"Dans la plaine les baladins s'éloignent au long des jardins ..." (Apollinaire) ...
Arpentons, amis lecteurs, ces jardins chatoyants qui, tels maints livres effeuillés, nous content mille récits ardents dont les figures mémorables pansent nos blessures et régénèrent nos désirs... Pour que ce flux magique continue d'irriguer notre Coopérative idéale : celle des Lecteurs Réunis.
lundi 12 décembre 2022
ESPRIT ES-TU LA ?...
Ange ou démon ? Bon ou mauvais génie ? Où se niche l’esprit ? On le découvre ici caracolant dans des récits étonnants, au coeur des mille vibrations de la vie qui nous élèvent et nous dilatent. Ce sont alors de nouveaux imaginaires qui viennent réenchanter nos univers conscients, nous donnant accès à des mondes que l’utilitarisme marchand nous avait fait perdre.
A l’image de la Nature endossant enfin à nos yeux son costume rénové de « Toile du Vivant », voici que l’esprit se mue en acteur privilégié de toutes nos reliances biologiques, esthétiques, et, finalement, spirituelles. Oui, l’esprit est bien là, au service du meilleur de nous ! PARTONS ENSEMBLE à sa découverte, chers lecteurs !...
lundi 1 novembre 2021
à lire sur :https://www.edition999.info/ECLATS-de-RIRE-au-Jardin-des.html
ECLATS de RIRE au Jardin des Délices
Rigoler à s’en fendre la bouche, s’en payer une tranche… La langue vient nous rappeler fort à propos que le rire est tout aussi essentiel que le boire et le manger. Et que dire du besoin de respirer, car après tout, rire c’est oser… ne pas manquer d’air, de cet air si vital qu’il fait battre notre vie de son origine à sa fin ! Et puis le geste de rire se nourrit aussi de cette corde sensible originale, gratuite, énigmatique autant qu’inépuisable : l’imagination. Qu’elle vibre grâce à des humoristes, des chansonniers, des cinéastes, des peintres… ou de simples citoyens au bistrot du coin, chacun peut s’en emparer à tout moment pour la partager en créant ainsi du lien social. Boire, manger, respirer, imaginer… et rêver ! C’est finalement la plupart de nos gestes vitaux qui tournent autour de nos états humoristiques partagés. Alors oui vraiment, le rire c’est du sérieux !
Voici un florilège de quatre-vingts textes conçus comme autant d’éclats de rire. L’auteur les a voulus brefs, mordants et tirés des multiples domaines de l’art comme de la vie courante. Pour pimenter l’humour qui s’en dégage, il a enchâssé entre eux les images d’une œuvre monde : « Le Jardin des Délices » de Jérôme Bosch (1500). Souvent, la correspondance entre l’écrit et l’image (et les liens faits avec certaines œuvres sonores) amplifie les sensations nées du phénomène du rire. De quoi nous encourager dans cette pratique salubre et stimulante ! A pratiquer sans modération…
dimanche 6 décembre 2020
LIGNES d'ERRE ?...
QUELLES LIGNES d'ERRE ?...
« Il court il court le furet, le furet du bois joli… Il est passé par ici, il repassera par là… » La rengaine enfantine dit bien toutes nos envies d’espaces, autant que l’infinité des figures d’écriture de soi qui ancrent nos récits.
C’est Descartes visant un point dans la forêt obscure, et dirigeant résolument sa marche vers le lieu rassurant où l’attend son cogito. C’est Spinoza déroulant un conatus qui attribue à chacun la puissance de persévérer dans son être. C’est Nietzsche et le défi lancé à tous d’un Eternel retour obstiné des choses et des actes.
C’est enfin le narrateur de la Recherche puisant la force de crapahuter avec délices dans les dédales d’une mémoire toujours en chantier, à jamais mise à nu. Mémoire disponible au décryptage, à décliner sur le mode d’un présent rendu à l’éternité.
Ainsi nos géométries dans l’espace ne cessent-elles d’inventer qui nous sommes et devenons à chaque instant. « Un point c’est tout », atteste le langage courant. On pourrait en dire autant d’une ligne, d’une courbe, d’un volume. D’une triangulation ou d’une quadrature. D’une horizontale sans fin comme d’une verticale plombée de désirs.
Tintin et Gavroche, Ulysse et Nemo… Le Petit Prince. A l’heure du doute, nos figures aventurières ont souvent quelque chose à nous révéler. Ou à nous rappeler. Nos héros familiers ne se risquent-ils pas à aller voir ailleurs s’ils y sont ? A nous, lecteurs de fictions en tous genres, d’emprunter leurs traces pour voir si nous y sommes aussi. Et si, par hasard, nous nous y sentirions mieux…
Tout premier voyage est intérieur. Initiatique. Tissé de patience. Teinté d’une poésie du regard comme d’une philosophie du questionnement. Il est récit, fiction, fable. Reflet d’un geste universel qui nous rappelle que nous avons tous été ce jeune enfant avide de fouler le jeu de piste exigeant propre à nous confier quelques clés utiles dans le monde. Avant que l’adulte en nous ne fende la chrysalide, s’inspirant durablement de cette leçon de vie patiemment mûrie dans nos jeunes années : celle d’une intrigue menée avecfougue, le savoir au coeur.
Mèches au vent, rire au cœur, l’enfant entame son voyage d’apprentissage à coup de pourquoi qui fusent. Questions de bon sens puisant déjà – rétrospectivement – aux racines de nos représentations et de nos fonctionnements installés d’adultes. « Lesgrandes personnes sont décidément extraordinaires… » ne cesse de murmurer, d’une planète à l’autre, le Petit Prince, sceptique à chaque nouvelle rencontre, interrogeant nos pratiques adultes comme autant de glacis de vie figeant nos désirs en de pathétiques visions qui ne présument rien de bon à ses yeux candides.
« Pour faire un homme, Dieu que c’est long ! » clamait un chanteur du siècle d’avant. Remarque sans âge, en regard du moment merveilleux où le doute côtoie le rêve, le temps d’une enfance. L’espace d’une mue. Avant que l’adulte en nous réalise un beau jour, insensiblement, qu’il n’est déjà plus cet enfant capable de poser les seules questions qui vaillent. Du lointain de ces années bénies, depuis nos raideurs d’êtres matures, accomplis (?), nous percevons encore les échos affaiblis de la voix juvénile qui interrogeait dans un autrefois aux allures d’éternité. Cette voix vivace, c’est celle du poète et du philosophe qui sommeillent et rêvassent encore en nous. Celle aussi du conteur, du fabuliste, qui résonne d’une drôle de ritournelle : « Regarde-toi !Qui es-tu ? As-tu oublié ? D’où viens-tu ? Quelles sont tes racines ? Où est ton ressort de vie ? Qu’en sais-tu ?... » L’ivresse de connaître resurgit au centre du jeu, maîtresse des énergies comme des intentions.
Quelle trace demeure de la graine primitive patiemment épanouie en plante désirante ? L’enfant en nous s’est-il évanoui tout entier ? Dans son ombre portée, une alchimie secrète a fini par révéler un citoyen éclairé de son temps : celui qui incarne la part publique, citoyenne, de sonêtre au monde via la force de partage de ses savoirs, animant bientôt son rapport à l’autre dans la Cité.
La connaissance prend alors des allures de viatique se coulant dans le grand récit moderne : celui d’un Sapiens apprenant, en quête de liens, toujours en marche depuis la nuit des temps. Une aventure renouvelée se profile aux croisées d’un jeu social ouvert à toutes les transmissions : nous y voilà ! Et, pourquoi le taire, nous nous y sentons bien.
*** Les fiches de travail qui suivent (+ leurs corrigés) ont été proposées pendant et après le confinement sanitaire (depuis la mi-mars 2020) pour aiguiller les recherches hebdomadaires du groupe de travail en FLE animé ordinairement à la Médiathèque de Loches, chaque vendredi après-midi.
Le livre de lecture suivie, choisi pour ce travail de FLE, est « Le Petit Prince » de Saint Exupéry.
1+1=3. C’est la
logique insolite et porteuse d’utopie engagée par les réseaux de savoirs
partagés. Le principe en est simple, à portée de tous et de chacun.e. Il s’agit
de placer l’échange de compétences entre citoyens au centre d’une pratique
sociale commune, contractuelle. Sur la base du volontariat et de la force d’un
geste gagnant : celui d’une valeur ajoutée dans l’échange mutuel, d’un plus profitable à tous.
Savoirs, savoir-faire, savoir-être s’y
trouvent ainsi focaliser nos attentions, via un lien renouvelé à notre langue écrite
et orale. Les bases du fonctionnement en réseau sont claires. Parité des
savoirs : tous se valent d’emblée. Gratuité des connaissances :
retour au bon vieux troc d’antan. Diversité des contenus : mille regards
pour mille savoirs viennent ranimer soudain nos curiosités piquées au vif.
Comme sur un vaste marché grouillant d’idées, de propositions autour du besoin
vital d’apprendre censé nous animer notre vie durant. Et surtout, coopération à
tous les niveaux, à rebours des compétitions trop souvent mortifères, du
ressentiment organisé porteur de la jalousie mimétique du tous contre tous.
Enfin, cerise sur le gâteau, la symétrie croisée entre offreur et demandeur de
savoir, l’un pouvant à tout moment enfiler la casquette de l’autre dans tout
type d’apprentissage. Au final, l’ajustement heureux d’un accord mutuel réalisé
dans l’action.
A ce jeu du partage pensé, organisé,
horizontal, nous sommes tous gagnants d’emblée. Notre œil qui s’aiguise réalise
soudain que nous étions assis sur des pépites ignorées de compétences de toutes
natures que nous désirons remettre en mouvement dans un recyclage actif, au
service d’un cercle vertueux : plus je partage plus j’apprends, plus je
sais plus j’échange, plus je crée du lien plus la dynamique collective se
ravive. C’est le rapport même à nos racines profondes de Sapiens sapiens qui se voit soudain resurgir dans toute sa
pertinence.
Mordant au réel de notre condition
d’apprenants, nous ranimons aussi les valeurs à l’origine de notre
Histoire : liberté des initiatives multiples, égalité de valeur des
contenus, fraternité vécue des échanges. Au présent, c’est tout le pacte social
qui s’en trouve soudain embelli, ravivé d’un souffle neuf. Ruraux et citadins,
migrants ou expatriés, défavorisés et nantis, privilégiés du système scolaire
ou non, tous se remettent en marche en vue de cette « formation toutau long
de la vie » dont notre temps se déclare volontiers porteur. De quoi damer le pion à cette
éternelle part de nous-mêmes si prompte à s’émouvoir du manque frustrant d’un
verre à moitié vide.
Ecoutons plutôt le poète, visionnaire dans
un univers d’aveugles, déplorer « un paradis peuplé de gens qui croient
vivre en enfer », comme plombés par un malaise chronique face au monde
dont le rythme et l’avidité consumériste nous panique, nous déboussole. Rattrapés
par une forme d’inaptitude au bonheur collectif, nous entrevoyons une ouverture
possible dans la pratique consciente, désirante, de ces réseaux de savoirs
partagés.
A nous de jouer… Pour qu’enfin la drôle
d’équation 1+1=3 ne soit plus une utopie.
PRESENTATION DU RESEAU CITOYEN « AGORA37 »
Et si nous tentions de raviver notre sens du collectif
par le plaisir d’apprendre ensemble ?... Cette question résume à elle seule
l’esprit de notre démarche : https://sites.google.com/site/rezoagoratourainesud/
La finalitédu projet : permettre une mise en commun et en relation de
tous nos savoirs, savoir-faire et compétences dans des échanges réciproques.
On retrouve dans
cette action commune les trois piliers de notre devise républicaine : liberté des initiatives multiples, égalité de valeur de tous les contenus,
fraternité vécue des échanges. La
démarche rejoint aussi l’idée contemporaine de Formation tout au long de lavie.
Elle place l’humain et sa formation au centre du projet. Dans un climat à base
de re-connaissance, de coopération.
De bienveillance et de désir d’apprendre.
Et sur le plan PRATIQUE ?
1-Chacun.e cherche et précise
son/ses domaine.s de compétence favoris (pas de petit domaine !... tous ont la même valeur de départ). On peut
se situer en offreur comme en demandeur de ce.s savoir.s.
3-Votre offre ou/et votre demande de savoir est inscrite sur
le TABLEAU de NOS ECHANGES avec votre prénom et votre email (voir site).
4-Une rencontre-médiation est organisée, avec un.e
responsable, entre offreur(s) et demandeur(s), pour valider les modalités de leur
échange.
5-L’échange peut commencer. Conseils et médiations
intermédiaires viennent éventuellement soutenir l’action en cours.
6-Un bilan s’établit régulièrement entre participants.
dimanche 1 avril 2018
L'EGO CHATOUILLEUX DU BOUDDHA (3/3)
RECIT
TOUS EN
BALADE !
(.../...) « Pourquoi la course ne
marche-t-elle pas ? » C’est de cette question à la fois surprenante
et provocatrice, lancée en l’air non sans ironie, qu’est née une irrépressible
envie de sortir du dojo, ce matin-là. Partir. Où ? Peu importe. Mais
partir. Se mouvoir. Se remuer. Se bouger.
Y
aller. Où ? On ne sait pas. L’inutilité de la marche est ce qui la rend
indispensable dans un monde où on court toujours pour aller quelque part.
Marcher pour échapper à la frénésie de son quotidien – pourquoi les rites
méditatifs échapperaient-ils à la règle ? Marcher pour ne plus savoir,
pour penser à autre chose qu’au rocher qu’on roule, tels des sisyphes bêtement
heureux.
Pèlerin, vagabond ou simple flâneur, le marcheur a toujours un pied au
sol. Il expérimente son identité mobile en produisant un rythme qui lui
convient, tentant et retentant ce geste simple : s’arracher à l’inertie.
Fluidité et pesanteur mènent bon ménage dans un mouvement qui trouve en lui sa
propre fin.
