trajet, une destination prochaine, à portée d’œil, de
compréhension, d’affection presque. Nous avions latitude et responsabilité à
nous conduire et à assumer l’issue – heureuse, accidentelle, surprenante – du
trajet. Il nous faut désormais accepter un jeu bien différent : celui de
se laisser conduire en se sachant observé. Et prêt à être remis sur la bonne
voie, comme un enfant pris en faute. L’intimité de l’intention a fait place à
l’automatisme froid du calcul satellitaire.
Plus de
possibilité d’hésiter, de tergiverser, de s’égarer. Le robot nous tient par la
voix, par le regard, nous propulsant malgré nous vers l’issue d’un voyage qui
ne nous appartient plus. Dépossédés d’un mystère possible des lieux, nous nous
tenons aux ordres de la petite boîte magique qui nous garde hypnotisés,
obnubilés par le point de destination. Seule la cible surnage-t-elle encore
(jusqu’à quand ?) du naufrage. La voie, elle, se perd dans l’oubli d’une intelligence
de l’espace qui nous est à jamais retirée.
Le gépèès fait figure, désormais, de guide
contemporain aux allures de héros antique.
IMAGOS
Dans un ultime sursaut pour la vie, l’insecte
emmailloté engage sa dernière mue. Tout juste délivrée de l’ultime membrane qui
l’enveloppe, sa forme parfaite, définitive, se déploie avec la majesté
tranquille des prodiges muets. Œuf, chenille, chrysalide, papillon : la
nature a su conduire à son terme un cycle biologique complet, complexe. Chef
d’œuvre longuement mené à bien, pour une durée de vie de… quelques jours. Acte
gratuit, pour la beauté du geste ?
Pas moins de
quatre naissances ont accompagné quatre stades de vie successifs et différents.
Quatre identités pour ces lépidoptères qui ont évolué parallèlement, au fil des
millénaires, avec les plantes-hôtes qui les supportent et les nourrissent.
Chaque famille porte un nom à rêver, à l’image des héros des grands mythes
humains : machaon porte-queue, sphinx à tête de mort, argus bleu, grand paon de nuit… Légèreté de l’allégorie : les papillons
seraient des esprits voyageurs dont l’apparition annonce une visite ou la mort
d’un proche. Symbole métamorphique : la chrysalide est l’œuf qui contient
les potentialités de l’être, et l’imago qui
en sort figure la résurrection. Une manièrede sortie du tombeau, déjà. La mort nichée au creux
même de la vie.
Feu solaire
qui anime l’âme des guerriers, l’adorable lépidoptère bat de ses ailes
multicolores. Il n’en finit jamais d’enchanter les fantasmes, jusqu’à trôner
aux côtés de Psyché, l’âme
papilionacée. Il anime les visions enfantines idéales, celles qui planent sur
la magie des jours heureux. Celles que l’on avait rêvé de capturer au filet
secret de nos envies. L’imago des
êtres chers dont nous gardons la survivance quelque part en nous. Trésor et
poids de l’enfance à la fois, que ce double dormant au fond de nous-mêmes,
subtil archiviste des émotions et des images d’une période achevée, qui nous a
portés et que nous portons au creux de nous comme une promesse que nous ne
pourrons jamais tenir telle que nous l’avions formulée.
Infancia, c’est un bagage qui ne se parle pas, avec ses deuils, ses drames, ses
angoisses. Il faudra bien pourtant qu’elle se fasse la belle pour que l’adulte
qui en sort puisse la déformer de sa nostalgie, l’embellir de ses regrets.
L’enfance n’a pas d’âge, elle s’écrit toujours à l’envers. « Je ne suis
plus chez moi ! », clame le nouveau-né de son cri primal déchirant.
Aucune réponse ne lui parviendra avant l’âge de raison. Et la période enfantine
ne laissera à l’adulte qu’un résidu opaque avec lequel il passera sa vie à
s’expliquer.
L’enfant se
révèle nu, démuni, débordé par ce qui lui arrive, impréparé à faire face à
l’événement, passible des choses qui
lui arrivent. Dépendant de ce qui le dépasse. Pris par des champs de conscience
qui l’excèdent. La chose dont l’enfance est l’écrin apparaît comme toujours
déjà perdue. A la forme d’endettement qui l’accable malgré lui, rien n’assure
que répondra un jour l’acquittement vis-à-vis des ascendants qui l’ont
accompagné.
S’il existe
d’éphémères papillons adultes, il n’y a pas de grandes personnes sans enfance à résoudre : nous sommes
toujours dans un rapport de narration avec ce qui précède et nous aliène. La
sortie de l’enfance – comme celle du cocon – requiert un visage, un corps à
explorer le monde. Et une voix qui vient du fond de soi-même comme une
étrangeté : celle qui fait de nous des Narcisse
incapables de reconnaître ici leur reflet. Phonation bizarre que celle qui nous
monte à la gorge et qui n’est pas la nôtre, mais celle d’un autre en nous. Enigme
de l’altérité qui nous porte : on est fait d’un autre que l’on passe sa
vie à portraiturer en adulte.
L’enfance,
passage sans âge.
TEMPS MORT
Mais
regardez-les donc ! Ils courent tous, connectés, ligotés par d’invisibles
fils qui les entravent. Ils mutent en cellules affolées, affairées, mimant le
sempiternel mouvement brownien. Diffusion, fusion, confusion : ils ne
voient même plus où ils vont… mais ils y vont. Bille en tête. De SMS en
courriel, de gazouille en recherche de moteur, la rumeur s’enfle jusqu’à endosser
les proportions d’une hallucinante méduse projetant à tout instant les
dernières tentacules en vogue de l’illusion numérique.
Images de
surveillance, historiques de recherche, listes de transactions : le
mollusque digital avale tout, sans discontinuer. La surveillance se resserre,
nos traces se multiplient, abreuvant un monstre aux mille gueules jamais
rassasié. Notre passé nous dépasse.
Tout cela en temps réel, s’empresse-t-on d’ajouter
fièrement. Comme si le temps était une donnée réelle, et non abstraite, subjective ! Nous voilà
définitivement dépositaires du droit de posséder le temps. Mais l’avons-nous
vraiment en quantité suffisante et réfléchie pour penser la portée de ce que
nous écrivons ? Alors tant pis pour les contenus portant à malentendus !
Et que
répondre à ces lecteurs qui se vantent de lire en diagonale, pour, croient-ils, gagner un temps précieux ?
Sinon que la lenteur permet de mieux comprendre et mémoriser. Sans même évoquer
le plaisir, le goût de se voir faire les choses !
L’outil-roi
remplace peu à peu les idées qu’il était – en théorie – censé seulement
véhiculer. Fascinants, les moyens ont remplacé les fins. Le comment a liquidé le quoi et le pourquoi. Les performances ont tué les projets. L’illusion s’est
substituée au sens. A tel point que la question pourrait se poser telle
quelle : c’est quoi, au juste, une idée ?
Quel temps
nous reste-t-il pour musarder, à l’écoute de la vie qui pulse autour de nous
lorsque nous osons – encore – ouvrir nos sens au monde ? Et en penser le
foisonnant contenu.
Et quelle réflexion critique face aux
événements du monde ? Sous les hystéries collectives rampe l’aliénation
des esprits. Comment garder vives nos intelligences si l’on ne s’accorde plus
le temps nécessaire à l’examen objectif des choses, des faits ?Défauts et qualités, causes et conséquences,
croyances et raison, illusions et vérités se mélangent, formant un brouet
infâme où l’on ne reconnaît plus rien de valide.
