"Dans la plaine les baladins s'éloignent au long des jardins ..." (Apollinaire) ...
Arpentons, amis lecteurs, ces jardins chatoyants qui, tels maints livres effeuillés, nous content mille récits ardents dont les figures mémorables pansent nos blessures et régénèrent nos désirs... Pour que ce flux magique continue d'irriguer notre Coopérative idéale : celle des Lecteurs Réunis.
dimanche 17 novembre 2013
EMOUVANCES (6) MAÏEUTIQUES
Chair
de nos mères, paroles de nos pères. Quand la parole prendra-t-elle chair si la
chair est impuissante à livrer parole ? Le fleuve du temps voit chaque
père reprendre insensiblement ses gammes sur le père enfoui avant lui… en
prenant soin du père à venir. Chaque génération penche sur la suivante un
regard attendri, au risque de s’y perdre. Père présence, disparition, force.
Père calme, peur, refuge. Père oubli, patronyme, transparence. Tous pères
solidaires. Et si les pères sacrifiaient leurs goûts, leur consistance, et
jusqu’à leurs rêves pour dédouaner d’antiques pères absents, fantômes demeurés
à l’état de trace, d’ébauche, car trop vite disparus, évaporés ?... Mais
quel père est-il vraiment comptable d’un autre alors que tous le sont par
hérédité ordinaire des âges, sourde voie d’héritage ? Devoir vital
d’échapper au long cortège de la malédiction des pères. Oser sortir de la
lignée immémoriale pour rester au guet d’un chemin singulier et solitaire, à la
croisée de tous ces pères possibles à épuiser… sans en élire aucun.
Père
initiateur, passeur de vie, faiseur de traces en vrac, obstiné bricoleur de
petits riens, entêtant poseur de mots sur tout, inlassable épuiseur des pourquoi et des comment, manitou pédagogue des fines
leçons de choses comme des grands secrets à partager. Père pélican, touchant
cousin de nos frères animaux, prédateur naturel qui s’ignore, bricoleur d’une
oralité ludique et dévoreuse penchée sur la grande marmite fumante des mets et
des objets. Papa poule, rassurant double se glissant dans l’ombre des mères.
Père de passage semant au hasard des désirs, essaimant ici et là, au fil des
rencontres ; mateur indifférent de moissons vite délaissées. Père en attente, éternel jeune homme recouvrant de la cendre du temps sa généalogie
incertaine. Père chef de clan, grand sachem, vivante statue sur pied,
réceptacle des haines comme des adorations. Commandeur pathétique et terrible, ambivalent
gardien d’une morale intangible. Père récit fascinant les enfants de contes
répétitifs immémoriaux, dansant la gigue en compagnie de lutins gouailleurs.
Père toujours au charbon épuisant le réel, épuisé du réel, puits à réel. Père
conseil, père phare, père copain proche et complice des quatre cents coups de
l’enfance. Père peur de ce qu’il a mis au monde et qui le dépasse. Père de la
Nation, recours unique, symbole toujours au garde à vous, tapi dans nos
consciences collectives et dans la nuit de l’Histoire. Petit Père des Peuples,
sourire chafouin et calculs débonnaires, décrétant le Bien - le sien - urbi et
orbi. Père curé semeur de sermons vides ne tombant qu’entre les oreilles de
piafs volages. Père la pudeur, père la vertu, arborant leurs raideurs primaires
et surannées. Camaïeu miroitant de paternités.
Voguant sur
les ailes de sa métamorphose, le père nouveau - avatar animal du vin primeur -
ranime la flamme de l’antique père oublié qui brûle en lui. Brûle de bien
faire, jure de ferrailler hors des abdications et compromissions. Combat neuf,
vivace, toujours repris à ses fondements. A perpète. Défi ordinaire où s’abîmer
insensiblement. Jusqu’à renouer avec le « hors pair », cette parole
qui ranime l’envie, renoue avec d’antiques désirs ; les primitifs, ceux
qui ont modelé l’âme. Origines profondes contre empreintes obligées. Père
trace.
Homme sage.
Père Socrate accoucheur des esprits à défaut d’engendrer les corps. Violence du
questionnement socratique faite au disciple ou à l’élève, à qui l’on propose d’accoucher
de… lui-même, rien de moins. Autonomie construite par le fils qui mène son
raisonnement personnel, édifie sa loi propre. Le savoir est en nous, à portée,
et nous ne le voyons pas ! Pauvres prisonniers d’une caverne obscure, il
ne nous est donné que d’apercevoir des silhouettes dansantes animées par de
vilains faiseurs de prodiges. Nous ne voyons que des ombres, nous n’entendons
que des rumeurs, celles de la doxa,
de l’opinion courante véhiculée par tous. Tandis que la plus intime
connaissance, celle de nous-même, nous échappe… Seul l’électrochoc socratique
peut déciller nos yeux aveuglés, confinés dans la vaine critique des
apparences.
Le père
Socrate. Homme de tous les paradoxes. Face plate, nez camus, narines
retroussées, œil de bœuf, toujours mal attifé, le philosophe le plus incarné
qui soitfait de sa laideur une preuve
de sa… beauté ! Lui le tenant du canon grec Kalokagathia qui fait s’harmoniser beauté et bonté en proportions
égales. Lui le pédagogue portant beau mais laid, bizarre mais rationnel, homme
poli toujours en retard, tempérament de buveur jamais ivre, anti-héros qui fuit
la gloire publique, maître penseur qui refuse de donner la leçon à quiconque,
rationaliste évoquant une révélation divine, révolutionnaire et conservateur au
point de se plier à des lois injustes qui le conduisent à la mort. Homme
complexe à l’image d’une vérité qui l’est tout autant lorsqu’il appartient à
chacun de se la concocter pour ce qui le concerne. Pas de prêt à penser !