Bergson, philosophe du mouvement, installe ce geste dans une durée qui
s’impose, plus que dans un espace parcouru. Nous voilà de passage d’un instant
à un autre, expérimentant du temps à l’état pur. Les variations de nos pensées
suivent cet art du déplacement, pour finir par nous installer dans l’attention
à ce qui dépend de nous. Nous sommes engagés dans une sobriété retrouvée.
Surprise !
C’est le bouddha lui-même qui a pris l’initiative et la tête de notre groupe.
Pour l’occasion, Pépère a revêtu un ensemble flottant du meilleur effet. C’est
à croire qu’il veut prendre les voiles, notre cher guide ! Il n’a rien
d’un séraphin gracile, pourtant. Mais, d’un pas mesuré, presque circonspect, le
voilà qui promène son imposante stature avec une élégance dont on ne le pensait
pas coutumier. Mauvaises esprits que nous sommes ! Le chemin où nous nous
engageons semble des plus faciles. Nul doute qu’il soit familier au maître des
lieux. Et c’est comme un seul homme que nous emboîtons le pas à la stature
bonhomme du guide.
La suite ne manque pas de sel, mais ça on ne pouvait pas le prévoir.
Elle apporte aussi la preuve que les corps savent garder la mémoire de leurs
évolutions récentes. En tout cas, c’est une réplique mimée de notre marche dans
le dojo deux jours plus tôt que nous rejouons devant la face hilare de notre bonze.
Un plagiat pur et simple mais qui ne dit pas son nom ! Voilà où mène
l’application poussée des apprentis lorsque ceux-ci naviguent dans une fascination
de mauvais aloi pour le maître !
« Allez, lâchez-vous ! » lance gaiement Son Altesse
Epatante, étonnée par tant de conformisme. Un comble, venant de sa part !
Et comme pour mieux donner l’exemple, le voici qui exécute quelques entrechats
du meilleur effet. Bon, mais sur ce coup-là, il échoue à garder un minimum de
dignité !
« Mais je vous chambre, les amis ! » lance-t-il pour
alléger l’ambiance. « Marcher en méditant, c’est aller sans but précis, en
goûtant chaque avancée. On pratique en faisant des pas calmes, musards, un
demi-sourire aux lèvres… et dans le cœur. Marchez lentement, tranquillement,
comme si vous étiez la personne la plus insouciante et la plus oisive au
monde. »
« Il
nous faut couper avec notre vie agitée de tous les jours, lorsque nous sommes
l’objet d’une pression irrésistible qui nous pousse de l’avant malgré nous.
Nous devons souvent « courir » sans nous poser vraiment la question « où ? »
Pratiquer la méditation marchée, c’est au contraire flâner, sans avoir de but,
sans vouloir gagner un lieu, à un moment donné. La seule finalité de la
méditation marchée, c’est… la méditation marchée ! » Dixit le patron
et circulez !
« De
chacun de nos pas peuvent rayonner la vie, la paix. Pourquoi se presser ?
Il serait plus logique de ralentir, au contraire. Nous marchons sans marcher,
sans qu’un but nous attire. Pour cette raison peut naître sur nos lèvres ce demi-sourire
que j’évoquais. »
« Fouler l’herbe, regarder les arbres, contempler les nuages,
tendre l’oreille aux chants d’oiseaux : nous voici de retour à la vie. Nos
pas ne portent plus le poids de nos angoisses ou de nos craintes. Marchez
lentement, en projetant votre attention sur chaque foulée. Faites des pas calmes,
détendus, cérémonieux presque. Comme si vous vouliez imprimer votre empreinte
sur la terre. Soyez Bouddha à cette minute même. »
Une fois de plus il nous épate, Pépère : le voici qui déguste avec
gourmandise nos visages ahuris. C’est Dieu soi-même ouvrant une succursale aux
cousins de la famille ! Ou le monarque vendant à l’encan ses petites
royalties. Allez, on ne le prend pas au pied de la lettre notre incomparable
bonze ! Car il est un peu tard, au fond, pour un quelconque coup d’état
dans notre petit Landerneau !
Tout ragaillardi de son petit effet, l’Inestimable poursuit sa litanie
bien huilée. « Le demi-sourire et les pas paisibles sont autant de perles
éparpillées que vous rassemblez grâce au fil de votre respiration : le
collier issu de cet exercice sera du plus bel effet. » Là, les
demi-sourires se muent en rires étouffés, puis en franche rigolade : ça
pouffe dans les coins. Notre groupe de méditants n’est pas loin de se tenir les
côtes, ce qui semble contrarier quelque peu son Insaisissable Grandeur. Mais il
l’a bien cherché : avouez que le coup du collier est un peu gros !...
Tout juste revenu d’un coup de sang fugace, le taulier poursuit sa
petite musique clopinante. « C’est l’œuvre du Bouddha que vous perpétuez
par votre façon de marcher, de vous tenir debout, de vous asseoir ou de
contempler le soleil au ras de l’horizon. »
« C’est comme si une fleur de lotus s’ouvrait à chaque pas, sur
laquelle vous mimez votre assise à chaque fois que vous faites halte. Soyez
sans complexe : si vos pas sont heureux, légers, sans souci, alors vous
êtes dignes d’être portés par un lotus. »
Les yeux s’écarquillent tout autour de nous : il y a fort à parier
que chacun est en train de visualiser sa
fleur de lotus s’épanouissant sous
son auguste talon. La force de concentration est bien là, attentive à une vie
si légère qu’elle nous rejoint sans que nous ayons à forcer. Pas un zeste
d’auto-persuasion dans tout cela, figurez-vous !... Mais bien plutôt un
retournement à la Spinoza : las de prendre nos désirs pour la réalité,
voilà que nous tentons d’expérimenter la proposition inverse ! Et ce n’est
jamais gagné !
« Lorsque nous pratiquons la méditation marchée, nous sommes
arrivés à chaque instant. » poursuit le bouddha. « Nous voici
parvenus à l’adresse de la vie : la juste intersection de l’ici et du
maintenant. Oublié le passé, non pensé l’avenir ! A chaque pas réalisé en
pleine conscience, vous vous sentez solide et libre. »
« Nous sommes vivants : rien de
plus simple ! Et pourtant, voilà une évidence qu’il nous faut retoucher à
chaque instant pour ne pas l’oublier. La pleine conscience est le contraire de
l’oubli dans lequel nous vivons si souvent. »
« Les premières fois,
lorsque vous marcherez lentement, vos pas peuvent chanceler comme ceux d’un
enfant. Suivez alors votre respiration, et vos pas se stabiliseront peu à peu.
Avez-vous remarqué la démarche du bœuf ou celle du lion ? Ce sont des pas
posés, précis, pour l’un, souples et gracieux à la fois pour l’autre. Ce seront
aussi ceux du méditant marcheur, en harmonie avec l’environnement. » « Voyant ce qui se passe devant vos yeux
et autour de vous, c’est votre vrai visage que vous voyez enfin. Vous êtes
alors « l’éveillé », à l’image des compagnons de route qui viennent
d’accomplir la même démarche que vous. »
Passez muscade !...
Le
sentier n’en finit pas de s’élever dans un paysage qui s’élargit pour déboucher
sur de hauts plateaux. L’horizon semble s’éloigner et se hausser dans un même
mouvement où tout se transforme insensiblement. Les membres de notre groupe
s’appliquent à marcher en suivant les conseils prodigués au début de la sortie.
La marche prend des allures de randonnée. Mais au diablel’étiquette collée sur les mots, seul compte
le déroulement des choses dans un présent qui se déploie. Nous allons. Conscients
de ce luxe qu’est devenu l’exercice attentif dans la lenteur cultivée,
consentie.
Au détour d’un chemin, nous croisons un
curieux personnage perdu dans ses pensées. Un certain Blaise P, physicien et
philosophe de son temps. Nous nous arrêtons pour échanger un peu. L’homme est
passionné par les mathématiques et l’invention d’objets scientifiques nouveaux,
un peu à la manière du grand Léonard qui enchanta la Renaissance. Blaise a
imaginé une calculatrice mécanique, la « pascaline ». Mais il s’intéresse
autant aux spéculations de la pensée qu’au domaine pratique. Une sorte de
personnage des croisements qui colle parfaitement avec le paysage
traversé : air d’altitude, sensations flottantes, ouverture maximale.
« Que chacun examine ses pensées »,
énonce Blaise P, « il les trouvera toutes occupées au passé ou à l’avenir.
Nous ne pensons presque point au présent, et si nous y pensons, ce n’est que
pour en prendre la lumière et disposer de l’avenir. Le présent n’est jamais
notre fin. Ainsi nous ne vivons jamais, mais nous espérons de vivre et nous
disposant toujours à être heureux, il est inévitable que nous ne le soyons
jamais. » Fermez le ban.
Les marcheurs échangent un regard entendu.
Décidément, c’est comme si le même message se répercutait à l’infini, nous
laissant songeurs et déterminés à chaque fois. Le bouddha arbore la mine
satisfaite que nous lui connaissons désormais lorsque le hasard de nos
rencontres vient conforter ses propres vues. Il faut dire que souvent, jusque
là, notre bonne fortune d’apprentis méditants s’est montrée éclairante.
Quelques chalets d’alpage apparaissent ici
et là, dressant leurs toits de lauzes sur un décor caillouteux. Devant l’un
d’eux, un homme est assis sur un banc de pierre. Apparemment, il médite lui
aussi, perdu dans ses pensées. Parvenu à sa hauteur, le bouddha s’arrête, comme
inspiré par son assise. L’homme engage la conversation.
« Vous me voyez assis, mais ce n’est
pas mon habitude. Si je suis philosophe, c’est d’abord parce que je suis
marcheur. Je recherche la montagne pour me mettre à distance de mes
contemporains. La solitude des hauteurs m’aide à méditer. J’aime par-dessus
tout développer ma réflexion au grand air. Je m’imagine aussi et je me veux arpentant,
sautant, escaladant et, pourquoi pas, dansant. Il m’arrive de marcher sept ou
huit heures par jour dans ce théâtre minéral. Après quoi je me sens plein de
vigueur et d’une patience à toute épreuve, riant et dormant bien. Cet exercice
de randonneur me comble et m’aide à penser… en mouvement ! »
Gaston B a reconnu l’un de ses collègues
philosophes, en la personne de Friedrich N, l’auteur de Zarathoustra.
Les deux hommes sont ravis de la rencontre. Ils partagent une même attirance
pour les mystères de la nature, sa profondeur et les échos qu’elle peut
susciter à l’intérieur des esprits.
Friedrich est en mal de confidences. Il nous
raconte la violente inspiration qui l’a saisi lors de la naissance de son poème
philosophique Ainsi parlait Zarathoustra. « Tout cela s’est passé
involontairement, comme dans une tempête de liberté, d’absolu, de force, de
divinité… »
« J’ai conçu ce livre comme un
« Cinquième Evangile ». Avec le souhait de me hisser à la hauteur des
poèmes de Goethe, de Dante, ou des textes de Luther. Voilà une œuvre de
réflexion qui renferme une nouvelle promesse d’avenir pour l’homme.
Zarathoustra est une sorte d’ermite qui se retire dix ans dans la montagne
jusqu’à laisser monter en lui le besoin de partager sa sagesse. Ce récit en
rappelle un autre : celui du Christ dans le désert. J’ai voulu parler aux
lecteurs à travers la relecture d’un mythe inscrit au cœur du minéral. »
« Derrière la mort de Dieu s’annonce le
surhomme – l’homme accompli – animé par
la volonté de puissance, cette pensée du dépassement de soi et son affirmation
la plus haute : l’éternel retour. La transfiguration du surhomme vers l’amour
et la joie trouve son symbole dans le
lion devenu docile et rieur, entouré d’une nuée de colombes. »
« L’inspiration m’est puissamment venue
lors de longues randonnées dans les forêts de montagne, au bord de lacs
alpestres ou sur des surplombs de mer. Certains jours, je sentais les idées
mûrir, s’assembler en un tout durant les fortes marches de la journée. C’était
comme si l’œuvre se cristallisait dans mon attention à sa totalité, avant
d’être rédigée d’un jet, lorsque je revenais le soir. »
« Dieu n’étant plus la finalité de la
vie humaine comme elle l’a été durant des siècles, il revient à l’homme de se
fixer sa propre transcendance : se dépasser lui-même. Ainsi, Zarathoustra
commence le récit des trois métamorphoses de l’esprit : comment celui-ci
devient chameau, comment le chameau devient lion et comment enfin le lion
devient enfant. Le chameau se rend prisonnier de valeurs millénaires, le lion
affronte ce fardeau, avant de devenir l’enfant qui bâtit en toute innocence un
monde nouveau, celui de l’homme accompli. J’invite l’homme à créer par-dessus,
au-delà de lui-même. Et à dire oui au réel dans sa dimension tragique. »
« Zarathoustra le sage regagne alors
sa caverne, attendant que lève la graine semée auprès des hommes. Plus tard, il
lui faudra vaincre la pesanteur de la pensée la plus lourde : celle de
l’éternel retour qui invite à choisir de revivre indéfiniment sa propre
existence. Enfin apparaît le lion avec l’essaim de colombes, ultime vision
accompagnant la dernière métamorphose du sage. Le lion devient rieur, son cri
de révolte se transforme en rugissement doux et calme. L’animal pacifié se mue
en figure solaire, celle d’une nouvelle Aurore et d’un grand Midi. »
Socratès intervient : « Je suis très
sensible à la force allégorique dont votre texte fait preuve, car c’est aussi
la note dominante de mon enseignement philosophique. Constatant la défaite des
religions, l’homme hérite d’un destin qu’il doit bâtir de toutes pièces :
à lui de se prendre en main, sans complexe ni arrogance, en passant de la
placidité du chameau à la puissance du lion… jusqu’à revenir à l’enfance de
l’homme : l’éternel retour n’est jamais loin. »
On sent les membres de notre petit groupe
prêts à élever leur réflexion à la hauteur du cadre qui nous entoure. Ces
paysages de montagnes ont tout pour nous inspirer et nous nous y plongeons avec
délices, en attente de nouvelles découvertes. Notre guide se met à planer, lui
aussi, dans les hautes sphères de la contemplation. Le voici qui s’installe à
l’écart sur un carré de verdure entouré de rochers. Les vertus pneumatiques de
l’altiplano lui auraient-elles monté à la tête ?