Analyse,
doute, évaluation, discernement sont escamotés au profit de la confusion, du
sectarisme, de l’idéologie, de la crédulité. Temps long accordé à la
délibération contre jugement hâtif, à l’emporte-pièce. Tout ce qui excite la
pensée contre ce qui l’endort.
Le temps peau de chagrin que nous nous accordons
encore suffira-t-il à exercer cette ironie socratique vieille comme le
monde : le Sage exprimait à ses interlocuteurs que ce qu’ils croyaient
savoir n’était en fait qu’ignorance. Mais il s’empressait d’y ajouter une maïeutique tout aussi avisée: à chacun de pratiquer la
réminiscence pour faire ressortir des vies antérieures les connaissances
oubliées. On n’apprend pas, on se ressouvient. Dans la durée nécessaire.
Ne
risquons-nous pas de devenir ces ignares d’un savoir au temps long ? L’âme
de chaque homme est enceinte et elle désire accoucher. Toute précipitation peut
être fatale. La naissance ne peut se faire que dans le spectacle du Beau. Celle
que nous montre l’exercice libre, gratuit de la philosophie. Et la durée du
questionnement propre à nos esprits en vadrouille.
Cogito
ergo sum… sed tempus fugit !
ACOMETISSAGE
Pop-corn géant ? Grosse patate de glace et de
neige sale ? Quel est cet objet traçant dont la chevelure lumineuse zèbre
les cieux estivaux, recueillant nos vœux les plus spontanés ? A peine
blasé des poussières de lune et du désert martien, l’homme jette son dévolu sur
ces masses oblongues de quelques kilomètres évoluant aux confins du système
solaire, satellites gazeux des étoiles. Au point de leur adresser un
explorateur robotisé aux ambitions décennales.
L’orbiteur
au long cours aura parcouru sept milliards de km, réalisé cinq fois le tour du
soleil en dix années de traversée. Et largué un adorable petit robot qui a
rebondi comme sur un trampoline dans cet environnement sans gravité. Philaé a ainsi acomèti plusieurs fois, rebondissant avec la souplesse d’un chat.
Le voici prêt à percer les secrets de la comète. Autant que celle-ci est bien
décidée à l’éjecter lors de son prochain dégazage.
A la
recherche fiévreuse de ses origines, l’homme se laisse hanter par la
narcissique question lancée à l’espace : « Miroir, mon beau
miroir ! Dis-moi qui est le plus
beau ! » Ou plutôt : « Dis-moi que je suis le plus beau ! » Où en sera-t-on dans cent
ans en conquête spatiale ? La prévision est difficile, surtout quand elle
concerne l’avenir, nous confie volontiers l’humoriste. Prestige stratosphérique
et orgueil phénoménal ont poussé à la course spatiale entre les nations. Qui sera le premier ?antique interrogation où pointent d’aussi
antiques jalousies. Ou encore : Qui
mordra la poussière astrale lepremier ?
La course à l’espace en métaphore du choc des blocs. Mais quoi, après ces
enjeux géostratégiques déjà datés ?...
Avides de
percer le mystère d’autres vies dans l’espace, nous aurons au moins amélioré
notre vie sur terre. Recherche de micro-organismes, de nouveaux métaux, vision
décentrée du système solaire où nous évoluons… expériences innovantes. Et
tentative de retour à nos origines lointaines.
Les comètes seraient ces capsules à l’abri du
temps, renfermant les clés de la naissance de notre système solaire. Nébuleuses
de gaz et de poussières cosmiques : voici les témoins, congelés dans leur
nid froid, de notre soupe primitive milliardaire
– en durée d’origine. Tâtant d’une proximité épisodique et relative avec
l’astre du jour où elles plongent parfois mystérieusement, une partie de leur
matière se sublime : elle se
transforme en gaz. Entraînée par le flux gazeux sous pression, la comète forme
autour de son noyau une chevelure à la longue queue lumineuse, la coma. Plusieurs millions de km d’une
lueur vive, traçante, éphémère, s’envolent aux vents solaires. Haïku visuel
intergalactique.
Acomètissage de Philae : notre
champ lexical s’élargit soudain, réalimentant notre langue souvent endormie,
elle aussi, à l’image des comètes en repos. Le petit robot, lui, espère vivre
encore quelques mois avant de succomber à un coup de chaud solaire. Vie et mort
des objets célestes.
BIOTOPE
Une gravière désaffectée, vestige d’une activité
industrielle oubliée. Il ne demeure que la cuvette en pente douce qu’emplit peu
à peu l’eau claire et pure de la nappe phréatique. Mystère des eaux souterraines
colonisant par porosité, lente imprégnation, les anfractuosités de la surface.
Au gré des hasards, une jungle aquatique s’apprête à surgir. Retour aux
conditions des origines planétaires, à l’échelle d’une mare humide.
Bactéries en
myriades, puces d’eau, mousses envahissent bientôt les eaux dormantes, suivies
des amphibiens, oiseaux, insectes. Crapauds, couleuvres, libellules. Petits
mammifères en quête de proies. Végétaux de toute nature peuplent le fond,
recouvrent la surface. La niche écologique s’enrichit au fil des saisons. Les
limons s’accumulent à faible profondeur, tapissant le socle de l’habitat devenu
fertile. Sur un rythme régulier, la lumière perce les eaux, éclairant un tout
nouveau théâtre d’ombres. Les crues des rivières proches acheminent les
poissons. Des labyrinthes s’organisent entre les herbiers, forment refuges,
gîtes, asiles. Prédateurs et proies se côtoient. Le milieu s’équilibre entre
ses hôtes. Le biotope vit.
Quel regard
lui accordons-nous ? Qu’en connaissons-nous vraiment ? Savons-nous
que le polype d’eau douce ne vieillit pas : ses cellules se renouvellent
en permanence, échappent à la dégénérescence, conservent la vie. Nous
doutons-nous que les plantes s’échangent des informations, à leur façon ?
Fascinants végétaux capables de prévenir l’attaque de prédateurs, de réagir à
la musique ou d’émettre des hormones aptes à attirer les insectes qui viendront
les polliniser. Comportements évoquant une manière de cerveau végétal.
Que penser
des systèmes d’alerte développés par les animaux dont l’oreille interne perçoit
les vibrations inaudibles émises bien avant les séismes ? Ou des abeilles
enregistrant les changements fins des champs magnétiques ? Les faits sont
là. Les mammifères disparaissent subitement ou ne se nourrissent plus. Les
poissons sautent hors de leur bassin. Les reptiles tournent en rond, se tapent
la tête contre les murs. L’alerte s’imprime dans les corps par ondes infimes. A
la manière dont le papillon ou le caméléon sont des clichés du monde où ils
évoluent, le vivant conserve l’empreinte
du passage, de la trace plus ou moins visible. Tandis que les photons de
lumière bombardent les surfaces sensibles, perturbent l’organisation des cristaux
chimiques, des figures naissent dans le chaos du monde. Chaque disparition de
cellule ici s’accompagne ailleurs de la réplication d’une empreinte, d’un
redevenir des corps. Simulacres et survivances. Fugacité et persistance.
Le petit
peuple de la mare va sa vie, ne délivrant ses secrets qu’avec la parcimonie du
vivant aux aguets. Même les poissons ne dorment que les yeux ouverts ! Et
lorsqu’un épais voile blanc se répand comme une brume sur le fond du lac
miniature, on pense aux semblances d’un poison trouble drainant les
profondeurs. La nature, elle, n’y voit que réaction entre éléments : celle
du carbonate de calcium, froid, entrant en contact avec l’eau plus chaude.
Subtile,
étonnante alchimie du biotope.
PASSEURS D'ESPRIT
Le parc est calme et désert. Les allées régulières
découvrent quelques bancs déployant leur dos déjà usé pour le repos du badaud.
