"Dans la plaine les baladins s'éloignent au long des jardins ..." (Apollinaire) ...
Arpentons, amis lecteurs, ces jardins chatoyants qui, tels maints livres effeuillés, nous content mille récits ardents dont les figures mémorables pansent nos blessures et régénèrent nos désirs... Pour que ce flux magique continue d'irriguer notre Coopérative idéale : celle des Lecteurs Réunis.
mercredi 13 août 2014
EMOUVANCES (8)
CHORALISES
Vocalises à
s’enchanter. Gaîté sans motif. Naturelle impudeur d’un chant pour soi.
Expression du pur sentiment d’exister. Le chant est à lui-même sa propre fin,
la tonalité fine, légère, de notre être au monde. Séduction primitive louée par
Jankélévitch, philosophe de la musique : « Celui qui parle tout seul est un fou, maiscelui qui chante seul est simplement gai. »
(La musique et l’ineffable)
Chant XII de
l’Odyssée d’Homère : Ulysse se
révèle le premier mélomane à oserse
plonger dans la séduction abyssale du chant premier. Prudent, le héros du retour
nostalgique se laisse lier à un mât de son navire. Il s’agit d’entendre et de
jouir du chant ensorceleur des sirènes sans succomber à leur piège fatal. « Retenez-moi d’êtreenvoûté !... » Le maître a
pris soin de mettre du miel dans les oreilles de ses marins, galériens
enchaînés à leurs bancs, chargés de convoyer leur héros au-delà des périls qui
le guettent. Figure dubourgeois mélomane
jouissant des plaisirs de la vie tandis que l’ouvrier rame. Air connu,
contrairement à celui, magique et mystérieux, des sirènes, plus proche d’une
pensée mythique exprimée par les chœurs tragiques grecs.
Ulysse,
premier homme moderne à côtoyer le mythe… pour mieux s’en affranchir. Le héros
voyageur enchante pleinement ses oreilles avant de poursuivre son périple, en
sortant de cet univers magique qu’il s’agit de dépasser. Se plonger dans la
langue pure, originelle, pour aller outre et l’oublier ensuite au profit d’une
reconquête objective du vaste monde qui s’ouvre à lui, d’un éternel retour
qu’il appelle de ses vœux. Ulysse, premier aventurier à dire adieu au mythe, à
s’arracher par la raison aux folies séduisantes du chant. La modernité et la
culture naîtront de ce dé-chantement,
de ce désenchantement.
Déchirement
et regret. Nostalgie d’un éden perdu. L’oubli volontaire du chant primitif des
sirènes signe la perte d’une innocence première. Celle d’un chant des origines.
Celle évoquée par Rousseau dans son Essai
sur l’origine des langues : d’abord purement chantante, la langue
exprime le cœur. Avant qu’elle ne se fragmente, ne se démodule, ne se détimbre
pour se muer en parole éternelle. Dénaturation, maturation vers d’autres
horizons.
Le chant
dégénère-t-il en parole, ou le bruit s’élève-t-il en harmonie ? Cette
bascule vers la culture est-elle déchéance ou élévation ? C’est toute
l’ambivalence du chant : cri brut, animal, des passions qui s’exaltent ;
vocalise à modulation humaine. Le bruit se métabolise en son devenu signifiant.
Adieu au langage parfait qui doit laisser place à la parole mesurée, comptée,
soupesée, travaillée. Se mettre à parler, c’est déchanter. L’acquis de la
parole est l’adieu permanent à notre état de nature, à l’enfance du chant. Passage
de la nature à la culture, cette dernière se concevant par la nostalgie de ce
qu’elle à cessé d’être, par ce dont elle signifie la fin.
A l’opéra,
ce qui nous séduit, ce n’est pas la voix parfaite, mais la voix singulière.
Celle du castrat, inouïe, sublime, révèle la dimension sexuée de nos émotions.
On a transformé l’homme en instrument destiné à produire du beau. L’organisme
trafiqué à des fins esthétiques : violence faite à l’état de nature.
L’opéra, espace privilégié de la voix, scène des passions premières, lieu de
déclamation des grands récits antiques. La langue originelle n’était-elle pas parole
et chant indistinctement mêlés ?