Seul Tonio l’argoteur choisit l’agitation,
excité par la découverte des environs. C’est sans doute la première fois que ce
citadin pur et dur a l’occasion de s’immerger dans le milieu montagnard, et il
est bien décidé à ne pas en perdre une miette, le cher homme. Le voilà parti
dans les sous-bois, à la recherche de champignons, de myrtilles ou de quelque
animal pittoresque… qui sait ? Ils auraient bien fait la paire, Tonio et
Robinson, sur l’île perdue…
La
journée étire ses moments précieux à l’image du ciel ombrant bientôt les
massifs qui se découpent dans le soir. Il nous reste à prendre le chemin du
retour, des images plein les yeux et des évocations plein la tête.
« Chaque jour qui s’achève doit pouvoir
s’envisager comme une petite vie accomplie », nous souffle béatement Sa
Magnificence Eclairée, entre deux œillades évaporées…
Dont acte.
Marche et rencontres ont éclairé les
derniers moments de notre session. Il est vrai que nous n’avions jamais quitté
l’espace du Centre depuis le début. Et c’est avec un sentiment d’étrangeté que
nous retrouvons le milieu douillet du dojo. Le bouddha nous a donné quartier
libre pour nous permettre d’assurer à notre manière une transition en douceur.
Retour à l’ordinaire, donc.
Parvenus à ce stade de notre approche de
méditants, nous sommes presque tous d’accord pour faire le point sur notre
pratique telle que nous l’avons vécue jusqu’à ce jour. Une discussion
s’improvise. Assez vite, un thème revient au centre du débat : la présence
machinale à soi dans les menus gestes répétés au quotidien. Une présence qui se
révèle en fait approcher une… absence à soi. Notre désir pressant de vouloir
tout maîtriser, à tout prix et rapidement, ne nous pousse-t-il pas à avaler les
multiples petits actes d’une journée, à produire une succession de mouvements
qui s’empilent, comme sans valeur véritable ?
« Il faudrait aiguiser nos regard pour
pénétrer l’ordinaire, cet impensé au cœur de nos vies », résume un
méditant d’une très belle formule. « L’air est connu : notre
propension naturelle nous porte d’emblée vers ce qui sort du commun, ce qui est
propre à nous séduire. Dans sa répétition parfois lassante, l’ordinaire ne
semble pas faire le poids face au sublime. Univers des objets familiers, menus
actes de la vie domestique : ce qui nous est le plus proche nous est aussi
le plus connu, car sans cesse exposé à notre attention. Et c’est donc aussi ce
que nous finissons par oublier en le faisant passer au second plan de notre
vigilance. Que gagnerions-nous à nous arrêter à nouveau sur ce que nous finissons
par ne plus questionner ? Que trouverions-nous à nous focaliser davantage
encore sur ces instants les plus banals ? »
Un nouvel entrant se manifeste alors dans
notre jeu : Amedeo M, artiste peintre de son état. Il salue au passage son
contemporain Pierre B, l’homme aux chromatismes inépuisables.
« J’ai d’abord été un sculpteur
passionné par son travail. Sans grands moyens, je récupérais des pierres nuitamment
sur les chantiers de Paris. Mais très vite, la poussière m’étouffait et je
souffris des poumons. C’est ainsi que je me suis rabattu sur la peinture.
M’inspirant de plusieurs sources propres à mon époque, j’ai peu à peu créé un
style singulier, l’épurant jusqu’à ma mort : des silhouettes féminines
longilignes, aux visages filiformes, cous étirés, yeux en amande souvent vides,
trait noir et fin dessinant les figures sur des fonds mouchetés. »
« Longtemps, le seul acquéreur de mes
toiles fut… un aveugle ! Il venait chez moi, collait son nez sur mes
toiles encore fraîches et finissait par les acheter. Le sens visuel reconverti
en sens olfactif ! Cela m’étonnait et m’interrogeait à la fois. Serait-ce
à cause de cet œil mort que je me suis plu à représenter par la suite des
visages souvent sans iris, donc sans véritable regard, pourvus d’une expression
comme tournée au-dedans d’eux-mêmes ? Des yeux de statue. Ce trait de ma
peinture a mis beaucoup de temps à être reconnu pour sa vraie valeur tant il a
déconcerté au début. »
« Dès que nous apportons de l’inédit
dans nos créations, la première réaction des gens est de s’en trouver désarmés.
Ils demeurent fixés à leur regard habituel sans le savoir, sans en être
conscients : ils ne sont plus vraiment dans la profondeur d’un regard mais dans sa répétition exclusive qui
les empêche de se tourner vers la nouveauté. »
Et, se tournant vers Pierre B :
« Comme vous, j’ai pris ma compagne pour modèle et muse. Jeanne avait le
visage rond, le nez épais, les lèvres charnues, de grands yeux clairs, les
arcades saillantes et de longs cheveux auburn. La représentation que j’en fais
ne ressemble pas à l’original. J’ai plaqué sur son visage le masque oblong et
lisse que j’attribuais à toutes mes femmes peintes. J’avais longuement cherché
ce masque à travers ce que j’avais sous les yeux : dans l’art primitif,
chez certains de mes contemporains, dans les visages croisés au cours de mes
visites de musées. C’’était devenu une obsession dont j’avais recouvert le réel
de mes créations. »
Pierre B réagit au récit de son collègue.
« Vous venez de prouver qu’il n’y a pas de frontière – hormis celle que
nous y plaçons inconsciemment – entre le quotidien, l’habituel et le neuf dont
nous l’habillons à chaque instant. J’ai beaucoup pris ma compagne comme modèle,
moi aussi, et il me semble que je l’ai toujours réinventée, semblable et
pourtant différente à chaque nouvelle toile ! Voilà bien le signe
paradoxal d’un mystère de la rengaine pour qui sait… ouvrir les yeux. »
Chacun est d’accord pour dire que l’ordinaire
peut se révéler parfois plus fécond que ce à quoi l’on s’attend simplement.
Candido renchérit : « Prenons l’exemple des natures mortes. Que nous
évoquent ce simple verre d’eau, cette cruche en grès, ces quelques fruits posés
là sur un compotier ? Leur existence immobile, discrète, presque secrète,
est-elle si inutile qu’il y paraît à première vue ? Et si, en regardant le
familier, nos yeux ne voyaient plus rien, ou si peu ? Et si ces vies
minuscules, immobiles, recélaient de l’invisible, à l’image du silence qui nous
révèle parfois l’essentiel tapi à l’intérieur du cours du temps ? »
En philosophe, Gaston B ajoute :
« L’attention portée à l’ordinaire passe par un changement, une éducation
du regard. Nous rejoignons ainsi, l’espace d’un instant, le penseur Martin
Heidegger pointant notre attention sur la banalité d’une… paire de godillots,
motif repris par le peintre Van Gogh. Voilà que derrière l’existence ordinaire
des choses se tapit leur essence. »
« Blaise P, que nous avons croisé hier
en chemin, ne nous dit pas autre chose : « Les hommes n’ayant pu
guérir la mort, la misère, l’ignorance, ils se sont avisés, pour se rendre
heureux, de n’y point penser. » A travers la banalité du divertissement, le
philosophe note aussi la question de l’ordinaire : « Comment parvenir
à penser quelque chose que nous passons une partie de notre vie à essayer de
fuir ?... »
Et Socratès de conclure : « La
méditation de pleine conscience que nous pratiquons ici vient nous rappeler
qu’il est inutile de singer quelque chose venu de l’extérieur. Mieux vaut être
attentif au réel en le désirant simplement, pleinement. L’instant est sans
doute ce que nous avons de plus précieux à cultiver, loin des spéculations
hasardeuses d’un avenir incertain ou du parfum au goût de cendres d’un passé…
dépassé. Voyez les tableautins apaisants des haïkus japonais, petites
perles de présent arrachées au réel, instantanés délicieux se renouvelant à
l’infini, brefs morceaux de vie banale inspirés par la philosophie tranquille
du regard intérieur. Voilà de petites natures mortes disant tout de la vie,
hors la nostalgie et l’espoir que nous cultivons si souvent. Ce qui est est, et
c’est formidablement tout ! »
Jacques T ne peut s’empêcher
d’ajouter : « Pour moi, l’ordinaire est soluble dans le burlesque, le
drôle, l’inattendu. Ce sont les codes sociaux habituels et les sons les plus
courants que je mets en scène dans mes films, en les exagérant pour en extraire
toute la force comique. »
Vive le réel lorsqu’il sait endosser le
costume familier de la ritournelle !
L’ART DE LA
SYNTHESE
C’est
un bouddha mi-figue mi-raison qui se présente dans le dojo, bien décidé à
reprendre la main dans un retour d’ego dont il est encore friand. Par moments, c’est
plus fort que lui : il ne déteste pas se hausser du col, Pépère.
« Chers amis, tout ce qui a été pensé et dit dans ces murs ne
manque pas de pertinence. J’ai moi-même beaucoup appris et certaines choses se
sont confirmées. J’ai bien noté les liens de proximité qui unissaient la
pratique de la philosophie à l’exercice de la méditation. S’il fallait résumer
l’ensemble de notre démarche, je dirais avec Paul Valéry : « Il y a
un art de marcher, un art de respirer ; il y a même un art de se
taire. »
On a retrouvé notre bouddha d’origine : direct, sans fioriture, soucieux
d’aller à l’essentiel… et maniant l’art de la référence comme pas deux !
« J’ajouterais au mot de Valéry l’art de penser et l’art d’être
attentif », lance-t-il en guise de complément utile, laissant entendre que
ses oreilles ont traîné dernièrement dans le dojo. De l’attention, le bouddha
donne alors son approche à travers un bref récit. Il évoque une personne à qui
l’on a demandé de marcher au milieu d’une foule avec une cruche remplie à ras
bord, posée en équilibre sur sa tête. Derrière elle marche un soldat armé d’un
sabre. Si une seule goutte d’eau est renversée, le soldat tranchera la tête qui
le précède. Vous pouvez être certain que l’homme à la cruche sera habité par la
plus grande attention !... Voici une fable qui ne manque pas de
tranchant !
Vraiment apaisant notre cher daron ! Il ne manquait que la peur,
ultime conseillère, au tableau de nos menus tourments ! Serait-il à cours
d’argument, le bougre ? On pourrait le supposer. En tout cas, sa petite
parabole produit l’effet d’une douche froide dans notre assemblée. Drôle
d’ambiance, on se croirait rue Froidevaux !
L’attention qui vient d’être définie par le bouddha semble se situer à
des années-lumière de celle vantée par l’aventurier Robinson. Souffle de
liberté d’un côté, contre vent de contrainte de l’autre. Le grand écart, en
quelque sorte. Il va falloir du talent au taulier pour rassembler les extrêmes
en une synthèse acceptable.
« La peur est un ennemi puissant lorsqu’elle n’intervient pas à bon
escient. En nous faisant craindre le pire, elle paralyse notre action, risquant
de nous faire passer à côté du meilleur. Aussi nous faut-il apprendre à
distinguer la peur salvatrice de celle, plus sourde, inhibant nos énergies. Comme
les deux côté d’une même pièce. N’oublions pas pour autant que c’est un
sentiment comme les autres. Vous ne pouvez donc l’éliminer totalement et vous
n’avez aucun intérêt à le faire. Vous pouvez par contre apprendre à ressentir
l’énergie que la peur dégage en vous et chercher à la canaliser. »
Candido intervient. « Oui… A chacun ses trouilles ! Mais il
faut quand même resituer les frousses dans leur contexte. Voilà bientôt
soixante ans que nous n’avons pas vécu de conflit armé… et par conséquent peu
de raison d’éprouver les frayeurs les plus aiguës, celles liées à la guerre et
à la mort imminente. Votre petit récit, cher bouddha, relèverait bien de ce
type de frayeur qui consiste à ignorer vraiment si l’on sera encore en vie dans
l’heure qui suit. Et cela change tout !... Chacun peut vivre alors des
moments intenses où la panique s’inscrit en lui, dans ses sensations, jusque
dans sa chair même. »
«
Mouais… la vraie pétoche ça vous secoue son gazier, pas d’doute ! »
renchérit Tonio surgi du diable vauvert.« J’veux pas dire, mais quand tu t’trouves face à un surineur de
première prêt à t’larder la couenne, y a intérêt à faire fissa sans lui d’mander
son blase ou ses fafs. Moi la clinche, ça m’recharge la glandaille illico. J’m’sens
plus ligoté com’ dans l’corps méditant et j’tard’ jamais à bicher l’groom en
face par le colbac ou à lui faire morfler ma tatane en pleine poire. Dans ces
cas-là, l’caberlot s’met en mode roupille, et y a plus qu’les osselets à gaffer
et la main gifleuse à calotter. Sans claquer des ratiches et sans état d’arme.
J’grince plus des biscotos qu’des méninges pour effeuiller les dominos du gars
d’en face. Tout ça m’gaillarde à fond les manettes ! Des fois même,
pas b’soin d’belliquer, y suffit qu’le gonze se mette en béchamel tout seul et
c’est gagné ! »
Interrompant
notre argoteur, Candido s’avance avec conviction. « Bon, mais entre les
peurs qui nous saisissent, nos agressivités inévitables et le soin qui peut
leur être apporté via la méditation, je jetterais un œil plutôt critique.