Seules plusieurs boîtes placées ici et là rompent ce bel équilibre, annonçant
on ne sait quelle initiative ou proposition. Petites boîtes en bois imitant la
couleur verte des buissons environnants, se fondant en eux, ne s’en distinguant
que par leur aspect verni. Boîtes à usage d’on ne sait quelles secrètes
instructions.
Parmi les
promeneurs plutôt rares, il en est qui se dirigent vers ces mystérieux
coffrets, y introduisant ce qui fait penser à un opuscule, avant de s’éloigner
d’un pas nonchalant. Rien ne s’oppose à la curiosité qui vous fait ouvrir ce
drôle de boîtier pour y inspecter son contenu. Vous en retirez un livre à
l’aspect un peu usé, dont la couverture porte la mention : « Cercle des lecteurs invisibles ».
Feuilletant ce livre providentiel, vous vous apercevez bien vite qu’il a déjà
été parcouru par plusieurs lecteurs. Pliures, biffures, annotations diverses,
taches de café, chacun y a peu ou prou laissé sa trace. Ce livre a vécu
plusieurs vies.
A peine
éclipsé de ce drôle de jardin public, le dernier locataire du livre vient d’assigner
un lieu d’échange possible au récit qui occupait sa pensée. D’un geste discret,
il l’a lancé comme une bouteille à la mer, un secret message à déchiffrer.
Comme un objet précieux qu’on livre au hasard de la rencontre. Appel au partage
de l’album d’images mentales que l’auteur du livre lui a permis de feuilleter à
son tour.
La
désintégration lente de la fine pellicule de mémoire déposée par le récit ne
nous condamne pas à l’ensevelir pour autant. Le moyen existe de faire rebondir
sa trace encore vivante. Tant un livre existe d’abord à travers l’oeil du
lecteur qui s’y plonge, comme toute œuvre par le regard qui lui est accordé.
Voici le
lieu d’une conjonction fertile des images qui ont déjà surgi et de celles à naître
chez les lecteurs à venir. Espace de rencontre du réel advenu et de l’aléatoire
à créer, une vaste bibliothèque de la pensée s’inscrit en lieu idéal,
dématérialisé. Une manière de nébuleuse du sensible. Du temps de latence qui
suit le parcours d’un livre peuvent jaillir après coup d’autres sens, d’autres
intérêts. Le récit continue de vivre dans les esprits qu’il a déjà visités. De
même qu’il poursuivra son chemin entre les mains de ses futurs lecteurs.
Derrière
tous ces regards se profile celui, sidéré, du philosophe dont les yeux
s’absorbent dans les racines puissantes d’un arbre du parc, prenant subitement
conscience de ce que signifie exister.
Au-delà de la matérialité du monde perçu, possédé par les sens, ça se met à exister. La pensée a rejoint
l’essence.
Passant de
boîte en boîte, de main en main, le futile objet de papier revit mille vies
dans la mimesis revisitée de son
attachant récit. Sa forme désirable hante l’espace des vastes jardins de nos
voyages intérieurs. Avatar inattendu, secrètement adopté, de nos rencontres
virtuelles, mû en forme spectrale des esprits réunis, il anime désormais – et
pour longtemps – le Cercle des lecteurs invisibles.
BREVES
Une large tranchée
blanche tapissée ici et là de bandes de velours verdoyantes, comme une saignée
profonde coupant la ville en deux. La chenille compacte d’un tram avance sa
carcasse de verre et de métal, lente, silencieuse, sur le grand ruban blanc.
Rivée à son rail, la rame serpente au gré des courbes de l’avenue. Tranquille.
Une voiture
s’engage en travers. Sans un regard pour le tram qui s’avance en pleine
visibilité, le conducteur attaque l’espace en terrain conquis, sûr de son
droit. Choc inévitable. L’intérêt particulier entrant en collision avec le
domaine collectif : fait divers vieux comme le monde. Inconscience des
acteurs ? Insignifiance du fait ? Illustration d’un fond de déraison.
La nouvelle
– mais en est-ce vraiment une ? – fera un paragraphe illustré dans la
presse locale, et peut-être un reportage sur la chaîne de télévision du coin.
Parmi d’autres, multiples, exposées sans hiérarchie apparente. Fatras confus
engendré par un monde agité.
Le fait
divers catastrophique nourrit nos tendances complaisantes à l’émotion facile,
notre pente naturelle à l’hébétude consumériste. Haro sur l’univers exalté de
nos chaînes TV en continu, concoctant matière à information, à surinformation.
A désinformation. La stratégie est toujours la même : comment transformer
un fait d’apparence anodine en pièce montée dégoulinante de bonnes intentions.
Le robinet alimente sans fin un regard juteux, vendeur, sur le monde comme il
va. Voici les brèves qui s’allongent
comme queues de comète en plein jour.
Les
consciences fourbues n’en ont jamais fini de s’imprégner du navet consternant
alimenté par les petites mésaventures du quotidien. Le fait divers, cette
démangeaison du présent, avale goulûment l’Histoire comme l’Art, assimilés à un
gigantesque jeu vidéo où le fun et le
jeunisme s’épaulent pour expulser toute tentative de penser la vie. L’autofiction
tient désormais lieu d’épopée.
« Soyez
jeunes, urbains, festifs ! » susurre-t-on jusqu’au fond des provinces
reculées : il n’est plus ni art ni culture qui ne cède à ces injonctions
complaisantes, trompeuses. Braqués sur la futilité du monde, les projecteurs de
l’actualité accouchent d’un déballage permanent d’où émerge l’écume du rien. Le
zapping frénétique sur l’« info » vire à l’opération
d’enfumage pure et simple. L’insignifiance crée l’ignorance, entretient le
vide, déconnecte la pensée, débouche sur la déconfiture d’une culture présumée populaire.
Et comme si
on en redemandait une dose, l’actualité contemporaine invente des redites à de
vieux faits divers pourtant passés à la postérité. Le naufrage pathétique d’un
rafiot de luxe affrontant des icebergs gros comme des montagnes – déjà joué
grandeur nature au début du siècle – prétend rebondir et suggérer de nouveaux
ravages. On en remet en scène la vision frénétique, hystérique, la célébrant
d’un navet planétaire qui achève de couler le cinéma grand public dans une
soupe hollywoodienne où adore patauger le bon peuple larmoyant. Insuffisante
approche : il faut viser une vérité plus forte encore, plus proche de notre
réel contemporain. Plus apte à frapper les esprits, du moins ce qu’il en reste.
On met donc
en service de tout nouveaux géants des mers, hauts comme des immeubles, larges
comme des avenues. Que l’on dirige près des côtes, au mépris des règles de sécurité.
Provocation au bon sens… et aux lois élémentaires de la navigation. Les mêmes
causes produisant les mêmes effets, la catastrophe prévisible a lieu… et se
redouble d’une mise en scène à faire froid dans le dos. A quand une fiction
célébrant le Costa Concordia ?...
L’histoire
hoquette, bafouille et révèle de curieuses tendances à célébrer nos travers les
plus stupides et les plus ancrés. Le feuilleton va bon train. Au théâtre confus
de nos illusions, nous adorons rejouer nos brèves
infernales. La bêtise nous guette. La répétition nous navre. La redite nous
sidère. Le mauvais carnaval des masques bat son plein. Et nous laisse à court.
