vendredi 3 juillet 2015

Bill Evans Trio - Nardis




 

LE CARNAVAL DES MIMES  (1)

 
 

CLINAMEN

    L’homme écoute le silence. Comme il sait voir le vide. Silence et vide, il sait les faire chanter. Depuis son rivage, il regarde s’agiter le monde. Avec l’art de demeurer à distance pour regarder et bien voir. Télé-spectateur  à l’antique, son bonheur peut dépendre d’une simple pluie.
   Comme tous les enfants, le poète est fasciné par les innombrables grains de poussière s’agitant en tous sens dans un rayon de soleil matinal. Son clinamen  à lui est l’ancien nom donné au mouvement brownien, fourmillante turbulence de cellules sous l’œilleton du microscope. Là où particules et molécules folles font s’agiter son inframonde, invisible au passant ordinaire.
   Tout s’affaire à son rythme propre, rien ne naît de rien. Les atomes s’agencent au gré de chutes hasardeuses, aléatoires, d’où jaillit la matière. Pluies fertiles d’éléments natifs. Poussière et lumière mêlées évoquent les rapports entre humains. Rencontres physiques, mystérieux entrechocs qui figurent aussi le sentiment amoureux. De la chute de pluies diverses naissent toutes nos vies.
   Giboulées rigoureusement verticales, sans variation ? Sans déviation ? Sans erreur ? Non. Ce sont d’infimes écarts dans la trajectoire de ces chutes qui créent justement du nouveau. Il arrive que les atomes dévient de leur chute programmée. Ronds, durs, lisses ou crochus, on les imagine à la ressemblance de notre monde connu. Derniers – et premiers – degrés de la matière, ils sont divisibles à l’infini, encore et toujours providentiels. Dans les courses au destin, leur chant naît du silence. Comme l’animé sourd de l’inanimé.
   Clinamen, imperceptible variation du destin qui contrarie le rectiligne ordinaire, attendu, pour nous offrir l’écart, la dérive originale d’où surgira le surprenant. Le déconcertant, l’étrange. La vie naît de l’agencement fortuit de l’inanimé. Des blocs de météorites, déchets refroidis d’astres bouillants, s’agglutinent dans l’espace pour refaire de la vie. Sempiternel mécano de la matière.
   Entre chaos et ordre, la pluie d’atomes ouvre les horizons de notre liberté. Elle rend possible un passage à inventer. Entre désordre de relations multiples et affolées où chacun cède aux émotions et entretient leur flux électrique. Et désir de comprendre, d’expliquer, d’imaginer d’autres lieux où vivre l’utopie.
   Notre monde bouge, rien ne semble devoir rester immobile. Il est un texte dense que l’œil parcourt en s’accrochant à des parcelles de sens qui l’interrogent : les idées sont-elles des corps ? Ne sommes-nous que des agrégats d’atomes ? Et si la matière est divisible à l’infini, comment atteindre le principe de toute chose ?
   Captée dans l’infiniment petit, l’image d’un synapse serait-elle la photo d’une idée ? Une manière de porte manteau cérébral ? La matière, substrat de toute chose, fait pleuvoir ses éléments dans une précipitation constante, patiente, silencieuse.
   Macrocosme et microcosme s’assemblent dans une même image de fourmillement des corps, de séparations et de rapprochements successifs, incessants.

   Pas de deux dansé entre hasard et nécessité. Clinamen, tango céleste

 
 

 