Exercices ludiques et relaxations proposées de nos jours aux parents et à leurs
progénitures prétendent « changer la vie » grâce à leur côté
enfantin, charmant. Avec ce message : « Être gentil, c’est agréable,
être gentil, c’est bon… Rendre coup pour coup n’est jamais une bonne
solution etc… »
« Il ressort de ces signaux une étrange impression : celle de retrouver
tous ensemble un univers de l’enfance où tout le monde redevient pacifique,
empathique. Un monde de bisounours en somme. La méditation du coucher remplacerait le « marchand de
sable » et les contes du soir d’autrefois. Ne nageons-nous pas ici dans
une sorte de régression infantile à travers des discours exquis, aseptisés ?
On court, à mon avis, le risque d’annihiler toute lucidité et toute volonté en
nous. Où se situe le problème : dans nos propres réactions, comme le
prétend le zen, ou dans une analyse objective des situations elles-mêmes ?
Où se trouve le juste équilibre entre les deux pôles ? » Notre avisé guide
passe par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Le voici envahi par la pétoche
qu’il vient d’évoquer. A lui de s’appliquer sa propre leçon !...
Candido, féroce, ne lui laisse pas le temps de réagir. Le voici reparti,
prêt à piquer de nouvelles banderilles. « Savez-vous que le bouddhisme est
devenu la quatrième religion en France ? Le Vesak, la fête religieuse qui commémore la naissance, l’éveil et le
décès du Bouddha il y a deux mille six cents ans, figure désormais sur notre
liste des fêtes religieuses. Cette religion dispose désormais en France et en
Europe d’un courant de bienveillance qui va bien au-delà de ses pratiquants.
Ouvrages, sessions et centres de formation se multiplient. Par centaines de
milliers, des sympathisants convaincus achètent les multiples ouvrages dédiés à
la question. Erection de statues et cérémonies d’accueil rythment la vie des
centres construits un peu partout dans le pays. Cela ne vous étonne pas de voir
tous ces gens vivant dans une société moderne, démocratique, rationnelle, se
prosterner et s’extasier devant des lamas, pratiquer des rituels et des
dévotions ésotériques en acceptant de mettre sur la touche leur propre
culture ? Et quid des témoignages d’anciens moines éduqués dans des
monastères, et dont certains se sont plaint de mauvais traitements ? La
croyance peut rendre aveugle, quelle que soit la religion. Le bouddhisme a été
présenté et promu en France comme une spiritualité laïque à vocation avant tout
thérapeutique. Une religion dépourvue de toute transcendance et qui n’en serait
donc pas vraiment une. A voir et à entendre le Dalaï Lama ou d’autres
dignitaires bouddhistes, on peut se montrer sceptique ! Comment en est-on
arrivé à une telle fascination ? »
« Une réponse est sans doute à chercher du côté d’un exotisme que
chacun peut récupérer aisément à son propre compte en se coulant
individuellement dans la peau du sage, de l’être parfait, du saint… une image
inatteignable, oubliée en Occident et qui resurgit soudain, mais accessible à
tous, cette fois. Le paradis, tel que défini comme si haut et si loin par
l’aspirant chrétien, existerait-il désormais à la portée de toutes les
bourses ?... Voilà une aspiration qui vous caresse dans le sens du poil, à
l’image du serpent biblique jouant de la pomme dans le jardin d’Eden. »
Le
dabe est cramoisi. Tant d’audace le sidère. Il va lui falloir du temps pour
peaufiner des arguments valides face à pareille attaque en règle !
L’ami
Candido a frappé fort et mesure les dégâts avec le petit air détaché de celui
qui a fait le boulot et ne regrette rien. Après tout, les faits cités sont
connus de tous et facilement vérifiables. Le bouddha n’est pas dupe des vérités
émises mais demeure d’abord sans réaction. La note est salée : traitement
des peurs, remise en question du bouddhisme, autocritique des individualismes
aveugles… Et par-dessus tout, soupçon de flatter les gens dans le sens de leur
naïveté ! Tout va dans le sens d’une suspension à la
« Patochka », déjà évoquée plus haut. Que va-t-il bien pouvoir
apporter de nouveau, le chef ? L’air déterminé, il prend la parole.
« Le moment est venu de dresser une synthèse de nos débats. Votre
évocation de nos civilisations avancées, autant que fragiles et vulnérables, me
semble aller dans le sens de la simple lucidité. Ni l’appel à une histoire
pénitentielle, ni la culpabilité excessive ne sont des attitudes réalistes
propres à nous permettre de rebondir au-delà d’un monde ancien qui a pris du
plomb dans l’aile. A nous de faire valoir les acquis de notre civilisation
occidentale, et en premier lieu notre capacité au sens critique qui suspend et
examine, analyse, synthétise et se projette. »
« A cet égard, le geste de Patochka n’est-il pas exemplaire ?
Ce philosophe résistant fut persécuté, au siècle dernier, par le pouvoir d’Etat
communiste, simplement pour avoir eu raison contre lui. Conscient de sa
finitude et de la responsabilité de sa propre vie, cet homme est le
continuateur d’une longue lignée de penseurs des phénomènes et des faits de
conscience. »
« L’épochè, cette suspension
de la pensée où ne nions ni n’affirmons rien en demeurant attentifs à tout, ne
serait-elle pas l’attitude appropriée à la synthèse que nous recherchons ?
La pensée philosophique rejoint parfaitement ici l’attention à l’instant
proposée dans l’exercice de la méditation : suspendant provisoirement le
flux des événements de la vie, nous nous mettons comme en état d’apesanteur,
sans jugement ni passion, dans une attitude aussi neutre que possible. Voici
l’acte volontaire qui me semble associer le mieux philosophie et
méditation. »
« D’ailleurs, poursuit le bouddha non sans ironie, j’avoue avoir
été plusieurs fois tenté d’interrompre purement et simplement la présente
session tant les réactions de mon public me semblaient partir dans tous les
sens et ne pas respecter les règles que nous nous étions fixées au départ. Et
puis une réflexion a pris corps à l’intérieur de moi. Au nom de quel réflexe
aurais-je mis fin à des réactions spontanées relevant d’une certaine manière de
voir les choses autrement ? »
« Personne
ne peut raisonnablement se prendre pour le centre du monde ! Toute culture
n’est-elle pas d’emblée plurielle ? La présence de la philosophes dans ces
lieux m’a permis de faire une moyenne entre mes certitudes et mon
scepticisme : il en a résulté pour moi une attitude que j’ai voulu
tolérante. En m’efforçant d’adopter des points de vue différents, j’ai pu
relativiser ma propre approche, me décentrer quelque peu. J’y ai
personnellement trouvé mon compte. »
Michel de M intervient. « C’est tout à votre honneur. J’ai moi-même
évoqué dans mes Essais l’expérience
d’Indiens du Nouveau Monde fraîchement débarqués en France et s’étonnant de
voir des soldats adultes obéir à un monarque encore enfant, ou dépités par les
énormes différences sociales visibles au cœur d’un peuple dit pourtant
« civilisé » ! En irait-il de la maturité des nations comme
de celle des individus ? »
« J’ajoute que mon collègue Montesquieu allait par la suite faire
une expérience similaire, racontée dans ses Lettres
Persanes, à travers le regard innocent d’un Perse d’Ispahan sur ce qu’il
nomma – vu de son côté – « ces barbares d’occidentaux » !
Décidément, par quel critères neutres, objectifs, nous permettons-nous de juger
de points de vue différents du nôtre, d’habitudes de vie parfois si
dissemblables ? Un ironiste contemporain a résumé cet état de fait de
manière lapidaire et pertinente : « Je suis tellement sceptique que
j’ai un doute sur mon propre scepticisme ! »
« Une approche de critère universel semble se profiler dans la
capacité d’une culture à ménager à l’intérieur d’elle-même sa coexistence avec
d’autres cultures : la forme que se donne la laïcité « à la
française » répondrait à une telle exigence. »
Notre bonze opine du chef avec empressement. « Oui, c’est bien ce
que j’ai voulu exprimer : après tout, les exercices proposés ici sont une
forme parmi d’autres d’équilibre et de mieux-être. Il m’a paru important aussi
de montrer que l’exercice de la méditation se situait au-delà des caractères
propres à une religion – le bouddhisme – pour toucher à une forme universelle
d’approche et de connaissance de soi. Cela rejoint ce que nous évoquions sur la
tolérance et la laïcité. J’ai évolué moi-même, durant ce stage, vers une forme
plus neutre, sans a priori, qui puisse se mettre au service de chacun. »
Il semble que le bouddha ait résumé les choses avec justesse, y compris
sur sa propre mutation dont nous avons été les témoins. Chacun le reconnaît
implicitement, et les visages le disent assez. Un méditant pose alors cette
question : « Vous disiez avoir trouvé votre compte dans cette
attitude de patience et d’ouverture ?... »
« Oui,
j’ai pu enrichir mon approche en constatant des recoupements qui ne m’étaient
pas apparus jusqu’alors entre méditation et philosophie. J’avais déjà un aperçu
de l’histoire de la pensée, et j’ai bien senti, à l’écoute des uns et des
autres, qu’un réel cousinage existait entre les deux sillages : les fondements
étaient similaires, même si les formes différaient. »
Nous reconnaissons là l’esprit d’ouverture qui a animé le bouddha au
long de ce stage. Et nous comprenons mieux maintenant à quels mouvements
d’humeur il a pu être confronté. Il a finalement donné la priorité à une parole
qui circule, une parole mutuelle, en réseau. A travers ce choix, il nous a
montré une voie : celle de ne pas s’accrocher à tout prix au statut que
vous donne la connaissance, pour laisser aller librement les flux d’influence,
quel que soit leur sens.
Nous mesurons aussi à quel point la présence active de certaines
personnalités a été importante. Ainsi, Socratès a-t-il su provoquer le bouddha
par sa force ironique, cette capacité à renverser une situation ou une opinion
… sans déclencher de conflit pour autant. Il a apporté la preuve que l’essence
de l’humour peut contribuer à nous placer au-dessus des contingences du réel.
Cet humour, que Jankélévitch nommait « sublime à l’envers », permet d’accéder
au présent par le biais d’une forme… d’absence. Oui, ironiser, c’est bien
s’absenter des guerres de croyances en cours, échapper à la tentation du
pouvoir immédiat pour mieux le subvertir par la bande. Voilà un jeu sans
victime, apte à nous faire sortir de l’état de minorité, à nous détacher des
ambiguïtés de l’émotion en nous autorisant à la mise à distance et à l’autonomie.
Retourner le sens des choses en se moquant ne permet-il pas au fond de
restaurer notre assise physique et mentale ? L’intervention de Jacques T
fut, elle aussi, décisive. Il nous a démontré, par ses pirouettes, que l’on
peut rire – et faire rire – avec son corps. Sa mécanique implacable du corps
dansant nous a placés en présence du spectacle de l’absurdité du monde, et
permis de neutraliser ne serait-ce qu’un instant l’intoxication sournoise que
nous menons parfois, à notre propre insu, sur nous-mêmes.
Zarathoustra, autre figure dansante, a confirmé pour nous les vertus de
l’allégoriepermettant de méditer sur
les illusions qui nous embarquent. J’avoue avoir ri intérieurement à la vue du
bouddha assis avec tout son sérieux, concentré dans l’exercice :
pouvait-il s’imaginer vu de l’extérieur, figé comme une statue, sérieux comme
un pape ? Aurait-il ri aussi de lui-même ? Le rire comme forme
privilégiée d’un miroir de soi. Nietzsche, le philosophe marcheur croisé en
montagne, nous confia avoir voulu faire de Zarathoustra
un livre sur l’apprentissage du rire comme source de connaissance et de
sagesse.
Profondeur et légèreté.
Notre
maestro semble bien être parvenu à éteindre l’étincelle de doute qui nous
habitait au début du stage. Le voici qui propose à sa fine équipe une ultime
méditation en guise de conclusion. Aucune directive pour ce dernier
travail : le boss fait maintenant confiance à chacun pour se prendre en
main. Les assises s’organisent sans empressement particulier. Les respirations
vont leur train de sénateur. Le silence s’installe dans une lenteur et une
attention devenues familières. Le zen va son rythme tranquille.
Nous
observons avec soulagement que les différents signes religieux présents dans la
salle semblent s’être dégonflés avec le temps. Les voilà devenus de simples
éléments de décor, au même titre qu’un modeste vase de fleurs ou qu’une jolie
table ornée. La méditation a gagné ses lettres d’indépendance et de neutralité
au service d’esprits apaisés. Heureux de cette conclusion, l’auteur n’en oublie
pas pour autant ses engagements d’origine. La question demeure et se
repose : quel changement s’est opéré en lui durant ces quelques jours de
méditation ?
Parti avec des préjugés tenaces, le candide de service en a vu des
vertes et des pas mûres avec ce bouddha hésitant mais qui, somme toute, a joué
le jeu. J’avoue que c’est du côté de l’ego que les choses se sont le plus
éclaircies. Assister aux luttes intestines d’un meneur pris dans les filets de son
double qui le malmène : quoi de plus exemplaire pour détecter et débusquer
ensuite chez soi les méandres de ce qu’il faut bien appeler notre
« deuxième peau », aussi invisible que taquine ?
Et puis les petites joies du hasard ont pimenté les limites de
l’exercice. La diversité des figures croisées durant la pratique a permis de
lever les a priori bien souvent
fondés sur des illusions, des « on dit », des peurs souterraines,
ignorées. La gamme infinie des vérités potentielles a fini par ouvrir des brèches
dans le jeu sans fin des « on croit », « on imagine », « on
pense que » etc… On ne sort pas facilement du cycle enclavant des
émotions, des pressions et des impressions, des scénarios multiples concoctés
par nos imaginaires en délire. Même l’exotique Robinson reproduit allègrement,
à son insu, les codes importés de son éducation d’origine sur un lieu perdu qui
ne lui demande rien ! Mathématique implacable des habitudes et des
chimères entretenues que l’exercice régulier du dialogue – interne comme externe
– révèle et allège… au moins autant que le silence !