Car on
n’apprend pas, mais on se remémore. Il faut se défaire de ce que l’on croit
savoir - la rumeur, l’opinion - pour désirer connaître - naître avec. C’est ce désir-là qui nous rend le savoir intérieur,
intime. Apprendre à… désapprendre, à nous déprendre ! Le dialogue
socratique nous conduit à la construction d’un objet commun repris par chacun à
son propre compte. Force de la maïeutique des âmes.
« Philosopher, c’est apprendre à mourir. »
Détacher l’esprit du corps. Penser des réalités qui, elles, ne meurent
jamais. Platon développe l’Apologie de
Socrate en lui faisant retourner l’accusation contre ses juges. Il est cet
homme singulier qui accepte de mourir au nom d’une vérité qu’il porte en lui et
qui lui est supérieure : comment vivre autrement ?
Accoucher du
savoir, comme de la chair : acte violent, douloureux. Zeus, le dieu des
dieux, en fait l’expérience forte. Saisi de violents maux de têtes, il doit
appeler à l’aide son forgeron de fils, Ephaïstos, pour lui briser le crâne afin
d’en faire sortir sa filleAthena, - née de la tête - qui s’incarne en… déesse de la sagesse. Naissance toute
cérébrale dont on s’assure de la viabilité en se livrant au rite antique de l’amphidromie : le père fait le tour
du foyer en brandissant son enfant, lui conférant ainsi sa légitimité et la
reconnaissance sociale aux yeux des siens. Aux affres de l’accouchement
succèdent les moments heureux de l’accueil du nouveau-né. Savoir et sagesse, en
l’occurrence, viennent d’investir le panthéon de la pensée. Pour une joie
similaire aux naissances charnelles : celle qui consacre la force de
l’esprit raisonnant en écho à l’âme résonnante. Puissance du penseur-né prêt à
initier le questionnement porteur de toutes les libertés. Ecrire, enseigner,
formes nobles de l’art d’enfanter.
Qui
suis-je, moi seul, hors père, hors repères, tous horizons ouverts ? A moi
seul de le dire. Alors je parle, j’écris, en écho à ma propre voix. Histoire
d’entendre cette voix résonner en moi. Encore et encore. Jusqu’à plus soif.
Jusqu’à chanter. En fils-père auteur de sa parole, je danse sur le deuil apaisé
des espoirs évanouis.
SANGLOT
Le corps enregistre tout. Chambre d’échos, chambre
d’écoute. Enveloppe à impressions. Il déploie en instantanés successifs
l’ingratitude des navrances qui nous
narguent, comme la grâce insoupçonnée des moments qui nous enchantent. Ces
clichés polymorphes nous révèlent les secrets et les dédales d’une chambre
noire abritant des alchimies surprenantes. Ainsi le corps dévoile-t-il ses
vérités au fil d’un jeu où se mêlent découvertes, sentiments et… hormones.
D’abord naïf, ludique et fier de tout, il traverse des champs d’innocence,
lancé sur les traces d’une enfance insouciante jusqu’à ne plus se regarder
vivre. Un monde toujours à portée de sens lui ouvre un horizon des possibles en
continuelle expansion. Au corps neuf tout est aventure et puissance : il
s’accorde.
Jusqu’à ce
que, de loin en loin, l’horloge biologique le guide vers le souci impératif
d’une reproduction programmée. Car il lui faut, pour oser demeurer, s’inscrire
dans une autre durée que la sienne propre, limitée à l’espace d’une vie. Objet
déjà ancien d’une naissance tombée dans l’oubli, le corps devenu sujet répond à
l’appel de la duplication biologique. Et traverse à nouveau - en spectateur
ébloui cette fois des ressemblances familières et des grâces enfantines-les
mêmes champs (re)connus qui l’ont vu grandir et s’épanouir lui-même.
Reconnaissance, intelligence et gratitude pour ces signes ordinaires, naturels,
que la vie sait adresser à ceux qui en cultivent et en éprouvent le soin.
Etre père…
êtres pairs. Il faudra bien que ces mêmes fils partent à leur tour, un jour, en
quête de ce monde dont les pères se sont convaincus entre-temps qu’ils ne
l’épuiseraient pas. Et tout n’ayant pu se dire, se transmettre, entre
générations, il peut arriver qu’un déchirement fissure la membrane toujours
incertaine des assurances et des confiances. Séparation, tristesse. Amertume
peut-être. Regrets sans doute. Coupure à coup sûr, marquée - Dieu sait quand,
ni pourquoi à tel moment - par les
hoquets, les spasmes d’une musique mécanique, amère de n’avoir pu s’exprimer,
d’autrefois à maintenant, mettant en mots l’indicible de la relation. Lâchant
sa bonde, le fleuve du chagrin accueille et imprime alors la marque
immarcescible d’un sanglot dans un creux secret de la mécanique biologique.
Scansion venue des tréfonds qui se fait forte de mettre en musique l’inexprimable
qui nous étreint. Le spasme musculaire et le flux lacrymal se muent en son
adopté par le corps, telle une singulière marque de fabrique. Drôle de comptine
en forme de courbe, figurant un récit ponctuel qui ne saurait s’ancrer
durablement ni dans le mutisme ni dans l’expulsion rédemptrice - on ne peut
décemment, ni morphologiquement, pleurer sans cesse ! -que pour mieux ressortir de loin en loin, au
fil de ces récits qui font de nous des êtres de mémoire.
