mercredi 9 février 2011

BLAISE CENDRARS : UN ELOGE DE LA PARTANCE


" Je ne trempe pas ma plume dans un encrier mais dans la vie "
Le jeune Blaise, encore adolescent, saute par la fenêtre, attrape le premier train, chemine là où ses pas le mènent, au hasard des ruelles, des sentes, des chemins de traverse. Rupture et partance. L'homme est ainsi. Il fait son latin à cheval, passe le bachot... et repart. En rimbaldien féru, Blaise chante l'éloge du perpétuel départ au goût d'universel, dans une rumeur toujours neuve. Il meurt si on l'attache.

Chacune de ses missives se colore d'un " ... et il y a encore quelque chose ". C'est du pays que vient ... le mal du pays. Le mal c'est l'appartenance. Comme Gary, Cendrars est l'homme de l'inappartenance, y compris à l'égard de son oeuvre. Le bourlingueur a choisi de mêler dans son nom la cendre ... et l'art. Destin singulier. Toute vie n'est qu'un poème pour cet amoureux de l'errance.

La fluidité de son écriture est celle de l'écrivain-voyageur toujours prêt à embarquer pour planter son regard dans le monde tel qu'il va. Dans sa malle : ses manuscrits en cours, sa Remington portable, quelques vêtements, deux paires de godasses, des kilos de papier blanc... Traversée de dix huit jours de Pernambouc à Cherbourg. Et ce rêve fou de charger avec lui un magnifique fourmilier au nez en forme de bannière, marchandé à un vieux nègre borgne. " Avoir un emmanché comme celui-là vous fait rire du matin au soir ! "

Au gré de sa vie idéale - sur un bateau bien sûr - l'homme aura tout le loisir de penser à ses "sept merveilles du monde ", toutes prosaïques au possible : le roulement à bille, la publicité, l'argent, la musique de son ami Erik Satie ... et la nuque dénudée d'une femme. Sans oublier la merveille des merveilles : le don de création.

" Quand tu aimes il faut partir

sentir chanter courir
Respire marche pars va-t-en "


La poésie, la vraie, n'a pas de patrie. Le stylo de Cendrars caracole. Et lui est en bras de chemise, sifflotant. Ou s'amuse avec un dictaphone, inventant une polyphonie de voix amicales. Blaise a le goût du risque. Ecrire est pour lui la chose la plus dure, il l'avoue. Ecrire, c'est peut-être abdiquer. A qui veut l'entendre, il professe un mépris pour la chose écrite. La poésie est toujours en jeu. A l'image de ce poème-énigme qu'il a caché-cloué dans la caisse d'un grenier de campagne... " Au coeur du monde " : l'homme " de la main droite " (d)écrit une promenade nocturne dans Paris. Orion, c'est son étoile, sa main droite perdue à la guerre et montée au ciel. Cendrars se met dans ses propres pas, mais le poème se refuse à lui pour devenir ce texte "antipoétique" qui conduit à la prose, malgré son auteur.

L'aventure continue, neuve et fluide. Blaise reste un an à Rome, à faire ... du cinéma. Puis débarque à Hollywood, là où " toutes les rues mènent à un studio ". Cendrars entre fascination pour l'image et humour naïf : " J'avais l'intention de tourner un couple d'éléphants en train de coïter. Je n'ai pas réussi. " Quant au "filmage" de la classique parade du baiser amoureux, il énumère avec délice la liste des cinquante personnes nécessaires au tournage de la scène. Depuis les deux acteurs jusqu'au ... "producer".

L'ami Doisneau photographie Blaise écrivant, dans le vieux Aix : figure de l'écrivain solitaire face à un mur lisse, à la lumière d'une ampoule nue. Cendrars évoque l'oiseau rare s'envolant d'une clairière de la forêt brésilienne : le "Septicolore", ahuri et passif, a l'oeil lucide de l'oiseau halluciné, et un peu du panache... du champignon atomique de Bikini !

Le rêve est son autre voyage : " Je rêvais que je volais comme un oiseau, battant des bras, des jambes "... Avant de se voir "couillonné" au réveil, avoue-t-il, hilare. Blaise se rêve aussi, se voit, se plaît "à poil" sur le pont d'un bateau, lors d'aubes qu'il aime à se décrire... pour lui. Toujours en partance dans sa tête. " Le langage est une chose qui m'a séduit, formé, perverti. Correct... incorrect, mais bien vivant "

" Toute vie n'est qu'un poème, un mouvement. Je ne suis qu'un mot, un verbe, une profondeur, dans le sens le plus sauvage, le plus mystique, le plus vivant ",
écrit Cendrars en 1913 à propos de La Prose du Transsibérien. Eloge de la partance, la nôtre cette fois, dans l'oeuvre-monde de l'écrivain voyageur.

" Pourquoi j'écris ? Parce que. "
Apothéose sibylline d'une langue crépitante.

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