« Le corps sculpte l’air comme un soufflet de forge » :
voici une esquisse possible de nos évolutions physiques – faudrait-il plutôt
dire de nos sur-place ? – dans le dojo. Car la seconde découverte se
nicherait au creux de cette respiration pourtant si mécanique que nous
l’oublions en permanence alors qu’elle est la condition même de la vie. En
faire l’acte de base, le lieu intime de l’exercice méditatif, voilà bien la
surprise ! Après ça, respirera-t-on encore de la même façon ? A
chacun de répondre.
La lenteur et l’attention au présent sont enfin deux découvertes qui
confirment la primauté de l’exercice, l’exigence de sa régularité, l’ordinaire
de sa pratique en état de pleine conscience. A l’image de nos ancêtres
stoïciens, exerçons-nous, encore et encore, il en restera toujours quelque
chose !
Allègement de l’ego, suspension du jugement, soins apportés à la respiration
et à la présence attentive, voici trois réalités souvent délaissées et pourtant
à notre portée ! Comme si les gestes les plus accessibles étaient à la
fois les plus simples et les plus difficiles à mettre en œuvre. Paradoxe toujours
d’actualité. Et puis songeons qu’il y a déjà deux millénaires, nos
prédécesseurs de l’Antiquité baignaient dans le même esprit, les mêmes valeurs
à promouvoir !... Alors relisons-les et puisons aux sources de ces
exercices immémoriaux dont la justesse n’a pas pris une ride. Sans oublier le
zeste d’ironie socratique nécessaire à une sagesse plus légère !...
Et
puis l’auteur aussi écrit avec son corps et son assise. Alors comme l’a si bien
résumé notre cher bouddha, « soyons corps », encore et encore… Sans
tomber dans l’hypnose !
« Tenir
le pas gagné » : Arthur, notre poète adolescent, aurait le dernier
mot de l’aventure.
Être ou savoir ? Vivre ou réfléchir ? Agir ou
penser ? L'alternative se pose là. Comment vivre sans se regarder
faire ? Comment trouver en soi la force de poser des actes sans se
préoccuper de ce qu'ils rapportent ?
Les philosophes ont tenté de répondre à
ces questions. De Socrate à Bergson en passant par Rousseau et Nietszche, leur
tout premier acte fut sans doute de se mettre en marche. Comme il parle et
comme il pense, « l'homme est un temps à deux pattes », selon le mot
de Jankélévitch.
Outrepassant fièrement les silences
percutants de la pensée en cours, l'homme du commun osera un « penser
c'est bien beau mais... » : la vanité du concept ne guette-t-elle pas
son auteur lorsque l'idée ne débouche pas sur du concret, du palpable ? A
bien considérer l'histoire de la philosophie, combien de gestes furent joints à
la parole chez nos nobles penseurs ? Interrogation d'autant plus
pertinente que l'activité philosophique ne débouche pas nécessairement sur une
réponse obligée. Elle appelle question. Et c'est là pourtant que peut naître et
s'épanouir la « beauté du geste » vantée par Jankélévitch.
De même que la pensée fait parfois
rengaine, il arrive que le geste trahisse le souci de trop qui échappe, l'acte
manqué qui dévoile, le symbole s'érigeant au fil d'une attitude qui fuite. Où
finit la pensée et où commence le geste ? Quelle secrète frontière sépare
nos intérieurs invisibles de l'extérieur en mouvement ?
Tapi derrière sa fenêtre, le philosophe se
glisse dans la peau de l'observateur aux aguets. A quel moment se projette-t-il
physiquement dans chacun des passants qui s'agitent en contrebas, le long de la
rue ?
A l'image de la fenêtre nous séparant du
monde, la limite qui borde nos paupières alourdies est la membrane infiniment
élastique de nos imaginaires en attente. Elle frange nos rêves d'un surplus de
précaution où dominent la pensée et la parole. La raison et la prudence.
Mais l'appel de l'aventure exige
plus : il nous désire au risque d'un corps qui parle, d'un mouvement qui
s'ébauche, au gré d'une émotion qui nous soulève, nous dépasse. Malgré nous. De
la tête au corps, il y a parfois divorce. Et continuité pourtant. Sans crier
gare, l'idée se laisse aller à s'incarner, à fuiter par la fissure qui s'offre,
la lézarde qui court, l'aubaine qui réjouit.
Voyez le philosophe jubiler, blotti à
l'affût de la toile de Marc ChagallParis
parla fenêtre : il est cette double tête qui jouxte une
ouverture au bord du monde, entre intimité et air du large. Oui c'est bien lui,
là au premier plan, en bas à droite. En attente, comme son double, le chat
fétiche à visage humain siégeant tranquillement sur le rebord de cette fenêtre
grande ouverte sur la cité et ses intrigues. L'animal circonspect s'adosse au
pan boisé, multicolore, de l'encadrement. Et au-delà ? Toute une imagerie
nous assaille, nous émoustille : des corps qui flottent au loin parmi les
maisons, une silhouette suspendue en l'air comme à un parachute
invisible : ça glisse et ça flotte, la vie s'éclaire d'un grand rais de
lumière comme un spot illumine la scène d'un théâtre d'acteurs.
Au
philosophe de s'emparer de la scène pour nous souffler ses questions. Et oser
ses gestes. On sent sa vie prête à jaillir par toutes les failles disponibles.
Abandonnant pour un temps sa neutralité naturelle, l'observateur ne va pas
tarder à s'impliquer : action !...
Que nous vaut le plaisir de penser ?
« En ce point est quelque chose de simple, d'infiniment simple, de si
simple que le philosophe n'a jamais réussi à le dire. Et c'est pourquoi il a
parlé toute sa vie » nous souffle Bergson dans son Intuitionphilosophique.
Bienvenue chez les
Philosophes !
La Renaissance
étend son printemps dans l’Europe du XIVè au XVIè siècle. La période est riche,
marquée par d’importantes nouveautés scientifiques, techniques etpolitiques
(grandes découvertes, invention de l’imprimerie, réformes religieuses…) qui
vont changer les conditions de vie mais aussi les modes de transmission des
connaissances.
L’époque impulse un vaste courant de
réappropriation des auteurs anciens plaçant au centre l’acquisition du savoir,
pour que l’humain développe pleinement ses facultés : c’est l’humanisme.
Ainsi, la connaissance et l’étude des
auteurs grecs et latins se répand et imprègne fortement les philosophes de
l’époque. En Italie d’abord (Pétrarque, Erasme, Pic de la Mirandole), puis dans
le reste de l’Europe (Francis Bacon, Rabelais, Montaigne). C’est l’occasion
d’un renouveau des réflexions sur la culture, l’éducation et la politique. Le
néoplatonisme refait surface, parfois influencé par l’ésotérisme – sciences
secrètes réservées à des initiés – (Nicolas de Cuse, Jacob Boehme). Montaigne, dans ses Essais, qui auront une
grande influence sur la postérité, se réclame du scepticisme des Anciens et
professe un relativisme culturel nourri à la fois par l’observation de son
époque et par la lecture des auteurs grecs et latins. Francis Bacon montre,
dans son Novum Organum, l’importance
de l’expérience pour établir des connaissances solides, ce qui en fait un
précurseur du mouvement empiriste qui prendra une importance majeure au XVIIè
siècle. La philosophie politique de Machiavel (Le Prince) inaugure l’époque moderne en
proposant des réflexions réalistes, sans illusion sur la nature humaine, et
parfois considérées comme représentatives du républicanisme qui animera les
penseurs des Lumières. La philosophie juridique de Grotius jette les bases du
droit international. La modernité est en chemin…
NICOLAS
DE CUES
Comment Dieu peut-il faire entrer du vide dans l’être ? Quelle
transition entre le Cosmos clos de l’Antiquité et l’Univers infini des Temps
modernes ? En esprit œcuménique et conciliant, Nicolas De Cues marque la
fin du Moyen Âge et annonce les prémices de la Renaissance.
Nicolas naît à Cues, sur les bords de la Moselle en 1401. Fils d’un
riche batelier, il est protégé par un comte et reçoit une éducation soignée. Il
étudie à Heidelsberg puis à Padoue où il approfondit ses connaissances en
philosophie, jurisprudence et mathématiques. Docteur en droit, il revient à
Cologne où il étudie la théologie. Il participe au concile de Bâle (1431-1449).
Il se met sous la protection du légat pontifical et fait partie de l’ambassade
pontificale chargée par le pape Eugène IV d’inviter l’empereur byzantin et le
patriarche de Constantinople à prendre parti pour le concile de Ferrare et non
celui de Bâle. Les Grecs, qui ont en tête de se réunir avec l’Eglise de Rome
pour obtenir son soutien contre les Turcs, choisissent le parti de la
centralisation pontificale.
Nicolas est envoyé en Allemagne pour rallier les princes et les
ecclésiastiques allemands à la cause du pape. Ses talents de diplomate font
alors merveille tant il y met de conviction. De cette période, le Cusain nous
laisse son Traité sur la vision de Dieu.
En récompense de ses efforts, de Cues est nommé cardinal-prêtre puis évêque en
1450. En butte à des hostilités politiques, il cherche refuge et apprend sa
nomination comme vicaire général du pape humaniste Pie II. On le charge de
rédiger des propositions deréforme,
mais il se heurte à de vives oppositions au sein de la Curie. Il meurt en 1464.
Nicolas élabore une méthode intellectuelle pour essayer de penser
l’infini (ou Maximum) : en
passant à la limite, la raison est obligée de changer de régime en passant au
principe de la « coïncidence des opposés ». La pensée doit procéder à
un double dépassement : du concept fini à ce qu’on peut concevoir de plus
grand, puis de ce concept du maximum à ce qui est plus grand que ce qu’on peut
concevoir. Dieu est si grand qu’il excède même l’acte et la forme. De Cues
pense aussi la création de manière originale, comme une sorte de contraction de
l’Être divin qui fait entrer du vide dans l’Être, ce qui permet la diversité
des étants, une notion toute proche du tsim-tsoum
de la kabbale juive.
Nicolas de Cues rompt avec la distinction aristotélicienne entre les
mondes supra-lunaire et sub-lunaire, en appliquant à la « machine du
monde » l’image de la sphère infinie
dont le centre est partout et la circonférence nulle part. Quitte à
bouleverser la cosmologie traditionnelle, le philosophe poursuit le pas menant
à la révolution copernicienne : comme l’univers se révèle infiniment
grand, un moment arrive où la terre ne peut plus en être le centre. Il confirme
aussi que, comme tous les astres, notre planète n’est pas fixe mais en
mouvement.
Lecteurs de Nicolas de Cues, Giordano Bruno s’en inspirera et Descartes
en reconnaîtra l’originalité. Toutefois, sa cosmologie ne peut ni ne veut être
parfaitement mathématisée, ce qui le distingue de ses successeurs Copernic et
Galilée.
Penseur audacieux sous une apparence conservatrice, de Cues laisse une
empreinte ambiguë dans l’histoire de l’Eglise : défenseur acharné de la
cause pontificale, il est aussi célèbre pour avoir inspiré la pensée de nombre
de novateurs ultérieurs. Il défend l’idée d’un Christ à la fois « minimus
homo » et « maximus homo », dans son accès à la mortalité et à
l’ubiquité. Cette manière de penser la Croix retiendra l’attention de
l’évangélique français Lefèvre d’Etaples qui éditera les œuvres du Cusain en
1514.
Sa docte ignorance constitue,
aux yeux de certains, l’une des premières formulations de l’épistémologie
moderne. « Si tu médites avec profondeur ces choses, tu seras envahi d’une
merveilleuse douceur d’esprit »rappelle le sage.
PIC DE LA
MIRANDOLE
Le personnage est peu connu. Il
est pourtant le fondateur de l'humanisme moderne. Florentin d'une extrême
précocité, il ne vivra que trente ans d'une vie intense : à dix ans, il
maîtrisait déjà le latin et le grec. Consacrant très tôt sa vie à la philosophie
et aux voyages, il parcourt l'Europe de la Renaissance pour s'imprégner du
corpus des idées de son temps.
Né en 1463, Pic de la Mirandole conçoit ce projet fou de rédiger neuf
cents thèses (!) sur tous les sujets, et d'ouvrir ainsi un gigantesque débat
avec les plus grands penseurs de son temps. Menacé puis emprisonné, il envisage
même de devenir... moine. Il brûle tous les poèmes écrits dans sa prime
jeunesse avant de distribuer toute sa fortune aux pauvres, et de mourir à... 31
ans. Un météore comme le sera Caravage en peinture au siècle suivant.
Pic déploie son argumentaire sur notre destinée humaine au fil d'une
fable magnifique qu'il emprunte à un mythe ancien. Pour s'occuper, les dieux
oisifsdécident de créer les
mortels : les animaux et les hommes. A partir de la glaise et du feu, ils
modèlent de petites figurinesqui sont
les archétypes des espèces animales. Ravis à l'idée que ces mortels vont les
distraire un peu, ils chargent deux fils de Titan, Prométhée et Epiméthée, de
parfaire le travail et d'achever la création.
Equilibrant au mieux les capacités des uns et des autres, les deux
frères parviennent à un système viable. Mais une fois tous les dons attribués
aux animaux,il ne reste plus rien aux
hommes ! C'est alors que Prométhée décide de voler pour eux le feu et les
arts, de quoi les armer pour construire leur liberté, une conscience de soi...
mais aussi les outils pour se livrer à l'hybris, péché de l'arrogance et de la
démesure. Voici donc l'homme, être moral capable de choisir entre bien et mal,
être d'historicité aussi, capable d'inventer lui-même, librement, son propre
destin. N'étant rien, il peut devenir tout. Un humain protéiforme capable de se
transformer au gré d'une éducation tout au long de la vie, comme on dit
de nos jours. Le projethumaniste est
né.