MIMETIQUE
Avec la
lenteur paresseuse et calculée du reptile, l’animal insinue ses tentacules
interminables sur les fonds sableux à peine frôlés. Comme en état de léthargie,
d’apesanteur. Les longs bras annelés semblent animés d’une quête versatile dont
les enjeux les dépassent. L’être est tout en muscles. N’est que muscle. Les
bandes brunes et blanches qui parent ses flancs modifient par instant leurs
couleurs, impulsant à l’imposant mollusque des intentions énigmatiques. Mais un
jet d’eau se propulse soudain, depuis un siphon secrètement lové au creux du
corps. Nul doute qu’il trahisse un mobile en cours. La pieuvre va sa feinte.
Etonnant poulpe
mimétique, capable de dupliquer l’apparence et les mouvements de quinze espèces
marines différentes. Les contorsions subtiles d’un organisme irrémédiablement mou le font passer du statut
de serpent de mer à ceux de crabe géant, de poisson-grenouille, de coquillage,
de raie ou d’anémone. Le voilà même singeant la couche sableuse qui lui sert de
décor. Pour mieux se fondre dans le milieu.
Inimaginablement
flexible, la pieuvre mimétique pourrait, dit-on, loger entièrement dans une
canette de boisson gazeuse. Capacité d’adaptation remarquable qu’il est tentant
de mettre en parallèle avec les traits d’intelligence animale repérés chez les
céphalopodes. A ce jour, ce poulpe est le seul invertébré à avoir démontré son
aptitude à faire usage d’outils : ne l’a-t-on pas surpris ouvrant un
récipient en dévissant le bouchon de celui-ci ? Si la pieuvre-mime possède
cette double souplesse, ses dons d’imitation sont alors en partie expliqués, la
rendant spécialiste pour tromper proies et prédateurs. Ne laissant que sa tête
et ses yeux dépasser de son trou, la voici en position d’observation. En
attente de création d’un prochain et subtil camouflage.
Sommes-nous
aussi convaincants dans les échanges avec nos semblables ? L’effet miroir qui nous voit tenter des
rapprochements stratégiques avec les personnes à séduire ou à convaincre, en
observant puis en reproduisant certaines de leurs attitudes, ne relève-t-il pas
des stratagèmes mimétiques inventés par le poulpe-mime ? Il s’agit bien
d’accompagner vers l’autre un mouvement subtil propre à s’approprier tout ou
partie de son aura. A l’image du
céphalopode musclé qui se fond dans le sable du décor, à nous de nous mouler
dans l’environnement, de mimer les codes sociaux, le niveau de langage, les
attitudes et jusqu’à la stature ambiante de notre public. L’humain éponge
sociale.
La face
cachée de la force a depuis peu un nom : neurones-miroirs. Logés dans le
cortex, voici la trace vivante de nos désirs mimétiques, de nos gestes empathiques.
Plus de reproche, désormais, à adresser à l’escroc ordinaire qui, par ses tours
et manèges, ne fait que mettre en évidence les mille petites vérités inavouables de la société. A
chacun d’interpréter son rôle par le travestissement qui lui convient :
perruques monarchiques, masques vénitiens, grimages divers. Au café du commerce
du coin peuvent s’échanger les derniers trucs ou savoir faire par lesquels le
petit peuple prend sa revanche sur l’élite présumée initiée.
Le
travestissement n’aura aucun mal à passer pour une protection normale. Une
bonne volonté évidente de sauver la face,
les apparences, voire les faux semblants.
Au royaume
des masques, l’homme poulpe est roi.
FANS
Des milliers
d’yeux implorants, fiévreux, embrouillés d’une mystique rare, convergent sur un
même point, là-bas au fond. La scène baigne dans une lumière crue qui appelle le
bruit et la fureur. L’espoir – exprimé en désir fou – de voir apparaître
l’objet de tous leurs cultes soulève chez les adorateurs une frénésie qui
confine au soulèvement d’un miracle. Chacun vibre à l’unisson de tous. Et tous
se remettent entre les mains d’un seul. La foule célèbre avec ferveur les
prémices d’une apparition, d’une irruption. D’une épiphanie. Et lorsque l’idole
survient, tel un divin cabri bondissant parmi les nuées, la clameur qui le
happe est à la mesure des mille adorations qui l’invoquaient déjà.
La vedette
salue, remercie, exécute les cabrioles d’usage, prépare l’état de transe où ne
manquera pas de le plonger bientôt son cher public adoré. Celui-ci, peuple
grouillant d’idolâtres exaltés, redouble son ardeur, pousse le registre gestuel
à son comble, concocte les conditions de l’émeute. La mimétique visuelle et
sonore parvient à son faîte, comme amorçant les premières vocalises de
l’artiste sur les accords concertés de l’orchestre. La mécanique du
spectaculaire s’enclenche, sans éteindre pour autant la cacophonie ambiante. La
foule accouche en direct d’une communion de fidèles hallucinés.
Le rituel de
vénération se poursuit, s’installe dans une durée qui confirme le pouvoir occulte
de l’image vivante, sa représentation symbolique : l’idole se mue en
modèle absolu dans l’imaginaire conquis de chaque adorateur, subjugué jusqu’à
l’hypnose. Le fan sympathique,
touchant, se meut en fanatique inquiétant.
Habité par
cette conviction qu’il est aimé par la star mais que celle-ci ne le sait pas
encore, le voici qui pleure à chaudes larmes, s’agite en tous sens, se porte
lui-même au bord de l’évanouissement. Tout est bon pour attirer l’attention dans
une crise d’absolue sincérité. Jouée dans un présent total, l’hystérie organise
une simulation portée au paroxysme de sa perfection.
Vient le
temps où la transe collective s’achève, interrompant brusquement le phénomène à
la manière d’un coïtus interruptus. La
retombée du spectacle s’annonce aussi problématique, projetant des désirs
insensés sur l’écran, chauffé à blanc, d’une mémoire qui rejoue indéfiniment le
fantasme toujours vif : vous étiez
fan, vous allez devenir star… L’attachement démesuré, divinatoire, à
l’objet du culte fait suspendre la vie ordinaire à une présence fantomatique.
Il s’agitmaintenant de permettre que
revive en boucle cette passion érotomane qui nourrit chaque instant de la
conviction délirante d’être aimé par un modèle prestigieux. Innommable délire
apte à vous faire prendre des vessies pour des lanternes.
L’irrépressible besoin de s’identifier coûte que coûte attise la quête
de l’orgasme permanent, avive les créations les plus originales. Le fan transforme fébrilement son gîte en
temple dédié : coupures de presse, disques, tickets de spectacle, posters
sur les murs, vidéos… le mythe revit dans un présent éternel, comblant les
failles et les manques par une omniprésence qui rassure. Comme la plante
instable appelle un tuteur pour demeurer droite.
L’amour passionnel
porté à l’idole peut tutoyer des sommets où l’identité même semble faire
naufrage. Comble de l’effet mimétique : on cherche à muer physiquement
dans la peau du personnage adoré. Le sosie qui émerge de ce travail appliqué se
met alors à jouer la partition gestuelle de celui-ci, le lance dans l’espace
social en guise d’ultime et pathétique essai narcissique. La star ainsi
dupliquée pourra même être rejouée par l’original lui-même, à l’affût des
bénéfices d’image à retirer de cette opération séduction bienvenue.
Bien malin
qui peut alors reconnaître le vrai de sa doublure. Qui singe qui ? L’amour
fusion a tout gommé au profit d’une mise en abyme où le maître et l’élève se
dissolvent ensemble dans un chaos trompeur.
Il ne demeure qu’un désert où plane le doute.
HAINE
Bardé de sa rancœur et de toutes les frustrations
accumulées, le terroriste avance avec l’assurance du droit acquis, conquis,
requis. Derrière lui, l’armée silencieuse de ceux qui le soutiennent, là-bas,
veut-il croire. Devant lui, l’avenir radieux du martyr qui sacrifie sa vie pour
une cause qui le dépasse. Et qu’il n’a surtout pas pris le temps d’examiner
avec sa raison. Quelle raison ? Réfléchit-on lorsqu’on est mû par la haine
aveugle propre à l’exclu ?