A rebours de
ces échardes traîtresses que l’on n’a pu extraire car trop enfouies entre deux
peaux, entre deux eaux, et qui s’évanouissent un beau jour à notre vue, comme
avalées par le temps, ce sanglot inscrit et réitéré à l’envi saura se rappeler
à notre souvenir blessé, traduisant l’implacable constance de notre mémoire
biologique. Minutie plastique des corporéités.
Sanglot - singultus latin, hoquet, saccade - spasme provoquant des contractions du diaphragme
et accompagné de larmes. Résurgence d’une ancienne peine secrètement enfouie
dans les limbes de nos expériences sensibles, affectives. Rayure sur le disque
déjà ancien de nos émouvances. Exact
vis-à-vis du rire, autre mécanique du hoquet, également spasmodique, qui nous
étreint parfois jusqu’aux limites de l’essoufflement. Mais si l’on peut aller
jusqu’à « mourir de rire », le sanglot semble s’entourer de plus de
pudeur, d’une retenue secrète dont il conviendrait de taire les origines. Traumatisme
enfoui dans la mémoire du passé qui prend la forme d’un éternel rejaillissement
au présent. Fragment de temps figé, gelé, que le corps réactualise comme si
c’était toujours la première fois. Blessure sans cesse renouvelée.
Resurgissement brutal d’une intensité émotionnelle. Brouille historique avec
soi-même.
Le poète des
« Sanglots long des violons de
l’automne » se dit « tout
suffocant etblême », signes
précis d’un phénomène physiologique d’essoufflement venant s’accoler à lamétaphore signifiée par le bruit du vent.
C’est un Verlaine passif, jouet de la saison langoureuse, qui se soumet ici à
mélancolie, souffrance et résignation. Un destin fatal attend cet homme sous
l’influence néfaste de Saturne : il n’a plus qu’à se laisser aller « pareil à la feuillemorte que le vent mauvais
emporte ». Compère et complice de Verlaine, Rimbaud dépeint une
tristesse similaire : un « hydrolat
lacrimal lave les cieux vert-choux », assaisonné d’un rejet
quasi-somatique : « J’ai
dégueulé ta bandoline, noir laideron ».
Apollinaire
aussi évoque un chagrin aux ampleurs géographiques : « Le fleuve estpareil à ma peine, il s’écoule et ne tarit
pas… » Le sanglot poétique s’inscrit comme un signal puissant à la
source de la création, capable de transmettre son empreinte à ces autres
témoins attentifs, complices, que seront les lecteurs à venir. Epidémie prévisible
d’accouchements lacrymogènes.
« Mon âme est un orchestre caché »,
écrit Fernando Pessoa, romancier épigone, à lui seul bien des personnages. Pas
de deux valsé, notre présent oscille entre nostalgie et attente, mémoire et
anticipation, souvenir et désir. Sans cesse à l’œuvre, des formes nouvelles
nous impressionnent, sculptant nos profondeurs, parfois à notre insu. A la
manière de ces « Footprints » entêtantes,
lentement, lourdement égrenées par le trompettiste Miles Davis, comme autant de
traces vivaces d’où naissent des récits improbables, au goût de légende. Traces
pédestres des grands animaux guettés par nos ancêtres, premiers signes écrits
et déchiffrés au rythme de la chasse. Lancé sur deux pieds à l’assaut du
piétinement des proies, l’homme antédiluvien calque sa marche en avant sur
celui, binaire - inspir / expir - de la vie même. Motion, locomotion, mouvance,
émouvance. Structure lancinante, battement affairé, lointains ancêtres de nos
musiques connues. Mémoires géologique, préhistorique, ancestrale et personnelle
trouvent là une logique complémentaire.Etonnants jeux de confluence.
La matière
même de nos émotions édifie patiemment la chair de nos souvenirs, alimentant
indifféremment conscience et inconscient, comme les deux faces d’un même
iceberg. Il n’y a pas de mémoire qui ne soit nourrie, infléchie, d’un affect ou
d’une émotion. Ayant parcouru le vaste monde - en chasse d’empreintes lui aussi
- le grand Darwin finit un jour par recentrer sa quête sur le fil de sa propre
existence. Abordant ainsi la complexité du phénomène mémoriel, le voici qui
déniche son souvenir le plus ancien. Assis sur les genoux de sa sœur qui lui
épluche une orange, l’enfant voit soudain une vache passer devant la fenêtre…
Il bondit et reçoit une mauvaise entaille dont il gardera la cicatrice. Indice
tangible des étonnantes foulées darwiniennes.
Marque
physique, à l’image du sanglot inscrit quelque part, au plus profond de son
enveloppe corporelle. Signe de l’émotion toujours à l’œuvre en nous, notre moi se fait chair du monde. Récit de
mémoire. Lieu de transcendance apte à balayer toute la gamme des états entre
tristesse et joie. Conscience incarnée.
DILATATIONS
Petites madeleines. Pan de mur jaune et pavés
inégaux. Sonate fugueuse et clochers d’enfance. L’éternité se niche dans ce qui
ne dure pas. Au cœur de l’ivresse enfantine d’un narrateur lancé à la poursuite
d’un peu de temps à l’état pur. Cernant au plus près la belle mécanique des
réminiscences prêtes à le mobiliser, l’auteur plonge dans l’univers de
déambulations spatio-temporelles qui forment la matière même de son écriture.