Le chant
figure, délimite un univers qui nous ramène au pur sentiment d’exister. Quand
on chante, on expire. Le chant comme crépuscule sans cesse renouvelé. Un
éternel chant du cygne est à la racine de nos existences : la modulation
interminable d’un premier souffle anime notre vie entière. Combien de fois
encore ce souffle battra-t-il dans nos poitrines avant d’exhaler son tout
dernier opus ? Question lancinante. Le chant, expression d’une mortalité
toujours en attente et toujours repoussée.
Entre passion
antique et raison affirmée au XIXe siècle, entre chant et voix, quel
intermédiaire ? La chanson peut-être, mise en musique de paroles, sur les paroles.
Ou musique agrémentée de textes ? Exhalaisons de poèmes, les textes se
mettent soudain à vibrer, les mots se distinguent, s’allongent, prennent leur
temps, ivres d’un voyage tout neuf au cœur de mélodies créées à leur mesure. Le
discours se mélodise. Des chansonniers singuliers déclarent leur flamme à ces
chants d’un ton original, unique. Bruant au Chat Noir, père des chansonniers
populaires. Fous chantants façon Trenet, narrant le merveilleux des instants
ordinaires et la mélancolie de nos vies se conjuguant au passé. Troubadours
bateleurs à la Brassens redonnant chair à la langue moyenâgeuse d’un François
Villon. Gouailleurs du verbe s’enchantant de jouer sans fin avec les
mots : onomatopées bondissantes d’un Boby Lapointe. Raviveurs de poètes
écrivains tombés dans l’oubli : Léo Ferré réenchantant Verlaine, Rimbaud,
Apollinaire. Nougaro injectant la poésie des mots sur des mélodies jazzées…
Choralises inspirées
BOHEMIENS
D’où surgit
cette « tribu prophétique aux
prunelles ardentes » évoquée par Baudelaire ? Du lieu d’origine
géographique d’une population nomade ? Trace douteuse, à l’accent
près : Bohème n’est pas Bohême. Du mode de vie de jeunes artistes du XIXe
siècle, revendiquant pauvreté et insouciance, à la recherche d’un idéal, en
marge du mouvement romantique ? Un siècle plus tard, leurs descendants
« bobos » - bourgeois bohèmes - appuieraient leur originalité sur la
métaphore des « peuples bohémiens » ou tziganes associés à ce même
mouvement.
Appartenance
au désordre et réprobation commune touchent la mouvance de ces étranges
étrangers venus de nulle part. Soldats, vagabonds, voleurs, cavaliers
d’aventure, mendiants professionnels. Mondes pittoresques, inquiétants, trop
vite assimilés à l’invasion de sauterelles. Manière de fléau propre à effrayer
le bourgeois - encore lui ! - et à déranger l’imaginaire des boutiquiers.
La bohème surprend, étonne, dérange, pose question, fait rumeur. Comme la
différence fascine.
La bohème
est une république où les lois n’ont pas cours. Désillusion et misère fondent
le dévergondage des mœurs et le « drôle » de lien social qui s’ensuit.
Sur ce terreau se greffent des créations propres à l’imaginaire, des
mythologies ivres de brouiller les pistes. Marginalité et exaltation de la
liberté. Charmes et faculté de séduire. Mais la tentation de l’errance à
outrance finit par relever d’une pathologie à répertorier : la folie
des routes, « dromomanie », entre fuite et neurasthénie. Cette impulsion
irrésistible à marcher ou à courir : l’automatisme ambulatoire d’un Nerval
s’agitant en tous sens, à la recherche éperdue de sa mère. Ou les lignes d’erre
répertoriant les déplacements des enfants autistes confiés à Deligny dans les
années soixante au cœur de Cévennes. Du mal nommé jaillissent inquiétude et
questionnement, peur et rejet. Ou envie nostalgique : les
« Souliers » de Van Gogh, allégorie parlante des vagabondages de
l’artiste parti sans le sou sur les routes du sud de la France.
C’est au
café, lieu ouvert, de rencontres et de croisements, que bohème et pensée
trouvent un point d’achoppement, de complicité. Du siècle des Lumières émerge
ce goût de se rencontrer, de faire société. Le café, version publique des
salons aristocratiques et privés qui fleurissent à l’époque. Il abrite les
philosophes : Denis (Diderot) et Jean-Jacques (Rousseau) adorent se
retrouver au café de la Régence pour se livrer aux joies intellectuelles du jeu
d’échecs, des après-midi entières. Passion cousine de la lecture et du théâtre.