Car il n’est
rien, ne se sent rien, n’aspire plus à rien.
Il est – se veut ? se proclame ? – le produit avarié d’une société pour
lui vide de sens. Son déchet avéré, désigné. Plus que du doigt, des yeux. Du
siège-même des émotions. Arpentant la ville de son enfance, Il ne reconnaît
rien ni personne. Personne ne le voit. Il n’en est pas. Il a intériorisé avec
le temps un espace qu’il a transformé en prison intérieure. En ghetto. A force
d’ondes négatives vérifiées, accumulées, il a devant lui les preuves d’une
exclusion qu’il veut injuste, féroce, irrémédiable. Il en a déjà pris acte,
parcourant un à un les affres minables de la petite délinquance. Mais rien ici
pour se faire reconnaître valablement, durablement.
Comment
passer du mépris de soi à la haine des autres ? Comment surtout rendre
sacrée cette rage qui l’habite, le hante, l’excède ?
Sinon en donnant à son mal-être un sens qui le dépasse, celui d’une justice
ordonnée d’en haut, par un Très-Haut.
Même s’il ne le connaît pas. Surtout s’il ne le connaît pas : il se veut
proche, d’emblée, de ce Grand Anonyme qui lui ressemble et dont il se donne le
droit de confisquer le sceau pour ce qui l’arrange. La fureur qui le dévore en
appelle à des nourritures secrètes, occultes, héritées de ses lointaines
origines, étrangères à tous ces impies, ces hérétiques qu’il côtoie chaque
jour. Le voilà prêt à basculer dans une traversée initiatique qui le confirmera
enfin dans l’identité qui lui faisait défaut.
Lui, le bouc
émissaire d’un système qui l’ignore, découvre le pouvoir insensé de retourner
aux autres leur regard négatif, de se voir enfin vainqueur dans leur yeux
apeurés. Mortel effet miroir. C’est la voie de sa revanche. Le triomphe des absents.
Le prix importe peu tant l’enivrement délivre. Puissance du faire corps : on lui offre le
statut de héros. Le voici chevalier autoproclamé. Il se sent enfin quelqu’un.
Tout est bon
pour alimenter cette deuxième naissance à laquelle il ne croyait plus. Le voilà
prêt à tout, au service aveugle de cette sacralité qui l’a vu renaître enfin.
Lui l’ancien banni a trouvé la cause
qui fera de lui un héros. Le héros
parmi une foule de prétendants avec qui rejouer – à armes égales cette fois –
un nouveau spectacle mimétique. Une grand-messe où la surenchère est la règle,
où la perfection prend des airs de quête infernale. D’un enfer à l’autre,
quelle différence ? Celle de choisir, justement, d’en être ? Celle de
la pureté absolue du soit disant martyre consenti. L’anti-héros est prêt.
Il n’a pas
raison ? Peu importe : il a le pouvoir de se donner raison. S’inscrivant sur le grand marché de la
martyrologie, sait-il que sa victoire intérieure sera de courte durée ?
Tant l’illusion et la folie sont les moteurs pervers des héros négatifs. Leur
carburant fétide pour embraser les destins, perdus d’avance, de ceux qui,
n’ayant plus rien à perdre, jettent toutes les vies – les leurs comme celles
des autres – aux horties de l’Histoire.
L’infernale
mécanique du retour au même et à l’identique a gommé toute altéritéet creusé un vide cérébral abyssal. La
radicalité a mystifié l’exigence. Tué l’intelligence.
Produit
pervers de l’effet miroir, la haine est fille du désespoir.
Haut les cœurs et bas les masques ! La
reconnaissance documentée de nos chers doubles prend fin sur un air lancinant,
une litanie familière. L’impression demeure que ces multiples peaux se sont un
instant évanouies, découvrant un original délivré de ses oripeaux. Une identité
nue, enfin apaisée de se redécouvrir elle-même. Comme une idée neuve à explorer.
Avant qu’elle soit remodelée par
d’autresmasques, inévitables, prêts à
la recouvrir.
Que
reste-t-il quand on fait comme si rien ne s’était passé, comme aux premiers
jours du monde ? Quelle impression l’emporte ? Quels interstices
entre le tragique du pire organisé par le théâtre des Anciens et celui du
dérisoire chanté par les Modernes ? La vie répond qu’elle mérite
simplement d’être vécue. Qu’elle se veut à la fois dérisoire et digne de notre intérêt, comme une
pièce de Tchékhov qui se jouerait sur un air de Schubert.
On ne vit
toujours qu’une première fois, comme un brouillon perpétuel de sa propre
existence. A défaut de se raconter des
histoires, le défi nous appartient de faire de notre histoire – ce cours d’âge unique – laplus belle œuvre possible. Tout en sachant et
acceptant qu’elle n’aura qu’un temps. Il nous reste cet entre-deux neutre, d’un
gris acceptable : celui exprimé par la sagesse modérée de Montaigne ou la
forme de consentement de Camus : le monde n’est là pour personne et il
nous reste à porter notre lucidité jusqu’au bout. Vivons les pieds sur terre, compagnons !
Au sortir du
carnaval mimétique, nous gardons la trace de nos masques comme de multiples
greffes de visage successives. La peau de chaque facies s’est épanouie à chaque fois, réanimée par les regards qui
se posent sur lui dans un flot de rires, de cris et d’étreintes. Autant que de
rejets, de reproches, de critiques. L’illusion scénique peut se muer en vérité
passagère, le temps de la pièce : chacun joue à être pris pour... dans une ronde où les costumes de théâtre valsent
devant nos imaginaires médusés et joyeux.
Suspendre, la
durée d’une réflexion, le jeu permanent des masques, la répétition parfois
ironique de leur manège, c’est se donner l’occasion de décrypter l’être
étonnant qui dépasse infiniment ce qu’il a vécu, ce qu’on voit de lui, ce que
le monde a fait de lui. Reconnaître enfin cette part invisible de nous-même qui
nous fonde et à laquelle nous ne renoncerions jamais sans doute tant elle nous
est chère. Celle qui nous permet, au-delà de toute tendance à épouser des
modèles, de penser le cosmos tel qu’il se présente et s’impose à nous :
d’une présence non négociable. Et si l’univers n’est pas là pour nous, un
corollaire se déduit naturellement : nous ne sommes pas là non plus pour
le satisfaire, mais pour inventer les formes les plus larges, les plus libres,
de notre être au monde.
Autour de
nous, quelque part dans la conscience universelle, se font écho les Voyageurs de l’esprit : poètes,
romanciers, philosophes, artistes nous murmurent les échos troublants de nos
origines, celles qui renvoient à notre formation intellectuelle et sensible.
Par quel miracle renouvelé parviennent-ils à peupler nos idées, nos images,
d’une densité, d’une texture issues de la terre, de l’eau, de l’air ? Sans
doute nous apprennent-ils qu’il existe deux temporalités en nous, où chaque
instant est lourd de ce qui précède. L’une signe notre appartenance au rythme
terrestre, social. L’autre nous révèle à une intimité qui nous fonde car elle
nous parle de nous-mêmes. Et il arrive que souvent la première recouvre, plus
ou moins lourdement, la seconde. Au point de risquer l’étouffer.
A nous de
retrouver, dans le fatras des appartenances les plus diverses, le noyau qui
nous constitue : part d’enfance, d’apprentissage, de culture… tout ce qui
fait notre flux de conscience personnel. Et de ne pas être dupe des multiples
costumes que la vie ne peut manquer de nous faire endosser, tant bien que mal.