Il concocte, formule, module des dérives primitives sur la vague toujours
mouvante des scènes d’enfance. L’errance spatialise le temps, appuie et affine
ses observations au gré de jalons littéraires où se mêlent ratés, couacs et
ineffables. Il collecte avec gourmandise des instantanés que l’enfant en lui
était alors incapable de comprendre. La promenade mémorielle se fait allégorie
de l’écriture en marche. Métaphore déplacement, transposition, transfert.
Eclipse des distances et substitution des espaces. Dilatations. Emouvances.
Le conteur
se meut en historiographe, s’émeut de visions qu’il arrache à un temps devenu
soudain élastique, à l’image de ces anamorphoses épatantes que l’œil cueille
avec délice, s’attachant aux surfaces convexes, lisses et brillantes glanées au
hasard des villes. L’espace s’intériorise dans une scénographie gagnant
insensiblement en intimité. Le temps, substance vivante, se révèle comme
l’expansion d’un réseau d’événements qui décident d’une topologie visuelle et
mouvante.
Trois
clochers dans un paysage en viennent à se déplacer, se croiser, se superposer,
se troubler, devant les yeux comblés du narrateur, telles les trois sœurs
complices d’un conte ancien. Air de comptine mélancolique, la perspective
s’éclipse, se modifie, sémaphore troublant propre aux lanternes magiques au
fond desquelles s’agitent les ombres familières aux récits d’enfance. Le
pouvoir éprouvé de surmonter la malédiction de la distance entraîne une joie
proche de la résurrection. L’homme en proie au doute triomphe sur l’abîme de
l’éloignement et de la mort. Toucherait-on
là à l’essence de l’art ? Art synthèse, tissu qui ordonne, compose, (re)met
en scène des expériences vécues, pour leur restituer une valeur esthétique
toute neuve. L’épreuve de l’écriture prend valeur d’éternité.
Clochers et
sonate combinent deux expériences homothétiques pourvoyeuses de signes à
ranimer. Leur reviviscence se transmue en petites phrases où s’ordonnent
visions et notes coordonnées. Nées d’images kaléidoscopiques, elles possèdent
le pouvoir de condenser la scène du monde en un théâtre intime, celui du temps
reconquis. Comment cinq petites notes - celles de la Sonate de Vinteuil - imposent-elles le silence, provoquant
l’émotion violente, indicible, du narrateur ? Témoignage de
l’irréversible, la petite phrase se révèle intelligible et noble. Dansante,
pastorale, épisodique ritournelle. Qui dévoile une intimité dans laquelle
l’auteur, lancé au coeur d’une quête éperdue de l’autre en lui, reconnaît son
graal : faire se dilater le temps, c’est changer jusqu’aux proportions de
l’âme.
Accédant à
la quatrième dimension, celle du temps désormais rattrapable, l’écrivain cerne
au plus près l’outil magique apte à restituer l’étoffe du réel. Le langage,
matière première de l’artiste, sait porter notre traversée immobile, seule capable
de nous permettre de saisir l’univers avec cent autres yeux que les nôtres.
Entendre - ou voir - pour la première fois, c’est éprouver le mystère de
quelque chose qu’on croise par hasard et qu’on éprouve comme nécessaire. Etre
et savoir simultanés, nous nous rendons contemporains de nos émotions au sein
du temps habité. Il ne nous reste qu’à faire cadeau au monde de ce temps
retrouvé.
Dans une de
ses nouvelles, l’écrivain argentin Jorge Luis Borges, grand amateur de
labyrinthes et de miroirs, invente un héros incapable d’oublier quoi que ce
soit. Son existence, ses pensées, ses perceptions sont parasitées en permanence
par un jaillissement de souvenirs d’une précision inutile. Il devient incapable
de vivre avec une telle mémoire, qu’il compare à un tas d’ordures, et s’enferme
dans une pièce vide pour ne plus rien enregistrer. Ce phénomène, répertorié,
porte un nom : l’hypermnésie, qui transforme la mémoire en musée,
l’empêchant de jouer son rôle de laboratoire traitant les traces mémorielles.
Paralysie programmée du cerveau similaire à l’amnésie, son exact
contrepoint !... Place à l’oubli salvateur : n’oublions jamais…
d’oublier !...
La part
essentielle de tout récit n’est-elle pas ce qui est évoqué sans pouvoir être
dit ? La métaphore - metaphora
grecque, transfert, transport - évoque un voyage de l’esprit
par l’image, la suggestion. Plongeant dans la richesse insoupçonnée de nos
ressentis intérieurs, la mémoire peut ainsi renaître de l’oubli, comme le
phénix de ses cendres. Bienvenues métaphores où les Fleurs du Mal de Baudelaire côtoient l’air de poésie dont peut
s’orner le langage courant : l’arbre
de la connaissance, le jardin dela paresse, l’écheveau du temps ou la
forêt des symboles ! Preuves que la mémoire a la capacité de se
dilater dans les richesses d’expressivité de la langue. De même le souvenir va
et vient, inscrivant ses déambulations au rythme de celles du corps, semant des
traces mémorielles un peu partout, au gré des lieux et des associations
d’idées. A quand le spectacle de classes entières d’élèves se déplaçant dans
l’espace, marchant pour déposer - et associer symboliquement - les
connaissances en cours d’acquisition dans les arcanes multiples de lieux bien
concrets, arpentés, repérables ?... Voyages mémoriels répétés à l’infini.
Mémorables jeux de piste.