INTIMUS CIRCUS
   Un discret chapiteau rouge posé là comme par magie. Les gradins surplombent une petite piste ronde enchâssée parmi les spectateurs. La minuscule arène est cernée de loupiotes aux couleurs de l’étrange. Ce que vous verrez là aura la tonalité à la fois crue et tamisée des rêves et des souvenirs. Et le charme entêtant d’un filtre enchanteur. La poésie de cet art, c’est son imaginaire de baraque de foire.
   « Fais pas ton cirque ! », intime-t-on aux enfants turbulents. Inversons cet appel au calme pour en faire un désordre joyeux, une pagaille organisée. Un droit à la mélancolie aussi. On se sent vite pris dans les filets délicats d’un climat d’étrangeté, inquiétant par moments, surréaliste souvent. Voici les clowns blancs. Le diable rouge. Les clowns noirs. Et puis toutes les images fantomatiques et saisissantes du cirque, comme dans un théâtre d’apparitions auquel il faut s’abandonner sans résistance pour ce qu’il convoque d’émotions pures, viscérales. Il y aura donc des clowns, des dresseurs de fauves, des acrobates, des jongleurs. Des pantins, des marionnettes, des automates. Et leurs diaboliques tireurs de fils, en coulisse.
   Et puis de l’action, du geste – de la geste –, des prouesses. Homme-Hercule et diablotin ailé s’aimantent, se repoussent. Leurs corps jonglent l’un avec l’autre, comme le feraient deux pôles irrésistiblement jumeaux. Leurs mimiques épurées suscitent des ébauches de songes. Force et grâce, ces deux-là font l’essence du spectacle vivant. Un pantin exécute un numéro de barre fixe, lancé dans l’espace par une impulsion mécanique, mystérieusement animé par un jongleur qui fait tourner la barre sur un rythme saccadé. Le pantin sidère en mimant l’acrobate humain. Ces héros du cirque figurent le pliable et le manipulable à l’infini. Ils sont les métaphores de l’homme-marionnette, du Polichinelle si cher à la comedia del arte. Tradition et modernité s’explorent dans une passion mutuelle.
   Un duo de clowns – des augustes – drôles, menaçants, troublants, mettent en scène le désir de battre, de gifler, de mordre. De tuer ? Les clowns mêmes seraient-ils devenus méchants ? Retournement inquiétant des valeurs.
   Dans leur arène de poche circulaire, tous affrontent le vide et la mort. Sans avoir l’air d’y toucher. La muleta agitée ici et là est le rideau rouge de notre petit théâtre intime, entre fantasmes entrevus et bravoure folle.
   Le cirque, seule école de vie où l’athlète et le clown – le muscle et l’émotion – savent se tenir la main, faire bon ménage. La palme va au marionnettiste qui, dans la coulisse, manipule tous ces corps qui jubilent. Il est le grand maître de la pantomime ambiante.
   Entre clameur et silence, le cirque fait son théâtre, ou l’inverse. Tous mêlent leurs histoires et l’insatiable plaisir de jouer les noces irréelles entre forces du ciel et de la terre. Entre veille et sommeil, rêve d’enfant ou chimère d’adulte, le cirque c’est celui que l’on se crée. Lorsque les impressions diurnes s’éclipsent au profit de la fantasmagorie des songes. Rondes d’images parfois teintées de blues.
   Le carrousel de nos vagabondages d’enfance.
 
 
 