L'héritage de Pic inscrit durablement sa pertinence dans la postérité
qui va de Rousseau à Sartre en passant par les Lumières. De la perfectibilité
rousseauiste à la liberté existentialiste en passant par les Droits de l'homme.
Soit trois siècles de philosophie.
Pico, comte de la Mirandole, naît particulièrement doté par la
nature : ascendance aristocratique, riche patrimoine, dons intellectuels,
charme exceptionnel, l'homme a tout pour plaire. Mû par une insatiable
curiosité intellectuelle, il accumule une bibliothèque parmi les plus riches
d'Europe, entre en relation avec les plus grands humanistes du quattrocento
italien et... se met à dos les autorités papales. Sommé de se rétracter, il
défie ses juges qu'il ose mettre en accusation. Homme de défi, il est blessé et
emprisonné par le mari dont il avait tenté d'enlever la femme. Finalement
absous par... un Borgia, l'ami de Laurent de Médicis tire les leçons de sa
mésaventure en se consacrant à la vie contemplative.
Qualifié en son temps de Prince de la Concorde, Pic parvient à
faire la synthèse entre théologie et philosophie, dressant des ponts entre les
différentes cultures de son temps. Peu lu, cet auteur génial marque de son
empreinte toute l'histoire de la pensée. Il invente l'humanisme moderne en le
fondant sur une idée remarquable qui apparaît dans son discours sous la forme
d'une fable.
Il est de cette poignée de Modernes qui ont entrepris de fonder la
philosophie, la morale, et une définition de la vie bonne, non plus sur l'ordre
cosmique ou la divinité, mais sur l'homme lui-même. Un vrai geste inaugural.
« Tel un statuaire qui reçoit la charge et l’honneur de sculpter ta
propre personne, tu te donnes, toi-même, la forme que tu auras préférée. »
Comme un air de Plotin.
ERASME DE ROTTERDAM
Il est une des figures majeures de la culture européenne renaissante. Erasme de Rotterdam est chanoine régulier de Saint Augustin, philosophe, humaniste et théologien. L’homme écrit des essais et traités sur de multiples sujets : art, éducation, religion, guerre, Mais il reste connu pour sa célèbre declamatio satirique : L’Eloge de la folie. « Prince des humanistes », né en 1467 à Rotterdam, Erasme est l’âme de la République des Lettres qui se met en place en Europe au XVè siècle. Moine et prêtre, il renonce à sa carrière ecclésiastique pour se consacrer aux études. Il rentre en contact avec les savants de toute l’Europe par ses voyages et ses correspondances. Né enfant illégitime dans une famille nombreuse, il suit ses études dans l’école la plus renommée de Hollande. Sa scolarité est interrompue un temps par une période où il est enfant de chœur à la cathédrale d’Utrecht. Ses parents décédant d’une épidémie de peste, lui et son frère sont mis sous tutelle et placés dans une école destinée à plier les jeunes esprits à la discipline monastique. Leurs tuteurs font tout pour les envoyer au couvent.
Mais grâce à sa réputation de brillant latiniste, Erasme se voit proposer un poste de secrétaire auprès de l’évêque de Cambrai, personnage très influent. Découvrant alors l’œuvre de Saint Augustin, il obtient la permission d’aller étudier à l’université de Paris, alors centre des études scolastiques, mais déjà sous influence renaissante. Comme étudiant, Erasme choisit de mener une vie indépendante. La langue latine, qui était d’usage universel dans l’Europe du temps, lui permet de se sentir partout chez lui. Il noue des amitiés avec les principaux penseurs anglais et entame une correspondance avec Thomas More.
Grand voyageur, notamment en Angleterre et en Italie, le penseur développe sa conception humaniste du christianisme, toujours fidèle à un idéal de paix et de concorde. Epistolier infatigable, Erasme écrit des lettres à tout ce que l’Europe compte de princes, d’ecclésiastiques, d’érudits renommés ou de disciples novices ; Il affirme consacrer plus de la moitié de ses journées à ses quelque six cents correspondants. Parmi eux, le jeune prince Charles de Habsbourg qui va devenir Charles Quint à qui il destine son essai L’institution du Prince chrétien. Il est aussi l’auteur d’un manuel de Savoir-vivre à l’usage des enfants. Cet ouvrage, qui a servi de référence à plusieurs générations, donne un bon témoignage de l’état des mœurs dans l’Europe du XVè siècle. Se voyant offrir de devenir cardinal par le Pape Paul III, il refuse. Très affecté par l’exécution sur l’échafaud de son grand ami Thomas More, il meurt lui-même peu de temps après. Dix ans après, ses livres sont brûlés publiquement à Milan, avec ceux de Luther.
Son Eloge de la folie est une fiction burlesque et allégorique où Erasme fait parler la déesse de la folie, lui prêtant une critique virulente des diverses catégories sociales comme les théologiens, les moines, mais aussi les courtisans dont nous avons une satire mordante. L’ouvrage dépasse l’époque de l’auteur pour atteindre la société humaine en général. L’ouvrage sera mis à l’index lors de la Contre-Réforme. Après des morceaux de virtuosité dans le délire, le ton se fait plus sombre dans une série de discours solennels, lorsque la folie fait l’éloge de l’aveuglement et de la démence et lorsque l’on passe à un examen satirique des superstitions et des pratiques pieuses dans l’Eglise, ainsi qu’à la folie des pédants. Peu à peu, la folie prend la propre voix d’Erasme qui annonce le châtiment. L’essai se termine en décrivant de façon sincère et émouvante les véritables idéaux chrétiens. Erasme a fondé son engagement européen sur son cosmopolitisme. « Le monde entier est notre patrie à tous » affirme celui qui a milité pour la paix en Europe. C’est en son honneur que le programme européen d’échange pour les étudiants et professeurs a pris le nom d’Erasmus.« On ne naît pas homme, on le devient par l’éducation et la culture. »
NICOLASMACHIAVEL
« Machiavel naquit les yeux ouverts », selon son biographe. C'est en menant des missions diplomatiques à travers l'Europe que le Florentin se forge une opinion sur les mœurs politiques de son temps.
Envoyé en 1502 au camp de César Borgia, l'écrivain admire en lui l'association de l'audace et de la prudence, son habile usage de la cruauté et de la fraude, sa confiance en lui, sa volonté d'éviter les demi-mesures. Ainsi que l'emploi de troupes localeset l'administration rigoureuses des provinces conquises. Un comportement digne d'éloges, selon Machiavel.
Soupçonné d'avoir trempé dans une conspiration contre les Médicis, Nicolas estemprisonné, torturé, assigné à résidence. Il commence alors à écrire une critique sur l'état de la politique italienne à son époque. Dans Le Prince, dédié à Laurent de Médicis, il ose donner des règles de conduite à ceux qui gouvernent. Nicolas se sent homme politique avant tout et veut revenir en grâce. « Je pense qu'il faut être prince pour bien connaître la nature et le caractère du peuple, et être du peuple pour bien connaître les princes », estime Nicolas. Il en appelle à la réunification de l'Italie... avant qu'une nouvelle disgrâce ne l'accableavec l'avènement de la république, justement. Il meurt sur ces reproches de compromission avec les Médicis.
Machiavélique : le terme dit bien l'homme cynique dépourvu d'idéal, de tout sens moral et d'honnêteté. Or les écrits du penseur montrent plutôt un homme politique avant tout soucieux du bien public. Pour autant, Nicolas ne nourrit aucune illusion sur les vertus des hommes, présupposant que ceux-ci sont par nature mauvais. Alors, l'idée du Bien en politique : naïve, incohérente ?... Le premier but de Machiavel est l'efficacité de la politique du prince, pour son bien comme pour celui de sa nation. Pour gouverner et se maintenir en place, la fin justifierait-elle les moyens ?
Un portrait célèbre de l'auteur du Prince le représente avec un étrange sourire pincé. Diabolique ou subtil ? Il incarne à lui seul l'énigme qui entoure les écrits du diplomate florentin, cinq siècles après sa mort. L'oeuvre est complexe, sujette à des interprétations variées et parfois contradictoires. Entre l'apôtre de la monarchie et ledéfenseur zélé de la république, on entrevoit Machiavel comme un authentique penseur de la vie libre.
L'instabilité animant un pays morcelé et ses cités autonomes se prête aux expériences politiques. Conjurations, soulèvements populaires et coups d'Etat font le quotidien de la société italienne renaissante. La plume de Nicolas excelle à disséquer les uns et les autres. Le tout jeune chancelier de Florence occupe un observatoire idéal du jeu politique. Il se forge quelques idées qui éclaireront l'histoire à venir : la guerre n'est pas seulement l'affaire des grands, mais aussi celle du peuple ; il faut encourager l'immigration pour permettre à la cité de se doter d'une armée fidèle à la patrie. Balançant entre un « bon » et un « mauvais » usage de la cruauté, Nicolas relate des manœuvres calculées qui préfigurent les gouvernements-fusibles d'aujourd'hui, nommés pour remplir des missions impopulaires, puis évincés en guise d'apaisement. L'intrigant Borgia joue les modèles dans ses observations et l'élaboration de ses théories politiques.
Entre fortuna (le facteur chance) et virtu (les qualités morales), Machiavel résume la capacité à s'adapter à toutes les situations dans une métaphore célèbre : le prince doit se faire lion pour la force et renard pour la ruse. Il proclame ainsi la primauté de l'efficacité politique sur l'éthique. Et même si la raison d'Etat suit une autre voie que la morale commune, la finalité des gouvernants doit pourtant rester le bonheur des citoyens. Et puis : « L’habituel défaut de l’homme est de ne pas prévoir l’orage par beau temps » : encore une évidence rarement suivie !...
JEAN CALVIN
N’y a-t-il que la Bible pour dire la vérité ? Contre le laxisme des Jésuites accommodant la religion aux besoins des puissants, contre la corruption de l’Eglise et de la papauté, le grand réformateur que fut Jean Calvin propose un retour salutaire aux Ecritures, et à elles seules. Selon lui, c’est la Bible qui exprime la parole de Dieu, et non ceux qui l’interprètent en en déformant souvent le sens originel.
Si la Bible est restée pendant des siècles le « livre des livres » pour l’Occident chrétien, elle a perdu peu à peu son aura. La philosophie avec Descartes, se séparant complètement de la religion, annoncera l’avènement de la raison. La science invalidera bon nombre de conceptions bibliques. Au XIXè siècle, des auteurs comme Marx, Nietzsche ou Freud – philosophes du soupçon – dénonceront, toujours au nom de la raison, les failles et les incohérences contenues dans les Ecritures.
Comment lire la Bible aujourd’hui sans la lumière des progrès de la raison ? S’en tenir au texte seul, c’est non seulement refuser le temps présent, mais aussi, à l’image de certaines sectes, transformer la foi en pur fanatisme.
Jean Calvin naît en 1509 à Noyon dans l’Oise. Tout au long de sa vie, il a accompli un pèlerinage qui l’a emmené à Genève en Suisse. Elevé dans la religion catholique, il a une enfance mouvementée en commençant à voyager jeune pour s’instruire, notamment à Paris, Orléans puis Bourges, pour repartir à Orléans et y recevoir sa licence de droit.
Après s’être lié d’amitié avec plusieurs partisans de Martin Luther, il se convertit en 1533 au Protestantisme qui était alors interdit en France. Il passe trois ans à Strasbourg sous les ordres de Martin Bucer. C’est là que Calvin commence à exercer en tant que théologien et pasteur. Puis il retourne à Genève où il est appelé à réformer la ville, cette fois avec l’appui du conseil et de ses habitants. La réforme dans la cité genevoise ne se fait pas sans tensions ni querelles, mais le penseur parvient à imposer ses doctrines théologiques et pratiques dans l’église. C’est dans les dernières années de sa vie que Jean Calvin est reconnu comme un personnage incontournable de la Réforme Protestante en Europe.
Sa réputation de réformateur est due à ses idées théologiques. Aujourd’hui, il est connu pour sa doctrine de la prédestination et de la souveraineté divine ; pour autant, il a simplement repris ces thèmes développés chez Saint Augustin qui fut sa plus grande influence littéraire. Mais Calvin fut surtout le théologien protestant qui formula et rédigea ce qui est considéré comme la première œuvre de théologie systématique, l’Institution de la Religion Chrétienne, dont il commence la rédaction à 25 ans. Il sortira la version finale en latin – traduite en français par lui – après y avoir travaillé toute sa vie.
Ses disciples ont largement contribué au fait que le calvinisme ne soit retenu jusqu’à nos jours que pour sa doctrine de la prédestination. Celle-ci suscite encore de nombreux débats dans les milieux évangéliques. Les idées de Calvin ont eu une grande influence sur la naissance des églises anglicane, presbytérienne, épiscopalienne, mais également sur les Puritains. La théologie de Jean Calvin a grandement participé à la réception des Evangiles dans le monde. L’homme a initialement péché et il continue de le faire dès lors qu’il refuse de prendre connaissance de la vérité biblique. A une époque qui se laisse aller à l’idolâtrie des reliques et des richesses matérielles dont s’entoure le culte, il faut en revenir à une foi intérieure et pure. Calvin, comme les autres acteurs de la Réforme, adhère à cette formule : « La grâce seule, l’Ecriture seule, la foi seule. »
L’époque de la Renaissance atteint le comble du péché. On en revient donc au destin d’Israël et de l’Eglise primitive. « Jamais l’homme ne se meut à adorer les images qu’il n’ait conçu quelque fantaisie charnelle et perverse » proclame Calvin le pur, ajoutant « La pire des pestes est la raison humaine. » Tout est dit sans ambages.
GIORDANO BRUNO
En un temps troublé où l'Inquisition sévissait sans partage, un humaniste ose proposer une vision de l'univers comme infini, composé de plusieurs mondes et dont la terre n'est pas le centre.Scandale absolu pour cet ancien frère dominicain bravant l’Eglise et la doxa régnante dans une Renaissance encore hésitante.Sur la base des travaux de Copernic et Nicolas de Cues, Giordano Bruno développe la théorie de l’héliocentrisme et montre la pertinence d’un univers qui n’a pas de centre, peuplé d’une quantité innombrable d’astres et de mondes identiques au nôtre.
