Traversé par
un mal sourd, ce monde-ci prend la marque infâmante du scepticisme à l’œuvre.
L’épidémie fait de nous des citoyens sans ethos.
Aliénés, impuissants, tributaires d’une foule anonyme dissoute dans un bouillon
de culture pathogène.
Mimant les
germes malins, passions et idées prolifèrent, se répandent en échanges,
transmissions, interactions. Un flux d’informations alarmantes, souvent
contradictoires, électrise nos synapses à la vitesse de l’éclair. Des capteurs
mouchetant les cerveaux permettraient d’exhaler la petite musique ronronnante
de la rumeur colonisant nos pensées les plus intimes. Ca pense comme ça coule,
en fluide.
L’épidémie
du bouche à oreille accouche d’une infernale psychose. La rumeur en écho transforme le n’importe quoi –
un fiasco, objet minimum, ordinaire,
commun – en une histoire unique, singulière, qui mérite d’être racontée.
L’idée, le récit, se dupliquent en écho, se répliquent à l’infini. Le fait brut
est lancé comme un pavé dans la mare publique. Tel un virus, il s’accroche et
court d’organisme colonisé en volonté annihilée. Le mécanisme s’active en
contagion. Mots et objets se contaminent pareillement.
Ainsi copié,
dupliqué, le virus nous mène droit à l’accoutumance, à l’addiction. Tic choppé.
Image en direct – tournoyante jusqu’à l’obsession – du geek multiplicateur accouchant d’une vidéo en boucle sur la Toile.
L’habitude de la réception s’installe, rend disponible, et cette disposition
toute neuve nous fait plus réceptifs encore. Processus exponentiel de l’avancée
en réseaux.
Dormez
braves gens ! Le conte populaire apaise en nous l’enfant, redisant à
satiété son apaisant récit. Le thème musical rythme nos obsessions sonorisées.
La parole politique endort jusqu’à nos instincts de survie. La contagion des
imaginaires est en route. Toujours en avance d’une épidémie. Répétitive, notre
mémoire s’embourbe dans un terreau propice aux idéologies rampantes. Nos
identités se diluent dans un murmure lancinant. Le phénomène épidémique impose
un présent totalitaire à nos raisons figées.
La pandémie
souffle désormais l’affreux vent de mort du fanatisme.
VOISINS
C’est la fête des voisins. Vieux rêve déguisé ou
cauchemar récurrent que cette obligation annuelle de camaraderie urbaine,
civile ? Forcément civile. Il est loisible de saisir cet instant unique
d’un glissement : celui où l’injonction sympathique s’érige en gentillesse
organisée. L’espace de quelques heures y suffira. Durée bénie, temps suspendu
où la mitoyenneté se mue en citoyenneté.
Voisins, il
vous arrivait d’être le problème ? Vous êtes désormais la solution. Voilà
que l’on vous fête. Illustre anonyme, chacun de vous devient soudain aussi
célébré que le Soldat Inconnu. Riche idée que celle où l’on vous intronise,
sans coup férir, au rang de « prochain » à chérir plus que tout au
monde. Surtout ne pas se rebeller. On serait bien capable de nous inventer la
fête du reproche.
Voisinage.
Proximité de hasard ou de nécessité, par présence objective plus que par goût
réel. Habiter est affaire mentale, histoire de représentation. Etranger à son
voisin, on n’en reste pas moins exposé à son regard. Vigilant ou neutre,
délateur ou indifférent, absent ou attentif voisin, quintessence du voisinage.
Sous votre œil scrutateur, présumé envieux, nous vous haïssons tendrement,
petits big brothers omniprésents. Solidaires
par obligation, nous formons avec vous la grande marmelade des hommes dans
la ville, chère au poète.
Irions-nous
jusqu’à nous grimer sournoisement pour adopter votre aspect, vos
attitudes ? Raser les murs, être tout
comme, comble du mimétisme avoisinant.
Après tout, nous infiltrer, nous glisser dans l’identité d’un autre proche
permettrait de nous délester un temps de la nôtre, un tantinet routinière
avouons-le. Test édifiant de mutualité positive. Belle preuve d’abandon au
monde tel qu’il va.
Voisinage,
pâte molle, indistincte, à pétrir au gré de nos errances du moment. Vous êtes,
voisins, le miroir de nos enthousiasmes comme de nos inconséquences. Vous
figurez l’enjeu d’une vertu réputée enfin accessible, le prix de l’excellence
ouvert à tous : tendre au rang de citoyen responsable. L’avoisiner à tout
le moins.
Cher voisin,
tu demeures pour nous le chaînon rassurant, toujours en attente de
vérification, de nos attraits collectifs. Qu’advienne la preuve de méfiance de
trop et nous nous replions sur nous comme des escargots. Que tu nous attires à
nouveau dans les rets communicatifs d’une ferveur de bon aloi, et nous voilà
aspirés dans l’amour inconditionnel de ce prochain soudain si proche. D’une
empathie qui cerne, ou concerne ?
Comment
demeurer fidèle au cœur d’une émotion avoisinante,
constant dans sa culture de l’entourage ? Il y faudrait une quotidienne
fête des voisins. Nul doute qu’une enquête de voisinage rondement menée
lèverait nos derniers soupçons, nous redonnant définitivement le sens originel
d’une sympathie légitime, d’une coopération fraternelle. De celles que l’on n’a
pas envie de resquiller.
Pour nos
chers voisins, ces autres nous-mêmes, c’est tous les jours la fête !
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