   CHEFFERIE
   Hymne martial et coups de menton. Le drapeau national flotte fièrement au vent de l’Histoire. Le bon peuple a besoin de signes pour sentir battre son cœur, se féliciter d’en être, se rassurer collectivement. Le patriotisme citoyen s’incarnera toujours dans un personnage à la mesure du récit national. Et pour reprendre ce flambeau sensible en s’extrayant du lot, certains savent surjouer les postures hautaines, faussement graves et risiblement nobles.
   Expert dans l’art de cultiver son rapport à la verticalité, l’homme providentiel a bonne presse. En père protecteur, il offre son giron rassurant à tous les grands enfants que nous sommes restés, en quête d’affection, de reconnaissance, d’espérance. Le pays est une grande famille à gérer, à sauver, ou à remettre dans le droit chemin. Et le vrai chef sait se trouver toujours là où il convient pour imposer sa loi aux fratries belliqueuses.
   Autoritaire, le passé pèse du poids des habitudes, des rites, des institutions mises en place. Il plane un climat bon enfant lorsque les regards se fixent ensemble – comme un seul homme – sur la ligne bleue des Vosges. Mais un simple regard sur l’Histoire vient nous rappeler qu’un mythe ancien et partagé alimente la fabrique contemporaine, et toujours d’actualité, de l’homme providentiel. Comme il nous faut le pain et le vin quotidiens, nous ne pouvons nous passer de nos grands hommes. La verticalité nous rassure tant elle nous tient confortablement hors du jeu des responsabilités. Quand la chefferie perdra-t-elle cette aura sacrée qui plombe, sans qu’il s’en doute vraiment, le citoyen ordinaire ?
   L’émergence moderne de mouvements sans leaders – les Indignés, les Anonymes – dit notre aspiration à plus d’horizontalité. Pendant des siècles, on a ressassé aux masses qu’elles ne sauraient survivre sans chef pour les guider. Avec, en toile de fond, le péril sourd des infantilisations rampantes. Jusqu’à quand la virilité à l’ancienne poursuivra-t-elle sa tâche démobilisatrice ?
   Il est urgent de démythifier tous les sauveurs potentiels, tenants têtus et douteux d’une épopée permanente. L’autorité pyramidale a vécu. Une nouvelle matrice esquisse enfin la figure proche du chef d’équipe, animateur à l’esprit coopératif. Le patron de droit divin, claquemuré dans son bureau, loin de ses salariés, semble avoir pris du plomb dans l’aile. Chacun avait pris l’habitude de camper sur des positions stéréotypées : le chef au sommet de la pyramide, la base plongée dans l’anonymat. Et la conséquence probable du choc frontal en guise de relation d’autorité.
   L’intelligence sociale, basée sur des comportements plus horizontaux, ouvre de nouveaux critères du travailler ensemble : rassembler des équipes, déléguer et faire confiance, communiquer, mobiliser. La légitimité du dirigeant devrait reposer sur la justice et l’exemplarité. La médiation veut  s’instaurer en règle commune, permettant d’alléger les conflits, remobilisant des troupes apaisées et recentrées sur la tâche. En toile de fond, l’instauration d’un pragmatisme vivable. A hauteur d’humain.
   La sempiternelle épopée verticale a pris figure de carton pâte.
 

 
DEMOCRATIE
    Déni et absurdité. Les choses tournent en rond, n’en finissent pas d’alimenter une ritournelle devenue insensée. Le citoyen démocrate assiste médusé au délitement du système qui s’affichait pourtant comme celui de la vie bonne. Toute une manière de penser, d’organiser le monde se dilue dans une impasse à laquelle il participe pourtant… sans le savoir – ni le vouloir – vraiment. Et sans adhérer activement au droit de donner son avis. Que reste-t-il du « parler, écouter », bases du débat, le cœur battant de l’exercice démocratique ?
   On laisse inoccupés de très nombreux logements citadins qui pourraient dépanner des milliers de sans-logis abandonnés à la rue. Croyant bien faire, les responsables publics autorisent la création de parcs d’attraction grandioses qui dévorent des espaces naturels irremplaçables, dédiés au bien commun depuis des lustres. Logique implacable du « détruire pour créer ». Nos Etats de droit s’entendent au plus haut niveau pour acheter un droit à polluer devenu naturel. Nos responsables élus cèdent devant des pouvoirs financiers toujours plus voraces et directifs. Les affaires privées soudoient les intérêts publics. Que reste-t-il de nos parcelles de liberté collective, de solidarité active ?
   La démocratie meurt à petit feu, faute d’être pratiquée dans le débat citoyen. En lieu et place, les médias mettent en scène des caricatures de disputes qui virent à la parodie permanente. Laïcité, vie collective, intérêt général, les mots se vident de leur sens et de leur vertu, à force d’être répétés sans effets, sans suites données. On n’y croit plus.
   Les « urnes » sont délaissées, accentuant encore l’impression ambiante de grande fatigue démocratique. Pourquoi confier le pouvoir à des gens qui mentent par omission pour se faire élire, avant d’oublier ensuite leurs engagements ? A parole publique dévoyée, désert électoral assuré. L’exercice de la représentation citoyenne s’épuise. Le dictionnaire lui-même ne donne-t-il pas un premier sens inquiétant au mot « urne » : vase qui sert à renfermer les cendres d’un mort ? Le présage ne manque pas d’être troublant.
   Une longue et lente fatigue démocratique nous envahit. Et nous pousse à laisser souffler un grand air de désenchantement.
   C’est oublier un peu vite que nous vivons dans les sociétés les plus libres, les plus tolérantes, les plus riches et les moins inégalitaires que l’histoire a connues. Comme tout ce qui est bon, la démocratie ne brillerait-elle que par l’hypothèse de ce que nous serions en son absence ? Ne séduirait-elle vraiment qu’au moment de son établissement ? Avant que l’on en oublie aisément les vertus et avantages pour la considérer comme un simple dû ? Manière simpliste de voir le don : à sens unique.
   Mais la vie associative est là, toujours aussi riche, multiple. Et avec elle le souci accordé au plus proche, l’exercice simple et naturel de la compassion, la dynamique du travail commun, la recherche et l’accomplissement de projets collectifs. L’attention à chaque membre de l’ensemble porté par tout membre de l’ensemble. La société demeure alors ce corps composite qui dessine la silhouette en creux du peuple vivant.
   Le demos n’est pas mort, il bouge encore.
 