Nos
réminiscences futures dépendent de ces itinéraires-là. De ces promenades
mentales qui nous voient semer les mots et leurs habits d’émotions comme autant
de cailloux fossiles prêts à resurgir au premier signe de rappel. Mémoire
mobile toujours en mue, tournée vers la maison natale que chacun porte en
soi : les souvenirs sont notre boussole interne. Se souvenir, c’est se
parler, se dire soi-même, se mettre en scène à travers les mots. Du langage
communication au langage sens, l’ouverture est large qui permet au désir
d’émerger, de s’extraire. Et d’abstraire, en allant à l’essentiel du sens.
Maniant -
sans précaution - la métaphore de l’âne et de la carotte, Schopenhauer fait le
constat de l’humain placé dans les conditions d’une motivation contrainte,
urgente. Obligation d’avancer… sans choix d’infléchir le mouvement engagé.
Incitation à courir vers l’avant, guidés par les seules œillères de l’envie, de
l’ambition. Et si, suspendant l’urgence, nous cessions de nous hâter pour
identifier l’objet de la quête, la cible de ce désir ? Désir pensé comme
une trace, signe présent d’une absence. Désir,
à l’origine proprement sidérante - desiderare
et sidus latins, nostalgie del’étoile -,
constat d’un manque, d’une absence, d’une perte. Le désir se consume de
contempler et de consommer son objet.
Désir évanoui d’Ulysse de retour dans sa
bonne île d’Ithaque. Désir d’un état antérieur que nous aurions perdu.
Nostalgie d’un monde des idées, notre patrie d’origine.
Effort et
tension vers ce qui exhausse. Dilatation propre au langage qui nous offre la
voile à gonfler pour lever l’ancre et laisser voguer l’esprit. « On n’habite pas un pays, on habite
une langue », affirme Cioran.
TOILES
Contraction. Dilatation. Il en va de la genèse de
l’art comme d’un cœur qui bat. Avec constance, l’Histoire assiste la
sublimation de notre nature en accompagnant les spasmes d’une géographie rebattant
les cartes de l’espace. De l’infiniment vaste au minutieux subtil, les lieux de
nos créations s’identifient, se déploient, s’enregistrent dans une mouvance
continue qui porte nos regards à ne plus s’imposer de borne. Voyances
ubiquistes.
Borborygmes,
cris, vagissements des préhominiens trahissent les transes des tribus
primitives au cœur des savanes et des forêts. Les voix se cherchent, se croisent,
se répondent dans l’écho vacant d’une nature hostile. Affairées et maladroites,
les mains se livrent au façonnage ludique des charbons et des glaises,
inaugurant le geste fondateur de la fabrication des couleurs. Jeu gratuit sur
les matières, genèse de l’acte de pensée. Impulsion ludique, inconsciente, au
moment de livrer l’étrange lumière éclairant l’obscurité de la légende des
siècles. Voix et jeux de matières résonnent dans la fange primaire comme les lointains
prémisses d’une pensée promouvant l’acte. Pari du jaillissement d’un rêve.
L’art est-il
l’expression du divin ? Beauté charnelle ou spirituelle ?... « Le contenu de l’art comprend tout le
contenu del’âme et de
l’esprit », écrit Hegel dans son Esthétique.
L’homme manifeste ici sa première prise de conscience de l’absolu : bien
que fini, il contient l’infini. Connaître l’essence de l’art, tel est le but de
l’esthétique. L’objet d’art n’est pas un objet soumis au désir, qui satisfait
un besoin. Il peut se passer d’analyse, d’approche théorique. Sa fin propre est
la réalisation de l’unité entre le rationnel et le sensible, entre l’universel
et le particulier. Révélation du plus profond dans l’homme : son absolue
liberté, une aspiration au divin. Plastique de l’esprit.
A la fin du
XIXe siècle, l’esthétique prendra un tour moins idéaliste. Dans la Naissance de la tragédie, Nietzsche
oppose le dionysiaque à l’apollinien. Ici, l’art exprime les forces profondes
qui animent la vie : ampleur, démesure des passions humaines. Là, il
rassure, réconforte. L’art s’associe au rêve, incarne la beauté idéale, mais
renvoie toujours aux profondeurs des passions. Des désirs enfouis au pouvoir de
l’imagination, la création artistique exprime nos forces profondes, vitales, en
deçà du langage et de la conscience. Vie sourde et dynamique de l’esprit.
Vient le
temps d’une capture éclairée de l’essence des paysages et des visages.
Empâtements des touches de couleur. Entoilage concentré des mises en espaces. Au
jeu des mains apposées sur les murs sombres des grottes - mains multipliant leur
désir de présence comme autant de volontés de saisir le monde à leur bénéfice
exclusif - se substituera bien plus tard la captation consciente, projetée, des
sensations suspendues par une méditation plus détachée. De chaotiques et
collectives, les visions s’ordonnent, se personnalisent. L’art cristallise ce
que nous savons déjà, ce que nous croyons savoir, ce qui est absent comme ce
qui est depuis toujours déjà là. Leslumières et motifs célébrés se font immuables, figés hors du temps de
leur exécution. L’acte esthétique nous convie à un sursis éclairé des
temporalités, à une contraction de nos représentations. Arrêt sur image.
En filigrane
de chaque toile s’esquisse une image porteuse d’énigme. Décochée du lieu de ses
origines, elle est la trace d’une intention qui traverse l’espace-temps à la
manière d’un trait en chemin vers sa cible. Cette voie d’une durée traversée la
décrit au moins autant que le moment précis, précieux, qui a procédé à sa
facture.