A la manière
du jeune Sartre des Mots, s’efforçant
de ne pas ignorer sa double imposture :
« Je feignais d’être un acteur feignant d’être un héros. » Le même
devenu adulte concluant, en réponse à la question « Que
reste-t-il ? » : « Tout un homme, fait de tous les hommes,
et qui les vaut tous et que vaut n’importe qui. »
A SUIVRE... (à paraître en OCT 2017)
SENTINELLES DE PAPIER
CENT VIES DE PHILOSOPHES
Etre ou
savoir ? Vivre ou réfléchir ? Agir ou penser ? L'alternative se
pose là. Comment vivre sans se regarder faire ? Comment trouver en soi la
force de poser des actes sans se préoccuper de ce qu'ils rapportent ?
Les philosophes ont tenté de répondre à
ces questions. De Socrate à Bergson en passant par Rousseau et Nietszche, leur
tout premier acte fut sans doute de se mettre en marche. Comme il parle et
comme il pense, « l'homme est un temps à deux pattes », selon le mot
de Jankélévitch.
Outrepassant fièrement les silences
percutants de la pensée en cours, l'homme du commun osera un « penser
c'est bien beau mais... » : la vanité du concept ne guette-t-elle pas
son auteur lorsque l'idée ne débouche pas sur du concret, du palpable ? A
bien considérer l'histoire de la philosophie, combien de gestes furent joints à
la parole chez nos nobles penseurs ? Interrogation d'autant plus
pertinente que l'activité philosophique ne débouche pasnécessairement sur une réponse obligée. Elle
appelle question. Et c'est là pourtant que peut naître et s'épanouir la
« beauté du geste » vantée par Jankélévitch.
De même que la pensée fait parfois
rengaine, il arrive que le geste trahisse le souci de trop qui échappe, l'acte
manqué qui dévoile, le symbole s'érigeant au fil d'une attitude qui fuite. Où
finit la pensée et où commence le geste ? Quelle secrète frontière sépare
nos intérieurs invisibles de l'extérieur en mouvement ?
Tapi derrière sa fenêtre, le philosophe se
glisse dans la peau de l'observateur aux aguets. A quel moment se projette-t-il
physiquement dans chacun des passants qui s'agitent en contrebas, le long de la
rue ?
A l'image de la fenêtre nous séparant du
monde, la limite qui borde nos paupières alourdies est la membrane infiniment
élastique de nos imaginaires en attente. Elle frange nos rêves d'un surplus de
précaution où dominent la pensée et la parole. La raison et la prudence.
Mais l'appel de l'aventure exige
plus : il nous désire au risque d'un corps qui parle, d'un mouvement qui
s'ébauche, au gré d'une émotion qui nous soulève, nous dépasse. Malgré nous. De
la tête au corps, il y a parfois divorce. Et continuité pourtant. Sans crier
gare, l'idée se laisse aller à s'incarner, à fuiter par la fissure qui s'offre,
la lézarde qui court, l'aubaine qui réjouit.
Voyez le philosophe jubiler, blotti à
l'affût de la toile de Marc ChagallParis
parla fenêtre : il est cette double tête qui jouxte une
ouverture au bord du monde, entre intimité et air du large. Oui c'est bien lui,
là au premier plan, en bas à droite. En attente, comme son double, le chat
fétiche à visage humain siégeant tranquillement sur le rebord de cette fenêtre
grande ouverte sur la cité et ses intrigues. L'animal circonspect s'adosse au
pan boisé, multicolore, de l'encadrement. Et au-delà ? Toute une imagerie
nous assaille, nous émoustille : des corps qui flottent au loin parmi les
maisons, une silhouette suspendue en l'air comme à un parachute
invisible : ça glisse et ça flotte, la vie s'éclaire d'un grand rais de
lumière comme un spot illuminela scène
d'un théâtre d'acteurs.
Au philosophe de s'emparer de la scène
pour nous souffler ses questions. Et oser ses gestes. On sent sa vie prête à
jaillir par toutes les failles disponibles. Abandonnant pour un temps sa
neutralité naturelle, l'observateur ne va pas tarder à s'impliquer :
action !...
Que nous vaut le plaisir de penser ?
« En ce point est quelque chose de simple, d'infiniment simple, de si
simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire. Et c'est pourquoi il a
parlé toute sa vie » exprime Bergson dans son Intuitionphilosophique.
Un homme se précipite dans le cratère
brûlant du volcan Etna. Image terrible si elle n'était aussitôt atténuée par
celle qui suit : sa sandale en ressort illico sous la forme d'une savate
en plomb. Le drame vire à l'anecdote de bande dessinée.
« Basta !» semble vouloir dire le personnage en guise d'adieu
à un monde qui n'a rien compris Qui ne l'a pas compris lui, en tout cas. Et
pourtant, peu de temps avant encore, c'était bien le même qui allait guérissant
les malades en clamant des vers. Quelle mouche a donc piqué l'heureux
homme ?
On ne comprend rien sans faire retour aux origines. Empédocle est bien
ce héros antique qui aurait fini sa course dans le cratère d'un volcan en
éruption, dixit la légende. Gaston Bachelard, philosophe contemporain, amateur
lui aussi des quatre éléments originels, confirme la fascination exercée par le
cosmos : « Le feu est une figure du destin, un drame qui appelle le
vertige ». La disparition au creux des forces cosmiques comme image de
l'anéantissement : se vouer au feu, n'est-ce pas réussir à devenir...
rien ? Le feu comme comme garantie de purification, de renaissance.
L'espoir fou du Phénix.
L'homme est à part. Il n'a fondé aucune école. Mais il fut honoré de son
vivant, tant il était censé faire des miracles. Constatant la parenté
indéniable de tous les êtres vivants sur terre, il se vante de s'être fait tour
à tour jeune fille, oiseau, poisson, avant de redevenir... plante !
Plusieurs vies pour un retour aux sources. Rien ne naît, rien ne meurt. Tout
agrégat de matières n'est que composé momentané.
Idée inédite ? Son collègue Anaxagore, autre pré-socratique,
l'affirme lui aussi : tout est mélange et séparation. Oui, mais Empédocle
a des principes : ses quatre éléments à lui sont de vrais divinités chez
lesquelles s'agitent deux forces antagonistes : attraction/répulsion,
amour/haine. Qui niera une telle évidence ? Y a-t-il vraiment là de quoi
se livrer aux flammes de la damnation ?
Ainsi notre sphère s'agite en permanence au gré des rythmes cosmiques
qui voient les éléments fusionner, s'accoler, se séparer... à l'infini. En
lutte constante, le monde se disloque, se reforme dans un magma mouvant.
Avouons qu'une tellecuisine nous
échappe souvent. Les combinaisons aléatoires qui résultent de cette lutte
sourde tendent vers un resurgissement des quatre éléments dont Empédocle assure
qu'ils pensent. Merveille des merveilles que cette matière créant
l'esprit !
Une multiplicité de mondes possibles fait jaillir nos vies antérieures,
anticipantune interrogation, brûlante
entre toutes : il n'est pas dit qu'il y ait des hommes dans un monde
prochain. Mais Empédocle le bienheureux veut y croire. Il décrit l'âge d'or de
l'amour-roi, pour nous, êtres errants soumis au purgatoire dans une caverne
infâme. Platon – pas encore là ! - n'est pourtant jamais loin.
