« Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau,
dimanche 1 septembre 2013
EMOUVANCES (3) SOURCES
Longeant le
cours de l’eau, plein centre ou sur ses bords, nous réinventons la tradition
péripatéticienne chère aux Anciens. Batelier ou nageur, marcheur ou écrivain,
nous voilà invités à forger nos nids avec l’écume des mots, à l’image des
grands oiseaux du fleuve voguant à fleur d’eau. Le texte naît sous nos yeux,
contemporain de la masse liquide. Pénétrant au cœur des paysages intérieurs
qu’elle suggère, notre exploration panthéiste de la nature confine au voyage
initiatique. D’autres, nombreux, illustres, sont déjà passés par là, pionniers
anciens d’espaces imaginaires qu’ils ont voulu féconds. Longtemps après ils
nous séduisent encore et nous mettons naturellement nos pas dans les leurs.
La genèse
aqueuse affronte des cours rebelles, épouse des lignes sinueuses, remonte
fièrement à rebours de rapides peu hospitaliers, pour s’apaiser enfin en se
lovant au creux de zones calmes et vastes où l’esprit reprend souffle. Perdant
parfois son fil, elle discourt, empruntant d’improbables affluents. Penser
contre et à l’envers n’est pas sans risque pour l’entendement, subitement renversé
cul par-dessus tête. Le récit s’écrit là sans toit ni loi, ouvert sur l’éther,
rebattu par l’indiscipline de toutes les météorologies. Il s’habite et se
gonfle du génie de lieux mouvants, de paysages volages dont l’écrivain nourrit
sa mémoire appliquée. Mémoire où bruissent déjà mille légendes hydrographiques,
comme autant de mythes précieux confiés par notre antiquité bimillénaire
toujours prête à reprendre chair. Des livres jamais scellés nous précèdent ou
nous accompagnent telles de petites flammes vives éclairant le cours du fleuve
et lui donnant l’aspect lisse, clair, marbré, de mers attiques où s’ébattent de
fières goélettes aux voiles auriques. Moment choisi par la mythologie pour nous
glisser d’inquiétantes visions de sirènes enjôleuses, femmes tentatrices et
fatales avalant goulûment des marins dérisoires. Images de légendes. Des
odyssées nous ont précédés, porteuses de peurs primitives devenues familières
au gré de nos lectures enfantines. .../...
Abandonnant
tout titre de propriété sur le paysage, le passager des eaux, novice philosophe,
ressaisit le temps pour capter la valeur véritable du monde. L’univers devient
sphère dont le centre est partout où croît l’intelligence. Nous foulons et
refondons à chaque instant notre terre natale, en autochtones prodigues de
retour au pays. Le dôme d’azur libère pour nous des espaces où l’ouverture de
l’air le dispute à la puissance de l’eau. Notre pensée murmure au rythme des
frissons salubres et roboratifs de l’inspir.
Notre paradis est ici ou nulle part, flottant dans ces vers que nous glisse
Borges :
« Se pencher sur le fleuve, qui est de temps et d’eau,
Puisque nous nous
perdons comme se perd le fleuve
Et que passe un
visage autant que passe l’eau »
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