Anticipant
de quelque quatre cents ans la découverte du photographe, le lumineux Léonard
introduit la notion d’espace dans la peinture en étudiant les modifications
subtiles de colorations apportées par l’impact des rayons lumineux sur les
objets. A l’espace, l’artiste accole désormais ombre et lumière. Nouveau
tournant avec Klee : le peintrene
doit plus alors reproduire le monde, mais l’inventer. La ligne court sur la
toile, créant le mouvement et lui appliquant son rythme propre. Le peintre
découpe et organise l’espace visuel, comme le musicien le fait de l’espace
sonore. Tempo d’une vision plastique
renouvelée.
De quelques
centimètres carrés à une centaine de mètres carrés (La FéeElectricité de
Dufy, au Palais de Tokyo), la toile joue du champ et du hors champ. Tableaux
dans le tableau, mises en abîme, palimpsestes, l’oeuvre se dilate, se
contracte, diffracte masses et couleurs à la manière d’un kaléidoscope.
Et jusqu’au
vide, avec lequel toute l’histoire de la peinture a partie liée. Au fil des
siècles, il a toujours fallu le combler, le masquer, le rendre tolérable. Retour
aux légendes des origines : Pline L’Ancien rapporte que la fille d’un
potier , alors que son amant allait la quitter pour un long voyage, traça sur
le mur les contours de son ombre portée avec un morceau de charbon. Lui parti,
elle avait la consolation de sa silhouette devant les yeux. C’est ainsi, selon
le texte antique, que fut inventé le dessin… Et que l’art plastique donne au
monde ce qu’il a perdu comme ce qui l’attend.
Le besoin
d’image nous taraude. Autant que l’impossibilité de voir. Parfois, la couleur
paraît s’évanouir, laissant deviner la splendeur de ce qui demeure invisible.
Au point d’en atténuer le désir. Mais quelque chose force toujours à
rester : tout pourrait changer encore. Le tableau est une baie ouverte sur
l’ailleurs.
Nouveau livre paru le 27 octobre 2021
DEFENSE et USAGE de la FRANCOPHONIE par la lecture et l’écriture !
Avec « Eclats de rire », je signe son douzième projet d’écriture. Mon intention ? Faire vivre et partager dans toute sa diversité notre langue française de plus en plus cernée par un globish anglo-saxon colonisateur et délétère. Il y va de notre culture comme de notre identité !
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La FORCE de l'INTUITION
LIVRE 11 paru en DEC 2020
Laisser la pensée errer : une rareté qui confine au luxe d’une temporalité désormais perdue ? Qu’est-ce que sentir, apprendre ? Rêver ? Quels liens entre qui je suis et ce que je sais ? Comment la reconnaissance peut-elle faire échec au spectre toxique du ressentiment qui agite notre village global contemporain ? Qu’est-ce qu’un réseau citoyen de savoirs partagés ? Comment le partage magique de l’art peut-il transformer notre école en micro-société bienveillante, fondée sur des rapports de confiance et de coopération ? Comment chacun.e de nous se révèle-t-il via ses œuvres singulières ? Autant de questions originelles propres à enrichir et déployer nos identités personnelles et collectives. Au bénéfice d'un lien social à raviver.
Que signifie « penser » ? Enigme non levée ! Sauf à (se) révéler, via la trace et l’entrelacs, le noble étonnement né de notre autonomie et de notre dignité. Cette question en voile une autre, connexe, touchant à l’esquisse d’une vérité sacrée, qui nous dépasse : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Et, pour éclairer nos chemins, ce viatique puissant : la poésie de l’intuition.
A VOIR SUR : edition999.info/LIGNES-d-ERRE.html
ESPRITS NOMADES
EXILS A L'OEUVRE (TEMOIGNAGE)
LIVRE 10 (paru en AVRIL 2020)
Quelle alchimie peut survenir de la rencontre improbable entre émigrés précaires et sédentaires assumés ? Ancestraux, mouvements de migration et gestes d’accueil appartiennent au cours normal de l’histoire. Leur brutale résurgence pose à nos sociétés consuméristes, hyper connectées, la question lancinante du socle des valeurs à sauvegarder.
L’expérience partagée ici, au plus près du quotidien de nos territoires, témoigne d’un échange et d’un enrichissement possibles entre des migrants contraints à la fuite et les exilés de l’intérieur que nous sommes tous à des degrés divers. Elle débouche sur l’opportunité de faire œuvre ensemble autour d’une quête et d'une estime de soi qui nous transcende. Elle nous parle de l’exil comme d’un lieu de révélation possible de cette création. Celle d’une reconnaissance mutuelle s’incarnant dans un récit commun porteur de sens.
« Un homme ça s’empêche » écrit Camus en un mantra moral sidérant. « Mon cirque est dans le ciel » clame en écho Chagall dans une vision rêvée aux parfums d’enfance. Reliant ces deux fils à son propre récit de vie, un certain Candide tente de ranimer les feux puissants des Lumières. Entre son Qui suis-je et son Que sais-je, le fils de Voltaire nous livre sa parole en mutation. De l’espace sonore avorté à celui, médité, de la feuille blanche, le geste et l’esprit rejouent leur duo idéal, nous proposant une belle leçon de vie : l’émancipation par la connaissance et l’acte d’écriture.