En attendant, le pré-socratique nous dispense sans rire ses derniers
conseils diététiques. Au programme, pas d'ingestion carnée et une bonne
harmonie sanguine. A nous d'accroître notre pouvoir pratique sur les choses de
ce monde. Car chaque être, mélange proportionné et singulier, est en soi un
phénix. Le philosophe nous pense sur le modèle du végétal : germer,
croître et féconder... en maîtrisant notre respiration. L'approche bouddhiste,
comme notre moderne méditation de pleine conscience, ne dit pas autre chose. La
bonne conduite physiologique appelle celle de la pensée.
Mais que diable un pareil Sage allait-il faire dans un volcan en
feu ? Un suicide par amour du monde ? On pense aux moines tibétains
s'immolant par le feu. Pourtant, à la fin des fins, sans vouloir jouer les
Jeanne d'Arc ou les Giordano Bruno,la
pratiquecrématoire n'est-elle pas
devenue notre lot commun ?
Nouveau livre paru le 27 octobre 2021
DEFENSE et USAGE de la FRANCOPHONIE par la lecture et l’écriture !
Avec « Eclats de rire », je signe son douzième projet d’écriture. Mon intention ? Faire vivre et partager dans toute sa diversité notre langue française de plus en plus cernée par un globish anglo-saxon colonisateur et délétère. Il y va de notre culture comme de notre identité !
LIGNES d'ERRE
La FORCE de l'INTUITION
LIVRE 11 paru en DEC 2020
Laisser la pensée errer : une rareté qui confine au luxe d’une temporalité désormais perdue ? Qu’est-ce que sentir, apprendre ? Rêver ? Quels liens entre qui je suis et ce que je sais ? Comment la reconnaissance peut-elle faire échec au spectre toxique du ressentiment qui agite notre village global contemporain ? Qu’est-ce qu’un réseau citoyen de savoirs partagés ? Comment le partage magique de l’art peut-il transformer notre école en micro-société bienveillante, fondée sur des rapports de confiance et de coopération ? Comment chacun.e de nous se révèle-t-il via ses œuvres singulières ? Autant de questions originelles propres à enrichir et déployer nos identités personnelles et collectives. Au bénéfice d'un lien social à raviver.
Que signifie « penser » ? Enigme non levée ! Sauf à (se) révéler, via la trace et l’entrelacs, le noble étonnement né de notre autonomie et de notre dignité. Cette question en voile une autre, connexe, touchant à l’esquisse d’une vérité sacrée, qui nous dépasse : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Et, pour éclairer nos chemins, ce viatique puissant : la poésie de l’intuition.
A VOIR SUR : edition999.info/LIGNES-d-ERRE.html
ESPRITS NOMADES
EXILS A L'OEUVRE (TEMOIGNAGE)
LIVRE 10 (paru en AVRIL 2020)
Quelle alchimie peut survenir de la rencontre improbable entre émigrés précaires et sédentaires assumés ? Ancestraux, mouvements de migration et gestes d’accueil appartiennent au cours normal de l’histoire. Leur brutale résurgence pose à nos sociétés consuméristes, hyper connectées, la question lancinante du socle des valeurs à sauvegarder.
L’expérience partagée ici, au plus près du quotidien de nos territoires, témoigne d’un échange et d’un enrichissement possibles entre des migrants contraints à la fuite et les exilés de l’intérieur que nous sommes tous à des degrés divers. Elle débouche sur l’opportunité de faire œuvre ensemble autour d’une quête et d'une estime de soi qui nous transcende. Elle nous parle de l’exil comme d’un lieu de révélation possible de cette création. Celle d’une reconnaissance mutuelle s’incarnant dans un récit commun porteur de sens.
« Un homme ça s’empêche » écrit Camus en un mantra moral sidérant. « Mon cirque est dans le ciel » clame en écho Chagall dans une vision rêvée aux parfums d’enfance. Reliant ces deux fils à son propre récit de vie, un certain Candide tente de ranimer les feux puissants des Lumières. Entre son Qui suis-je et son Que sais-je, le fils de Voltaire nous livre sa parole en mutation. De l’espace sonore avorté à celui, médité, de la feuille blanche, le geste et l’esprit rejouent leur duo idéal, nous proposant une belle leçon de vie : l’émancipation par la connaissance et l’acte d’écriture.
" LE CARNAVAL DES MIMES ", Dans l'oeil du désir mimétique
Quels liens tisser entre les attitudes du souffleur sur verre au travail, les lubies du collectionneur passionné, un orchestre d’enfants jouant sur des instruments fictifs et… une bonne tête d’équidé placide ? Quels rapports imaginer entre les arabesques d’un corps dans l’espace, les gestes de pudeur d’une femme voilée et les formes palpitantes d’une nature morte ?Quelles affinités pour figurer les feintes du poulpe mimétique, les facéties chimiques d’une comète et la fascination exercée par nos écrans connectés ?
L’imitation inconsciente d’un désir secret nous balade entre fusion et conformisme, désignant à notre insu des modèles à contrefaire. Partout et de tous temps la mimétique est à l’oeuvre. Le monde est un théâtre d’ombres où chacun consent à délaisser un original unique pour des doublures fictives. Un Carnaval des Mimes s’agite sur fond de caverne sociale. Pour le meilleur et pour le pire. Entre fiction et essai, ces courts récits de vie témoignent d’une observation réfléchie du phénomène et en présentent une vision émouvante aux colorations poétiques et philosophiques.
L'auteur inscrit son travail dans les traces de René Girard (" La Violence et le Sacré " - 1972).
Plongés dans le flux du vaste laboratoire lexical, nous assistons à l’éclosion des mots émergeant du bain révélateur de nos émotions. Dilatant nos paysages intérieurs, ils se font les témoins incarnés de nos étonnantes traversées de la nature à la culture. Origines et généalogies, formes et mythes, chroniques et métaphores, esthétique et philosophie trouvent leur port d’attache dans les dédales enivrants de la langue. Là où se révèle la part infrangible de nous-même.
Sous les fins mots, phénomènes et flux de pensée, dont les épures nous troublent, esquissent des récits mouvants, allégoriques. Ceux de nos mutations profondes, incessantes, célébrant la voie plus que la cible. Tous nos sens aux aguets, nous prolongeons l’éphémère des passages. Jusqu’à goûter l’onde qui se propage intérieurement. La vibration intime de nos émouvances.
PHILOJAZZ Petites ritournelles entre souffle et pensée
PUBLICATION
" PHILOJAZZ ",mon 3ème livre, est paru le 1er décembre 2012.
" PHILOJAZZ ", une histoire passionnée du jazz écrite au rythme de la pensée philosophique, à travers l'écoute de 25 standards de la musique afro-américaine. Quand jazz et philosophie, passion et raison, nouveau et ancien monde, savent croiser des forces complices dans une démarche commune d'appréhension du monde...
"PHILOJAZZ" sur FRANCE-CULTURE
Au "Journal de la Philosophie" de François Noudelmann
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
En vad...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrouille
En vadrouille
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS
Dans le cadre de la BIENNALE " PHOTOFOLIES EN TOURAINE ", l'auteur expose à la Bibliothèque de Beaulieu lès Loches, sur le thème de la lumière.
Place à la lumière, matériau premier du peintre comme du photographe. Lumière-matière à modeler, sculpter, transformer. Sublime glaise dont chacun peut jouer à l'infini. De l'évidence scientifique à l'esthétique picturale, la lumière surgit, rayonne, diffuse, réfléchit, colore, voile révèle. Et quand elle s'absente sur la fine pointe de ses radiations, c'est en nous confiant le vestige d'une réalité au creux même de la pensée. Convertie en essence philosophique, sa clarté en vient à célébrer la joie mobile de l'esprit. Irait-elle jusqu'à nous livrer la clé des songes ?... Fiat lux ! ... Que la lumière soit !...