 
 
 
 
   ANTIHEROS
   Bardé de sa rancœur et de toutes les frustrations accumulées, le terroriste avance avec l’assurance du droit acquis, conquis, requis. Derrière lui, l’armée silencieuse de ceux qui le soutiennent, là-bas, veut-il croire. Devant lui, l’avenir radieux du martyr qui sacrifie sa vie pour une cause qui le dépasse. Et qu’il n’a surtout pas pris le temps d’examiner avec sa raison. Quelle raison ? Réfléchit-on lorsqu’on est mû par la haine aveugle propre à l’exclu ?
   Car il n’est rien, ne se sent rien, n’aspire plus à rien. Il est – se veut ? se proclame ? – le produit avarié d’une société pour lui vide de sens. Son déchet avéré, désigné. Plus que du doigt, des yeux. Du siège-même des émotions. Arpentant la ville de son enfance, Il ne reconnaît rien ni personne. Personne ne le voit. Il n’en est pas. Il a intériorisé avec le temps un espace qu’il a transformé en prison intérieure. En ghetto. A force d’ondes négatives vérifiées, accumulées, il a devant lui les preuves d’une exclusion qu’il veut injuste, féroce, irrémédiable. Il en a déjà pris acte, parcourant un à un les affres minables de la petite délinquance. Mais rien ici pour se faire reconnaître valablement, durablement.
   Comment passer du mépris de soi à la haine des autres ? Comment surtout rendre sacrée cette rage qui l’habite, le hante, l’excède ? Sinon en donnant à son mal-être un sens qui le dépasse, celui d’une justice ordonnée d’en haut, par un Très-Haut. Même s’il ne le connaît pas. Surtout s’il ne le connaît pas : il se veut proche, d’emblée, de ce Grand Anonyme qui lui ressemble et dont il se donne le droit de confisquer le sceau pour ce qui l’arrange. La fureur qui le dévore en appelle à des nourritures secrètes, occultes, héritées de ses lointaines origines, étrangères à tous ces impies, ces hérétiques qu’il côtoie chaque jour. Le voilà prêt à basculer dans une traversée initiatique qui le confirmera enfin dans l’identité qui lui faisait défaut.
   Lui, le bouc émissaire d’un système qui l’ignore, découvre le pouvoir insensé de retourner aux autres leur regard négatif, de se voir enfin vainqueur dans leur yeux apeurés. Mortel effet miroir. C’est la voie de sa revanche. Le triomphe des absents. Le prix importe peu tant l’enivrement délivre. Puissance du faire corps : on lui offre le statut de héros. Le voici chevalier autoproclamé. Il se sent enfin quelqu’un.
   Tout est bon pour alimenter cette deuxième naissance à laquelle il ne croyait plus. Le voilà prêt à tout, au service aveugle de cette sacralité qui l’a vu renaître enfin. Lui l’ancien banni a trouvé la cause qui fera de lui un héros. Le héros parmi une foule de prétendants avec qui rejouer – à armes égales cette fois – un nouveau spectacle mimétique. Une grand-messe où la surenchère est la règle, où la perfection prend des airs de quête infernale. D’un enfer à l’autre, quelle différence ? Celle de choisir, justement, d’en être ? Celle de la pureté absolue du soit disant martyre consenti. L’anti-héros est prêt.
   Il n’a pas raison ? Peu importe : il a le pouvoir de se donner raison. S’inscrivant sur le grand marché de la martyrologie, sait-il que sa victoire intérieure sera de courte durée ? Tant l’illusion et la folie sont les moteurs pervers des héros négatifs. Leur carburant fétide pour embraser les destins, perdus d’avance, de ceux qui, n’ayant plus rien à perdre, jettent toutes les vies – les leurs comme celles des autres – aux horties de l’Histoire.
   L’infernale mécanique du retour au même et à l’identique a gommé toute altérité et creusé un vide cérébral abyssal. La radicalité a mystifié l’exigence. Tué l’intelligence.
 