" LE CARNAVAL DES MIMES ", Dans l'oeil du désir mimétique
Quels liens tisser entre les attitudes du souffleur sur verre au travail, les lubies du collectionneur passionné, un orchestre d’enfants jouant sur des instruments fictifs et… une bonne tête d’équidé placide ? Quels rapports imaginer entre les arabesques d’un corps dans l’espace, les gestes de pudeur d’une femme voilée et les formes palpitantes d’une nature morte ?Quelles affinités pour figurer les feintes du poulpe mimétique, les facéties chimiques d’une comète et la fascination exercée par nos écrans connectés ?
L’imitation inconsciente d’un désir secret nous balade entre fusion et conformisme, désignant à notre insu des modèles à contrefaire. Partout et de tous temps la mimétique est à l’oeuvre. Le monde est un théâtre d’ombres où chacun consent à délaisser un original unique pour des doublures fictives. Un Carnaval des Mimes s’agite sur fond de caverne sociale. Pour le meilleur et pour le pire. Entre fiction et essai, ces courts récits de vie témoignent d’une observation réfléchie du phénomène et en présentent une vision émouvante aux colorations poétiques et philosophiques.
L'auteur inscrit son travail dans les traces de René Girard (" La Violence et le Sacré " - 1972).
Plongés dans le flux du vaste laboratoire lexical, nous assistons à l’éclosion des mots émergeant du bain révélateur de nos émotions. Dilatant nos paysages intérieurs, ils se font les témoins incarnés de nos étonnantes traversées de la nature à la culture. Origines et généalogies, formes et mythes, chroniques et métaphores, esthétique et philosophie trouvent leur port d’attache dans les dédales enivrants de la langue. Là où se révèle la part infrangible de nous-même.
Sous les fins mots, phénomènes et flux de pensée, dont les épures nous troublent, esquissent des récits mouvants, allégoriques. Ceux de nos mutations profondes, incessantes, célébrant la voie plus que la cible. Tous nos sens aux aguets, nous prolongeons l’éphémère des passages. Jusqu’à goûter l’onde qui se propage intérieurement. La vibration intime de nos émouvances.
PHILOJAZZ Petites ritournelles entre souffle et pensée
PUBLICATION
" PHILOJAZZ ",mon 3ème livre, est paru le 1er décembre 2012.
" PHILOJAZZ ", une histoire passionnée du jazz écrite au rythme de la pensée philosophique, à travers l'écoute de 25 standards de la musique afro-américaine. Quand jazz et philosophie, passion et raison, nouveau et ancien monde, savent croiser des forces complices dans une démarche commune d'appréhension du monde...
"PHILOJAZZ" sur FRANCE-CULTURE
Au "Journal de la Philosophie" de François Noudelmann
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
En vad...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrouille
En vadrouille
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS
Dans le cadre de la BIENNALE " PHOTOFOLIES EN TOURAINE ", l'auteur expose à la Bibliothèque de Beaulieu lès Loches, sur le thème de la lumière.
Place à la lumière, matériau premier du peintre comme du photographe. Lumière-matière à modeler, sculpter, transformer. Sublime glaise dont chacun peut jouer à l'infini. De l'évidence scientifique à l'esthétique picturale, la lumière surgit, rayonne, diffuse, réfléchit, colore, voile révèle. Et quand elle s'absente sur la fine pointe de ses radiations, c'est en nous confiant le vestige d'une réalité au creux même de la pensée. Convertie en essence philosophique, sa clarté en vient à célébrer la joie mobile de l'esprit. Irait-elle jusqu'à nous livrer la clé des songes ?... Fiat lux ! ... Que la lumière soit !...
ARAGON / FERRE
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps
J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles
Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent
Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune
Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'Homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais
Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon Amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante
Je passe le temps en chantant Je chante pour passer le temps
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LAZULIE
CHAGALL (détail)
CHAGALL (détail)
PARIS PAR LA FENETRE
MARC CHAGALL 1913
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
MUSEE
MUSEE
MUSEE
MUSEE
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAU ICEBERG 1
VAISSEAU ICEBERG 2
VAISSEAU ICEBERG 3
VAISSEAU ICEBERG 4
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LE BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ...
... La tempête a béni mes éveils maritimes Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes Dix nuits sans regretter l'oeil niais des falots
... Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes Toute lune est atroce et tout soleil amer L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !...
Arthur RIMBAUD Poésies
ALBERT CAMUS "Noces à Tipasa"
Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.
L'hiver, le soir : alors, parfois, l'espace ressemble à une chambre boisée avec des rideaux bleus de plus en plus sombres où s'usent les derniers reflets du feu, puis la neige s'allume contre le mur telle une lampe froide
JACCOTTET "A la lumière d'hiver "
RENE CHAR
Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette langue inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
APOLLINAIRE " CHANSON DU MAL AIME "
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir...
... Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise...
VERLAINE / BRASSENS
COLOMBINE
Léandre le sot Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson Cassandre sous son Capuce
Arlequin aussi Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous Ses yeux luisant sous Son masque
Do mi sol mi fa Tout ce monde va Rit chante Et danse devant Une frêle enfant Méchante
Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent leurs appas Et disent : " A bas les pattes ! "
L'implacable enfant Preste et relevant Ses jupes La rose au chapeau Conduit son troupeau De dupes
Charles BAUDELAIRE
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière...
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes; Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
" UN BALCON EN FORET " Julien GRACQ
Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente Julien Gracq se fait pour nous guetteur muet des sylvestres solitudes. Le coeur de la forêt refuge et prison à la fois carrefour d'histoire à poésie de poésie à géographie. Gracq rêveur éveillé des toits et des belvédères agissant et se regardant agir dans l'épais silence des layons filant à travers bois vers le val de Meuse en contrebas. Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente où l'espace et le temps s'estompent infiniment lecture et art fusionnent étrangement ...