Accusé formellement d’athéisme (confondu avec son panthéisme) et d’hérésie (surtout par sa théorie de la réincarnation des âmes), ses écrits sont jugés blasphématoires : il y proclame que Jésus-Christ n’est pas Dieu, mais un simple « mage habile », et que Satan sera finalement sauvé. Poursuivi pour son intérêt pour la magie, il est condamné à être brûlé vif au terme de sept années de procès ponctuées de nombreuses propositions de rétractations qu’il semblait d’abord accepter puis qu’il rejetait. Une statue de bronze à son effigie trône depuis le XIXè siècle sur les lieux de son supplice au Campo de Fiori à Rome. L’auteur du Banquet des cendres compte au nombre des martyrs de la pensée.
Né en 1548 près de Naples, alors sous souveraineté espagnole, Giordano est imprégné de culture classique et humaniste. A l’université de Naples, il découvre la mnémotechnique, art de la mémoire, et participe aux débats philosophiques entre platoniciens et aristotéliciens. Il entre chez les Frères Prêcheurs, prestigieux couvent dominicain réputé dans toute l’Italie et précieux refuge en ces temps de disette et d’épidémie. Dominicain modèle, il est alors ordonné prêtre.
Mais Bruno dissimule en fait une rébellion contre le carcan idéologique du temps. Au fil des années, le penseur a su se forger une culture éclectique et peu orthodoxe, sans cesse alimentée par un appétit de lecture et des capacités exceptionnelles de mémorisation. Adepte des œuvres d’Erasme, il se passionne pour la magie et la cosmologie. La rupture qui couvait finit par être consommée : il doit abandonner son froc dominicain et fuir. Il survit mais sa condition d’apostat le contraint à changer fréquemment de lieu. Après un exil dans la Genève calviniste, il est excommunié. Impressionné par la mémoire colossale de Bruno, le roi de France Henri III le fait venir à la cour et lui offre sa protection, lui offrant cinq années de paix et de sécurité. Son talent d’écriture imagée, vivante, ironique, se confirme dans Candelaio (Le Chandelier), comédie satirique sur son temps.
Parvenu à Londres, puis à Oxford, il reçoit un accueil hostile, précédé d’une réputation brillante mais sulfureuse. Sûr de lui et de ses idées et plein de mépris pour celles de ses contradicteurs, il passe deux années à répliquer, apparaissant comme un philosophe novateur mais impertinent. Il impose sa vision cosmographique et révolutionnaire du monde, dans le fil de la pensée copernicienne. Exilé en Allemagne, le voilà luthérien mais bientôt… excommunié à nouveau. La curie romaine semble vouloir lui faire payer son apostasie, et Bruno se retrouve dans les geôles vaticanes. En février 1600, il est livré aux flammes devant la foule des pèlerins.
Chaque année, une foule de sympathisants se réunit devant sa statue pour commémorer le supplice de celui qui se fit le champion des idées d’infini, du vivant et du psychique. Les notions de panthéisme et de karma rapprochent Bruno des visions bouddhiste et hindouiste. Ses héritiers se comptent chez les libre-penseurs, Leibniz et ses monades, Diderot et son Encyclopédie, Goethe et son Faust. Il est un dépositaire du matérialisme antique et un précurseur de Spinoza.
« Dieu est en chaque homme plus intérieur à lui-même que lui-même ne peut l’être » affirme le célèbre philosophe italien, grand résistant de la libre pensée.
FRANCISBACON
Les lois sont-elles nécessairement justes ? Le projet de Francis Bacon dans De laJustice universelle (1622) est ambitieux : choqué par la prolixité et l’obscurité des lois de son époque, le penseur entend réformer le droit et la morale. Selon lui, plus les lois sont nombreuses et rectifiées, moins elles sont compréhensibles. Bacon veut résoudre le problème du caractère souvent arbitraire des lois en remontant à l’origine du droit.
Si la loi conserve la société, et si la force la détruit au contraire, il n’en reste pas moins que le droit privé naît de ces deux tensions. C’est pourquoi les lois sont loin d’être nécessairement justes. Une loi clairement écrite et à laquelle préside une loi fondamentale – une Constitution – apparaît plus équitable. Car lorsqu’elle est mal écrite, silencieuse sur certains points, elle reste susceptible d’être mal interprétée et de se prêter à l’arbitraire. Francis Bacon, né à Londres en 1561, développe une théorie empiriste de la connaissance. Il précise les règles de la méthode expérimentale dans son NoveOrganum, ce qui fait de lui l’un des pionniers de la pensée scientifique moderne. Envoyé dès l’âge de treize ans au Trinity Collège de l’université de Cambridge, il se fait remarquer par la précocité de son génie et conçoit de bonne heure le dessein de réformer les sciences.
Reçu avocat, il se livre avec succès à l’étude de la jurisprudence. Préférant néanmoins la carrière des affaires publiques, il s’attache au Comte d’Essex, devient membre de la Chambre des Communes et reçoit le titre de Conseil honorifique de la reine. Elevé rapidement aux honneurs par le roi Jacques Ier, il seconde puissamment les efforts royaux pour unir les royaumes d’Angleterre et d’Ecosse, faisant d’utiles réformes. Mais une accusation de corruption par les Communes provoque sa chute politique. Condamné par la Cour des Pairs à être emprisonné dans la Tour de Londres et à payer une amende de 40 000 Livres, il est déchu de toutes ses dignités et exclu des fonctions publiques. Une sentence sans doute trop sévère par rapport aux faits : elle visait en fait un favori dont Bacon avait toléré les malversations. Il se pourrait que celui-ci ait été victime d’un de ces coups politiques alors fréquents à la cour anglaise. Le roi le remet en liberté au bout de quelques jours. Bacon reste ensuite éloigné des affaires et consacre les dernières années de sa vie à ses travaux philosophiques. Il meurt en 1626 à la suite d’expériences de physique qu’il avait faites avec trop d’ardeur. Il écrit à un ami : « Milord, il était dans ma destinée de finir comme Pline l’Ancien, qui mourut pour s’être trop approché du Vésuve afin d’en mieux observer l’éruption… »
En plus d’avoir fait carrière en droit et en politique, Francis Bacon a contribué à la science, la philosophie, l’histoire et la littérature. Adversaire de la scolastique, il est le père de l’empirisme – l’expérience sensible comme source de toute connaissance. Sa réflexion sur les erreurs des savants le conduit à formuler la célèbre doctrine des idoles de l’esprit (idoles du théâtre, de la tribu, de la Caverne…) : l’esprit humain tendrait à projeter sur la nature ses propres constructions, donc à déformer spontanément la réalité au lieu de la refléter fidèlement. Bacon pose le premier les fondements de la science moderne et de ses méthodes, qu’il conçoit comme une entreprise collective – contrairement à Descartes. Il établit une classification des sciences de son époque. Selon lui, la vraie science est celle des causes, fondée sur l’observation directe des faits. « On ne commande la nature qu’en lui obéissant », affirme celui qui met en évidence l’affinité entre le savoir théorique et l’opération pratique, pointant la complémentarité entre science et technique. On lui doit aussi plusieurs concepts d’ordre moral, comme l’euthanasie. Il élabore le schéma d’une langue universelle. La justice n’est pas naturelle, mais bien l’objet d’une convention humaine : c’est la conclusion de celui qui souligne l’ambiguïté des lois.
« Le doute est l’école de la vérité » : une juste approche de la philosophie.
LES CLASSIQUES
Après Machiavel, la philosophie politique nouvelle accomplit une percéesupplémentaire avec Thomas Hobbes qui reprend le célèbre constat : « L’homme est un loup pour l’homme. »
Avec Copernic, Galilée et Newton, les penseurs s’inspirent, à partir du XVIIè siècle, des méthodes de la science moderne en train d’apparaître. La philosophie repose davantage sur la subjectivité de l’individu, placé désormais au centre de la construction des connaissances, grâce à Descartes, Locke et Kant. Les philosophes sont souvent de grands
scientifiques (Pascal, Leibniz, Descartes), qui ne conçoivent pas la
philosophie séparément de la science, ni des réflexions sur la religion.
Différents courants s’opposent concernant la nature des idées et des
connaissances humaines. Ainsi les rationnalistes
(Descartes, Leibniz, Spinoza) affirment l’existence d’une connaissance
indépendante de l’expérience, universellement valable et indubitable. Les empiristes, eux (Hume, Locke) affirment
que toute connaissance procède de l’expérience sensible. Ce sont souvent aussi
des sceptiques (Hume, par exemple) pour lesquels il n’existe aucun savoir
universellement valable, mais seulement des jugements que l’expérience pourra
réfuter. Les pensées et maximes des moralistes
français (La Rochefoucauld, La Bruyère, La Fontaine) investissent le champ
psychologique et moral. Ces formes de pensée courte (aphorismes, fables,
fragments) proposent une réflexion souvent aiguisée sur les mœurs et usages du
temps. On retrouvera ces modes d’écriture chez Cioran ou Nietzsche au XXè
siècle. Ils annoncent aussi le surgissement de l’esprit critique propre aux
philosophes des Lumières.
Sous l’âge classique perce déjà la
modernité critique.
RENEDESCARTES
« Le bon sens est la chose au monde la
mieux partagée : car chacun pense en être bien pourvu », écrit ce
philosophe français du 17è siècle qui se situe au fondement de notre pensée
moderne. A tel point qu’il nous arrive en le lisant de croire… qu’il pense
comme nous, alors qu’en fait c’est nous qui sommes devenus cartésiens sans le savoir.
Contre toute forme de dogmatisme et faisant table rase du passé, René
Descartes affirme la toute-puissance de la raison et de la volonté humaines.
Mathématicien, physicien et philosophe, il est considéré comme l’un des
fondateurs de la philosophie moderne. Il reste célèbre pour avoir exprimé dans Le Discours de la méthode son cogito – « Je pense donc je
suis » - fondant ainsi le système des sciences sur le sujet connaissant
face au monde qu’il se représente. Sa pensée a pu être rapprochée de la peinture
de Nicolas Poussin pour son caractère simple et ordonné. Le cogito marque la
naissance de la subjectivité moderne.
Né en 1596 dans une famille de petite noblesse, il est le fils d’un
conseiller au Parlement de Bretagne. Son père l’appelle son petit philosophe, car l’enfant ne cesse de poser des questions.
Il apprend à lire et à écrire auprès d’un précepteur, avant de rentrer au
Collège jésuite de La Flèche. Malgré sa santé fragile, il est initié aux
mathématiques et à la philosophie, mais dénoncera ensuite l’incohérence de ces
études. Gagnant alors Paris, il y vit caché pour mieux étudier, préférant en
toute chose avancer masqué.
Il s’engage en Hollande, puis en Bavière alors que débute la Guerre de
Trente ans. S’intéressant à l’ordre légendaire de la Rose-Croix, il raconte
comment il s’enferme alors dans son poêleet conçoit sa méthode. Faisant vœu lors d’un
pèlerinage à ND de Lorette, René renonce à la vie militaire. Il règle ses
affaires de famille et se remet à voyager en Europe. Alors qu’il est de retour
en France, le cardinal de Bérulle lui fait obligation de conscience d’étudier
la philosophie. Cherchant la solitude, il s’installe dans les Provinces-Unies
et consacre entièrement sa vie à l’étude. A Amsterdam, il vit dans le quartier
des bouchers, ce qui lui permet de faire de nombreuses analyses anatomiques.
Rencontrant des savants, il s’intéresse sur la place de la science. Il
développe sa métaphysique à partir de ses travaux en physique. Mais il
travaille aussi les mathématiques, en en réformant le système de notation, la
géométrie, l’optique. Enfin, Descartes veut expliquer tous les phénomènes de la
nature : il étudie les êtres vivants, et opère nombre de dissections. Il
dit aussi songer à un traité de morale.
Apprenant que Galilée a été condamné, il renonce par prudence à publier
le Traité du monde et de la lumière
et décide alors de donner une autre orientation à son œuvre. Ce seront le Discours de la méthode et les Méditations métaphysiques. Il fait venir
auprès de lui Hélène Jans, servante et amie, avec qui il a une fille qui meurt
jeune, laissant René éploré, montrant sans fausse pudeur des larmes à ses amis.
Accusé de nommer l’âme « un accident », René est soupçonné
d’athéisme.
En 1649, il accepte de devenir le tuteur de la Reine Christine à
Stockholm. La sévérité de son emploi du temps aurait alors eu raison de sa
santé. A sa mort, les hypothèses circulent autour d’un empoisonnement à
l’arsenic.
Le projet cartésien est celui d’une science universelle. Selon Descartes,
nous sommes tous doués d’une raison qui doit suivre quatre principes :
doute méthodique, analyse, déduction, dénombrement. Et s’il y a bien une chose
dont le doute ne saurait avoir raison, c’est de notre puissance de douter
elle-même ! Le Cogito Cartésien
nous confirme comme sujets de nos pensées : « Je pense, donc
j’existe ». Une approche qui a grandement influencé et influence encore la pensée
occidentale.
BALTASARGRACIAN
Sa philosophie est une tentative de
réhabilitation de l'apparence et de la forme. Baltasar Gracian, écrivain et
essayiste jésuite du Siècle d'or baroque... (A SUIVRE...)
Nouveau livre paru le 27 octobre 2021
DEFENSE et USAGE de la FRANCOPHONIE par la lecture et l’écriture !
Avec « Eclats de rire », je signe son douzième projet d’écriture. Mon intention ? Faire vivre et partager dans toute sa diversité notre langue française de plus en plus cernée par un globish anglo-saxon colonisateur et délétère. Il y va de notre culture comme de notre identité !