   Produit pervers de l’effet miroir, la haine est fille du désespoir.
 
 
 
 
 
SOUFFLEUR
   Retour à la soupe primitive. La boule rouge ondoie, hésitant entre fusion et calcination, fragment arraché à une très lointaine coulée de lave. L’homme la tient au bout de sa canne comme aux rets de son regard fasciné. Son visage perle de la sueur qui accouche. Du matériau brut jaillit l’œuvre en état d’éruption. Passage secret de la nature à la culture.
   Ce que dompte ce moderne Vulcain, c’est un lambeau de pierre de lune. Un peu du noyau des origines abandonné par le créateur au centre de la planète bleue. Vomissure d’étoile, crachure de volcan, le cœur en fusion trahit sa présence enfouie au plus profond, entre pelure et centre nucléaire.
   Par quelle magie la boule de pierre et feu mêlés est-elle en passe de se transmuer en verre cassant et transparent comme la glace ? Le souffleur en tait le jaloux secret. Il n’écoute que son poignet élastique tournant et retournant la canne creuse animée d’un souffle redevenu divin. Mimétique, son geste figure celui du musicien explorant les trésors infinis de la gamme. La main rêve à la pointe de son instrument, comme celle du sculpteur affronte le marbre Ou celle du potier donne forme à la pâte. Menaçante, la boule gonfle jusqu’à enfler comme une géante rouge. Retour aux origines du monde.
   Ardents comme ceux d’un dompteur, les yeux du vulcain fixent la chose en sa métamorphose. Ils guettent, gourmands, l’instant précis du gonflement porté à son acmé, celui où la forme se fait couleur. Oranges subtils, et jaunes d’or épanouis succèdent insensiblement aux rouges de feu. Chronologie chromatique aux fins glissandi de tonalités.
   Ardent rêveur, le maître verrier sait que la difficulté de son métier vient justement de l’apparente fluidité de sa matière. Faire, façonner, fabriquer, créer. Même dans l’atmosphère étouffante d’un four à porcelaine où le visiteur oisif peut croire à l’enfer, l’ouvrier actif n’est plus le serviteur du feu, il est son maître. Et si c’est une rêverie, elle est active, les armes à la main. Et puis chaque travail n’a-t-il pas son onirisme propre ? Chaque matière travaillée n’apporte-t-elle pas ses songes intimes ? L’artisan le sait : on ne fait rien de bien à contre-cœur, à contre-rêve. Ah ! il songe à un temps béni où chaque métier aurait son rêveur attitré, son guide onirique, où chaque manufacture aurait son bureau poétique !
   Imperceptiblement, le verre qui tiédit offrira bientôt ses parois translucides au regard apaisé du verrier appréciant dans ses courbes épurées l’objet de son ouvrage. Ou – occurrence fâcheuse – si la pâte s’est montrée rebelle à sa fantaisie, l’artisan déçu la rattrapera en lui accordant la forme la plus facile à souffler : celle d’une flasque, synonyme d’un fiasco qu’il tentera d’oublier.
  Epuisé, assouvi, l’artisan démiurge peut contempler le fruit de son expir. L’esprit qui anime a su inspirer son geste créateur. Entre souffle, rêve et travail, le geste a conquis la matière.
   Et su atteindre les régions éthérées de l’âme. Anima sua.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

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