Paul ELUARD " L'Amour la poésie "
La terre est bleue comme une orange ...
Les guêpes fleurissent vert L'aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre Sur les chemins de ta beauté
Les idées sont des succédanés des chagrins
Marcel Proust
Au coeur des paysages s'inscrit l'étoffe des rêves comme autant de pays sages arpentés sans trêve
La langue est la peinture de nos idées RIVAROL
La plupart des gens meurent sans avoir vécu. Heureusement, ils ne s'en aperçoivent pas.
IBSEN
BLOGS AMIS La Passée des Arts
Bleu de cobalt
L'Estro Armonico
Infime est la portion de vie que nous vivons SENEQUE
Une preuve du pire, c'est la foule SENEQUE
C'est quand il n'y pas grand'monde qu'il y a grand'chose PREVERT
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
René CHAR
L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps
MACHIAVEL
On ne retrouve jamais le commencement du commencement, mais toujours l'aurore d'une vie nouvelle JANKELEVITCH
BHAGAVAD GHÎTÂ
En haut, ses racines, en bas, ses branches, tel est l'arbre cosmique immuable. Les hymnes en sont les branches. Qui le connaît connaît la connaissance.
Krishna
RIMBAUD Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond [,] À genoux, cinq petits, — misère ! — Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond [.] Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Quand, pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche, On sort le pain, Quand, sur les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie Ils ont leur âme si ravie, Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières, Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
APPRENDRE ?... UNE ALCHIMIE
Le sage montre la lune, le sot vise le doigt. La scène a valeur de fable. Déjouons-la pour mieux la rejouer. Voici que le sot présumé glisse son regard vers la face joviale de l’astre… jusqu’à le plonger sur son versant caché. Dans le secret gardé des choses, ce lieu de la conscience né de l’épaisseur de qui nous sommes. Notre apprenti – ce frère universel en puissance – se fait soudain plus sage que… le sage lui-même. La leçon a valeur de tremplin. Par où diable est-il passé ? Quels subtils chemins de traverse a-t-il arpentés ? Son parcours tient du labyrinthe mêlé, complexe, d’une gestation aux ressorts intimes dont lui seul détient les clés. L’instant d’apprendre ?... Il le nourrit d’abord d’un souffle alterné, au rythme d’un échange gazeux. Son corps et tous ses sens émergent, vestiges en nous de l’animal qui s’apprête à bondir. Sa tête aussi, sentinelle aux aguets comme un cœur qui bat. Et l’esquisse d’un geste d’attention, l’adresse d’un silence, d’une promesse de soin faite à l’objet d’apprentissage. La connaissance n’en finit pas de s’amorcer dans l’attente de son plaisir différé. Muette et patiente épiphanie. Surprise d’une promesse neuve comme un phénix. Elle n’oublie pas qu’elle est naissance toujours revisitée. Co-naissance, re-connaissance. Rappel bienvenu d’un état croisé dans une autre vie ? Savoir inscrit, toujours remémoré ? L’objet se tient là, le futur sage se sent prêt. Tout en lui vise, pointe, prévoit, anticipe. Gourmande à l’avance. Présent à soi, il sent qu’il entre en état d’initiation, en accès à cette part de lui qui sait… qu’il ne sait pas encore. Attente pleine, concentration… Et bascule. Le cœur du geste d’apprentissage advient telle une évidence longtemps retenue, contenue. A l’image d’un désir qui migre, l’instant survient où tout s’éclaire, l’espace d’un frisson qui entre en résonance avec son objet, le comprend, l’appréhende, le saisit dans sa singularité touchante. Via l’émotion, le corps et le mental réunis. Passage entre frôlement et impulsion. Force de l’évidence. Vertige provoqué et relâchement des sens. Ajustement des liens.
L’après s’annonce déjà, comme l’éclaircie suit l’ondée féconde, l’averse gonflée de ressources. En nous guette encore la vigie grisée d’une veille attentive. Avant que n’advienne le sursis né d’un trop plein de tension. Escale bienvenue que ce moment où le créateur suspend l’œuvre parvenue à son apogée. Le climax d’une attente dès lors comblée, assouvie. L’euphorie pleine des promesses du travail accompli habite l’élève, désormais initié. Tel un vin nouveau, le savoir du jour est arrivé. Rien ne sera plus comme avant. Notre tronc toujours en croissance vient s’enrichir d’une strate fraîche qui fait lien vers la totalité de l’arbre – multiples rhizomes – que nous formions déjà. Somme d’instants anciens, familiers, prêts à se réactiver à tout moment. Gisement de ressources liées à notre récit personnel, unique en son genre, inscrit dans ce que nous ne cessons d’être. Une continuité en mutation. L’apprentissage appelle la transmission, comme sous le matin qui blêmit la rosée s’attarde. Que faire d’un magot dormant ? D’un pactole froid ou d’un astre éteint ? Alors que le plaisir de savoir se dédouble, se redouble à l’infini d’un délice qui dure, s’étale, prend ses aises. La connaissance nous a transformés. Et voici que l’élève appliqué mute en professeur curieux. L’acte d’apprendre vient de trouver sa seconde vie : enseigner. Est-ce une autre histoire ? Ou la même qui lui ressemblerait comme une sœur ? De quel bois sommes-nous faits ? Notre personnalité se révèle ici en compagne accueillante qui sous-tend, anime et ravive nos apprentissages. Elle est ce lieu précieux d’une rencontre à explorer entre ce que je sais et qui je suis…
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