LIGNES d'ERRE
La FORCE de l'INTUITION
LIVRE 11 paru en DEC 2020
Laisser la pensée errer : une rareté qui confine au luxe d’une temporalité désormais perdue ? Qu’est-ce que sentir, apprendre ? Rêver ? Quels liens entre qui je suis et ce que je sais ? Comment la reconnaissance peut-elle faire échec au spectre toxique du ressentiment qui agite notre village global contemporain ? Qu’est-ce qu’un réseau citoyen de savoirs partagés ? Comment le partage magique de l’art peut-il transformer notre école en micro-société bienveillante, fondée sur des rapports de confiance et de coopération ? Comment chacun.e de nous se révèle-t-il via ses œuvres singulières ? Autant de questions originelles propres à enrichir et déployer nos identités personnelles et collectives. Au bénéfice d'un lien social à raviver.
Que signifie « penser » ? Enigme non levée ! Sauf à (se) révéler, via la trace et l’entrelacs, le noble étonnement né de notre autonomie et de notre dignité. Cette question en voile une autre, connexe, touchant à l’esquisse d’une vérité sacrée, qui nous dépasse : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Et, pour éclairer nos chemins, ce viatique puissant : la poésie de l’intuition.
A VOIR SUR : edition999.info/LIGNES-d-ERRE.html
ESPRITS NOMADES
EXILS A L'OEUVRE (TEMOIGNAGE)
LIVRE 10 (paru en AVRIL 2020)
Quelle alchimie peut survenir de la rencontre improbable entre émigrés précaires et sédentaires assumés ? Ancestraux, mouvements de migration et gestes d’accueil appartiennent au cours normal de l’histoire. Leur brutale résurgence pose à nos sociétés consuméristes, hyper connectées, la question lancinante du socle des valeurs à sauvegarder.
L’expérience partagée ici, au plus près du quotidien de nos territoires, témoigne d’un échange et d’un enrichissement possibles entre des migrants contraints à la fuite et les exilés de l’intérieur que nous sommes tous à des degrés divers. Elle débouche sur l’opportunité de faire œuvre ensemble autour d’une quête et d'une estime de soi qui nous transcende. Elle nous parle de l’exil comme d’un lieu de révélation possible de cette création. Celle d’une reconnaissance mutuelle s’incarnant dans un récit commun porteur de sens.
« Un homme ça s’empêche » écrit Camus en un mantra moral sidérant. « Mon cirque est dans le ciel » clame en écho Chagall dans une vision rêvée aux parfums d’enfance. Reliant ces deux fils à son propre récit de vie, un certain Candide tente de ranimer les feux puissants des Lumières. Entre son Qui suis-je et son Que sais-je, le fils de Voltaire nous livre sa parole en mutation. De l’espace sonore avorté à celui, médité, de la feuille blanche, le geste et l’esprit rejouent leur duo idéal, nous proposant une belle leçon de vie : l’émancipation par la connaissance et l’acte d’écriture.
" LE CARNAVAL DES MIMES ", Dans l'oeil du désir mimétique
Quels liens tisser entre les attitudes du souffleur sur verre au travail, les lubies du collectionneur passionné, un orchestre d’enfants jouant sur des instruments fictifs et… une bonne tête d’équidé placide ? Quels rapports imaginer entre les arabesques d’un corps dans l’espace, les gestes de pudeur d’une femme voilée et les formes palpitantes d’une nature morte ?Quelles affinités pour figurer les feintes du poulpe mimétique, les facéties chimiques d’une comète et la fascination exercée par nos écrans connectés ?
L’imitation inconsciente d’un désir secret nous balade entre fusion et conformisme, désignant à notre insu des modèles à contrefaire. Partout et de tous temps la mimétique est à l’oeuvre. Le monde est un théâtre d’ombres où chacun consent à délaisser un original unique pour des doublures fictives. Un Carnaval des Mimes s’agite sur fond de caverne sociale. Pour le meilleur et pour le pire. Entre fiction et essai, ces courts récits de vie témoignent d’une observation réfléchie du phénomène et en présentent une vision émouvante aux colorations poétiques et philosophiques.
L'auteur inscrit son travail dans les traces de René Girard (" La Violence et le Sacré " - 1972).
Plongés dans le flux du vaste laboratoire lexical, nous assistons à l’éclosion des mots émergeant du bain révélateur de nos émotions. Dilatant nos paysages intérieurs, ils se font les témoins incarnés de nos étonnantes traversées de la nature à la culture. Origines et généalogies, formes et mythes, chroniques et métaphores, esthétique et philosophie trouvent leur port d’attache dans les dédales enivrants de la langue. Là où se révèle la part infrangible de nous-même.
Sous les fins mots, phénomènes et flux de pensée, dont les épures nous troublent, esquissent des récits mouvants, allégoriques. Ceux de nos mutations profondes, incessantes, célébrant la voie plus que la cible. Tous nos sens aux aguets, nous prolongeons l’éphémère des passages. Jusqu’à goûter l’onde qui se propage intérieurement. La vibration intime de nos émouvances.
PHILOJAZZ Petites ritournelles entre souffle et pensée
PUBLICATION
" PHILOJAZZ ",mon 3ème livre, est paru le 1er décembre 2012.
" PHILOJAZZ ", une histoire passionnée du jazz écrite au rythme de la pensée philosophique, à travers l'écoute de 25 standards de la musique afro-américaine. Quand jazz et philosophie, passion et raison, nouveau et ancien monde, savent croiser des forces complices dans une démarche commune d'appréhension du monde...
"PHILOJAZZ" sur FRANCE-CULTURE
Au "Journal de la Philosophie" de François Noudelmann
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
En vad...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrouille
En vadrouille
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS
Dans le cadre de la BIENNALE " PHOTOFOLIES EN TOURAINE ", l'auteur expose à la Bibliothèque de Beaulieu lès Loches, sur le thème de la lumière.
Place à la lumière, matériau premier du peintre comme du photographe. Lumière-matière à modeler, sculpter, transformer. Sublime glaise dont chacun peut jouer à l'infini. De l'évidence scientifique à l'esthétique picturale, la lumière surgit, rayonne, diffuse, réfléchit, colore, voile révèle. Et quand elle s'absente sur la fine pointe de ses radiations, c'est en nous confiant le vestige d'une réalité au creux même de la pensée. Convertie en essence philosophique, sa clarté en vient à célébrer la joie mobile de l'esprit. Irait-elle jusqu'à nous livrer la clé des songes ?... Fiat lux ! ... Que la lumière soit !...
ARAGON / FERRE
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps
J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles
Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent
Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune
Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'Homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais
Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon Amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante
Je passe le temps en chantant Je chante pour passer le temps
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LAZULIE
CHAGALL (détail)
CHAGALL (détail)
PARIS PAR LA FENETRE
MARC CHAGALL 1913
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
MUSEE
MUSEE
MUSEE
MUSEE
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAU ICEBERG 1
VAISSEAU ICEBERG 2
VAISSEAU ICEBERG 3
VAISSEAU ICEBERG 4
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LE BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ...
... La tempête a béni mes éveils maritimes Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes Dix nuits sans regretter l'oeil niais des falots
... Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes Toute lune est atroce et tout soleil amer L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !...
Arthur RIMBAUD Poésies
ALBERT CAMUS "Noces à Tipasa"
Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.
L'hiver, le soir : alors, parfois, l'espace ressemble à une chambre boisée avec des rideaux bleus de plus en plus sombres où s'usent les derniers reflets du feu, puis la neige s'allume contre le mur telle une lampe froide
JACCOTTET "A la lumière d'hiver "
RENE CHAR
Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette langue inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
APOLLINAIRE " CHANSON DU MAL AIME "
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir...
... Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise...
VERLAINE / BRASSENS
COLOMBINE
Léandre le sot Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson Cassandre sous son Capuce
Arlequin aussi Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous Ses yeux luisant sous Son masque
Do mi sol mi fa Tout ce monde va Rit chante Et danse devant Une frêle enfant Méchante
Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent leurs appas Et disent : " A bas les pattes ! "
L'implacable enfant Preste et relevant Ses jupes La rose au chapeau Conduit son troupeau De dupes
Charles BAUDELAIRE
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière...
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes; Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
" UN BALCON EN FORET " Julien GRACQ
Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente Julien Gracq se fait pour nous guetteur muet des sylvestres solitudes. Le coeur de la forêt refuge et prison à la fois carrefour d'histoire à poésie de poésie à géographie. Gracq rêveur éveillé des toits et des belvédères agissant et se regardant agir dans l'épais silence des layons filant à travers bois vers le val de Meuse en contrebas. Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente où l'espace et le temps s'estompent infiniment lecture et art fusionnent étrangement ...
Paul ELUARD " L'Amour la poésie "
La terre est bleue comme une orange ...
Les guêpes fleurissent vert L'aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre Sur les chemins de ta beauté
Les idées sont des succédanés des chagrins
Marcel Proust
Au coeur des paysages s'inscrit l'étoffe des rêves comme autant de pays sages arpentés sans trêve
La langue est la peinture de nos idées RIVAROL
La plupart des gens meurent sans avoir vécu. Heureusement, ils ne s'en aperçoivent pas.
IBSEN
BLOGS AMIS La Passée des Arts
Bleu de cobalt
L'Estro Armonico
Infime est la portion de vie que nous vivons SENEQUE
Une preuve du pire, c'est la foule SENEQUE
C'est quand il n'y pas grand'monde qu'il y a grand'chose PREVERT
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
René CHAR
L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps
MACHIAVEL
On ne retrouve jamais le commencement du commencement, mais toujours l'aurore d'une vie nouvelle JANKELEVITCH
BHAGAVAD GHÎTÂ
En haut, ses racines, en bas, ses branches, tel est l'arbre cosmique immuable. Les hymnes en sont les branches. Qui le connaît connaît la connaissance.
Krishna
RIMBAUD Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond [,] À genoux, cinq petits, — misère ! — Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond [.] Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Quand, pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche, On sort le pain, Quand, sur les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie Ils ont leur âme si ravie, Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières, Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
APPRENDRE ?... UNE ALCHIMIE
Le sage montre la lune, le sot vise le doigt. La scène a valeur de fable. Déjouons-la pour mieux la rejouer. Voici que le sot présumé glisse son regard vers la face joviale de l’astre… jusqu’à le plonger sur son versant caché. Dans le secret gardé des choses, ce lieu de la conscience né de l’épaisseur de qui nous sommes. Notre apprenti – ce frère universel en puissance – se fait soudain plus sage que… le sage lui-même. La leçon a valeur de tremplin. Par où diable est-il passé ? Quels subtils chemins de traverse a-t-il arpentés ? Son parcours tient du labyrinthe mêlé, complexe, d’une gestation aux ressorts intimes dont lui seul détient les clés. L’instant d’apprendre ?... Il le nourrit d’abord d’un souffle alterné, au rythme d’un échange gazeux. Son corps et tous ses sens émergent, vestiges en nous de l’animal qui s’apprête à bondir. Sa tête aussi, sentinelle aux aguets comme un cœur qui bat. Et l’esquisse d’un geste d’attention, l’adresse d’un silence, d’une promesse de soin faite à l’objet d’apprentissage. La connaissance n’en finit pas de s’amorcer dans l’attente de son plaisir différé. Muette et patiente épiphanie. Surprise d’une promesse neuve comme un phénix. Elle n’oublie pas qu’elle est naissance toujours revisitée. Co-naissance, re-connaissance. Rappel bienvenu d’un état croisé dans une autre vie ? Savoir inscrit, toujours remémoré ? L’objet se tient là, le futur sage se sent prêt. Tout en lui vise, pointe, prévoit, anticipe. Gourmande à l’avance. Présent à soi, il sent qu’il entre en état d’initiation, en accès à cette part de lui qui sait… qu’il ne sait pas encore. Attente pleine, concentration… Et bascule. Le cœur du geste d’apprentissage advient telle une évidence longtemps retenue, contenue. A l’image d’un désir qui migre, l’instant survient où tout s’éclaire, l’espace d’un frisson qui entre en résonance avec son objet, le comprend, l’appréhende, le saisit dans sa singularité touchante. Via l’émotion, le corps et le mental réunis. Passage entre frôlement et impulsion. Force de l’évidence. Vertige provoqué et relâchement des sens. Ajustement des liens.
L’après s’annonce déjà, comme l’éclaircie suit l’ondée féconde, l’averse gonflée de ressources. En nous guette encore la vigie grisée d’une veille attentive. Avant que n’advienne le sursis né d’un trop plein de tension. Escale bienvenue que ce moment où le créateur suspend l’œuvre parvenue à son apogée. Le climax d’une attente dès lors comblée, assouvie. L’euphorie pleine des promesses du travail accompli habite l’élève, désormais initié. Tel un vin nouveau, le savoir du jour est arrivé. Rien ne sera plus comme avant. Notre tronc toujours en croissance vient s’enrichir d’une strate fraîche qui fait lien vers la totalité de l’arbre – multiples rhizomes – que nous formions déjà. Somme d’instants anciens, familiers, prêts à se réactiver à tout moment. Gisement de ressources liées à notre récit personnel, unique en son genre, inscrit dans ce que nous ne cessons d’être. Une continuité en mutation. L’apprentissage appelle la transmission, comme sous le matin qui blêmit la rosée s’attarde. Que faire d’un magot dormant ? D’un pactole froid ou d’un astre éteint ? Alors que le plaisir de savoir se dédouble, se redouble à l’infini d’un délice qui dure, s’étale, prend ses aises. La connaissance nous a transformés. Et voici que l’élève appliqué mute en professeur curieux. L’acte d’apprendre vient de trouver sa seconde vie : enseigner. Est-ce une autre histoire ? Ou la même qui lui ressemblerait comme une sœur ? De quel bois sommes-nous faits ? Notre personnalité se révèle ici en compagne accueillante qui sous-tend, anime et ravive nos apprentissages. Elle est ce lieu précieux d’une rencontre à explorer entre ce que je sais et qui je suis…