ARAGON / FERRE
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps
J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles
Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent
Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune
Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'Homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais
Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon Amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante
Je passe le temps en chantant Je chante pour passer le temps
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LAZULIE
CHAGALL (détail)
CHAGALL (détail)
PARIS PAR LA FENETRE
MARC CHAGALL 1913
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
MUSEE
MUSEE
MUSEE
MUSEE
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAU ICEBERG 1
VAISSEAU ICEBERG 2
VAISSEAU ICEBERG 3
VAISSEAU ICEBERG 4
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LE BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ...
... La tempête a béni mes éveils maritimes Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes Dix nuits sans regretter l'oeil niais des falots
... Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes Toute lune est atroce et tout soleil amer L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !...
Arthur RIMBAUD Poésies
ALBERT CAMUS "Noces à Tipasa"
Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.
L'hiver, le soir : alors, parfois, l'espace ressemble à une chambre boisée avec des rideaux bleus de plus en plus sombres où s'usent les derniers reflets du feu, puis la neige s'allume contre le mur telle une lampe froide
JACCOTTET "A la lumière d'hiver "
RENE CHAR
Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette langue inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
APOLLINAIRE " CHANSON DU MAL AIME "
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir...
... Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise...
VERLAINE / BRASSENS
COLOMBINE
Léandre le sot Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson Cassandre sous son Capuce
Arlequin aussi Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous Ses yeux luisant sous Son masque
Do mi sol mi fa Tout ce monde va Rit chante Et danse devant Une frêle enfant Méchante
Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent leurs appas Et disent : " A bas les pattes ! "
L'implacable enfant Preste et relevant Ses jupes La rose au chapeau Conduit son troupeau De dupes
Charles BAUDELAIRE
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière...
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes; Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
" UN BALCON EN FORET " Julien GRACQ
Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente Julien Gracq se fait pour nous guetteur muet des sylvestres solitudes. Le coeur de la forêt refuge et prison à la fois carrefour d'histoire à poésie de poésie à géographie. Gracq rêveur éveillé des toits et des belvédères agissant et se regardant agir dans l'épais silence des layons filant à travers bois vers le val de Meuse en contrebas. Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente où l'espace et le temps s'estompent infiniment lecture et art fusionnent étrangement ...
Paul ELUARD " L'Amour la poésie "
La terre est bleue comme une orange ...
Les guêpes fleurissent vert L'aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre Sur les chemins de ta beauté
Les idées sont des succédanés des chagrins
Marcel Proust
Au coeur des paysages s'inscrit l'étoffe des rêves comme autant de pays sages arpentés sans trêve
La langue est la peinture de nos idées RIVAROL
La plupart des gens meurent sans avoir vécu. Heureusement, ils ne s'en aperçoivent pas.
IBSEN
BLOGS AMIS La Passée des Arts
Bleu de cobalt
L'Estro Armonico
Infime est la portion de vie que nous vivons SENEQUE
Une preuve du pire, c'est la foule SENEQUE
C'est quand il n'y pas grand'monde qu'il y a grand'chose PREVERT
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
René CHAR
L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps
MACHIAVEL
On ne retrouve jamais le commencement du commencement, mais toujours l'aurore d'une vie nouvelle JANKELEVITCH
BHAGAVAD GHÎTÂ
En haut, ses racines, en bas, ses branches, tel est l'arbre cosmique immuable. Les hymnes en sont les branches. Qui le connaît connaît la connaissance.
Krishna
RIMBAUD Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond [,] À genoux, cinq petits, — misère ! — Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond [.] Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Quand, pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche, On sort le pain, Quand, sur les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie Ils ont leur âme si ravie, Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières, Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
APPRENDRE ?... UNE ALCHIMIE
Le sage montre la lune, le sot vise le doigt. La scène a valeur de fable. Déjouons-la pour mieux la rejouer. Voici que le sot présumé glisse son regard vers la face joviale de l’astre… jusqu’à le plonger sur son versant caché. Dans le secret gardé des choses, ce lieu de la conscience né de l’épaisseur de qui nous sommes. Notre apprenti – ce frère universel en puissance – se fait soudain plus sage que… le sage lui-même. La leçon a valeur de tremplin. Par où diable est-il passé ? Quels subtils chemins de traverse a-t-il arpentés ? Son parcours tient du labyrinthe mêlé, complexe, d’une gestation aux ressorts intimes dont lui seul détient les clés. L’instant d’apprendre ?... Il le nourrit d’abord d’un souffle alterné, au rythme d’un échange gazeux. Son corps et tous ses sens émergent, vestiges en nous de l’animal qui s’apprête à bondir. Sa tête aussi, sentinelle aux aguets comme un cœur qui bat. Et l’esquisse d’un geste d’attention, l’adresse d’un silence, d’une promesse de soin faite à l’objet d’apprentissage. La connaissance n’en finit pas de s’amorcer dans l’attente de son plaisir différé. Muette et patiente épiphanie. Surprise d’une promesse neuve comme un phénix. Elle n’oublie pas qu’elle est naissance toujours revisitée. Co-naissance, re-connaissance. Rappel bienvenu d’un état croisé dans une autre vie ? Savoir inscrit, toujours remémoré ? L’objet se tient là, le futur sage se sent prêt. Tout en lui vise, pointe, prévoit, anticipe. Gourmande à l’avance. Présent à soi, il sent qu’il entre en état d’initiation, en accès à cette part de lui qui sait… qu’il ne sait pas encore. Attente pleine, concentration… Et bascule. Le cœur du geste d’apprentissage advient telle une évidence longtemps retenue, contenue. A l’image d’un désir qui migre, l’instant survient où tout s’éclaire, l’espace d’un frisson qui entre en résonance avec son objet, le comprend, l’appréhende, le saisit dans sa singularité touchante. Via l’émotion, le corps et le mental réunis. Passage entre frôlement et impulsion. Force de l’évidence. Vertige provoqué et relâchement des sens. Ajustement des liens.
L’après s’annonce déjà, comme l’éclaircie suit l’ondée féconde, l’averse gonflée de ressources. En nous guette encore la vigie grisée d’une veille attentive. Avant que n’advienne le sursis né d’un trop plein de tension. Escale bienvenue que ce moment où le créateur suspend l’œuvre parvenue à son apogée. Le climax d’une attente dès lors comblée, assouvie. L’euphorie pleine des promesses du travail accompli habite l’élève, désormais initié. Tel un vin nouveau, le savoir du jour est arrivé. Rien ne sera plus comme avant. Notre tronc toujours en croissance vient s’enrichir d’une strate fraîche qui fait lien vers la totalité de l’arbre – multiples rhizomes – que nous formions déjà. Somme d’instants anciens, familiers, prêts à se réactiver à tout moment. Gisement de ressources liées à notre récit personnel, unique en son genre, inscrit dans ce que nous ne cessons d’être. Une continuité en mutation. L’apprentissage appelle la transmission, comme sous le matin qui blêmit la rosée s’attarde. Que faire d’un magot dormant ? D’un pactole froid ou d’un astre éteint ? Alors que le plaisir de savoir se dédouble, se redouble à l’infini d’un délice qui dure, s’étale, prend ses aises. La connaissance nous a transformés. Et voici que l’élève appliqué mute en professeur curieux. L’acte d’apprendre vient de trouver sa seconde vie : enseigner. Est-ce une autre histoire ? Ou la même qui lui ressemblerait comme une sœur ? De quel bois sommes-nous faits ? Notre personnalité se révèle ici en compagne accueillante qui sous-tend, anime et ravive nos apprentissages. Elle est ce lieu précieux d’une rencontre à explorer entre ce que je sais et qui je suis…
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