Jeu de l’esprit et plaisir de penser qui seront partagés, à deux siècles de
distance, par Sartre, Beauvoir et tous les intellectuels de l’après-guerre au
café de Flore. Après qu’André Breton et Louis Aragon, aperçus en grande
discussion, y aient inventé le mot de surréalisme.
Bohémiennes,
silhouettes ambiguës entourées de vivaces légendes ; celle des femmes
tziganes venues de la « Petite Egypte » - la Grèce, en fait -,
diseuses de bonne aventure craintes, respectées, reconnues. Retour à
l’enracinement des Tziganes en Europe au Moyen Age. Un âge d’or aux affinités
partagées avec la noblesse ancrée de l’époque : amour des chevaux, goût de
liberté, nostalgie de l’Orient mythique, du temps des croisades héroïques. Temps
béni, avant celui d’une lente bascule de la diffuse « nation
bohémienne ». Finis, alors, l’accueil chaleureux dans les châteaux,
l’engouement fasciné pour les spectacles de danses. Etiquetés « errants et
vagabonds », « mendiants et gens sans aveu », les Tziganes se
voient pourchassés dans toute l’Europe, condamnés au bannissement collectif.
Intolérance, sévérité des textes, sanctions. On dénombre, recense, soumet à
mensurations, identifications : l’horreur du carnet anthropométrique
rappelle d’autres jugements au faciès. Tout à sa logique de fichage, la
république n’a de cesse de rassurer ses angoisses. L’ancrage national exige des
assurances de légitimité qui confinent au déni permanent. Il ne fera plus
jamais bon être bohémien.
Trois cent
mille Tziganes français forment aujourd’hui sur notre sol un ensemble culturel
original. Ils demeurent une composante de notre histoire, de notre imaginaire
collectif. Une part de nous-mêmes, dans leur façon de vivre au jour le jour,
pauvres et insouciants. Ils sont les derniers tenants d’une innocence évanouie.
Défiant les jugements ratés de l’histoire, Gitans, Romanichels, Manouches et
autres nomades viennent nous rappeler qu’il n’y a plus de terres vierges à
découvrir, et que le « sauvage » est maintenant à débusquer à
domicile. Accueilli par eux, il revient à l’artiste bohème de se faire
littéralement « bohémien » lui-même. Il lui reste sa palette
compassionnelle pour sauver ses frères en errance de la nuit de l’oubli.
A la bascule
du siècle, la bohème était déjà le nom de code d’un mode de vie à part entière.
Les « Vilains Bonshommes » - Verlaine, Rimbaud et consorts -étalaient une marginalité en quête d’un idéal
artistique et littéraire : celui de l’artiste moderne. Avant que, prenant
le large vers les déserts éthiopiens, Rimbaud ne redevienne « l’homme aux
semelles de vent » : « J’entends
rester libre de voyager », rappelle le poète et aventurier à ses
proches, retrouvant sur sa fin les ivresses des premières fugues. En écho aux
gens du voyage, ces fuyards éternels évoqués par Baudelaire, toujours en route
vers « l’empire familier des
ténèbres futures ».
HERALDIQUE
Sonneries
martiales. Déploiement de tissus bariolés au vent étrange du combat qui
s’annonce. Des hérauts martiaux embouchent hardiment leurs longues trompettes
de la renommée. Ornements colorés, figures, blasons, armoiries clinquantes. Toute
la représentation est là, suspendant l’événement en attente. Panoplie
rutilante. Proclamation et couleur. Singularité manifestée haut et fort. Des écus
pimpants clament à tous le grand tournoi médiéval. La puissance prête à parler.
La quête du
pouvoir commence par celle de la reconnaissance. S’avancer, se mettre en avant.
Et, à cette fin, se faire remarquer de tous, se faire « remarquable »,
par son mérite, sa qualité présumée. Se montrer distingué, éminent.
« Insigne », à l’image des membres du groupe que l’on représente. Les
signes se font système cohérent d’identification, d’appartenance à des
collectivités humaines, à des lignées soigneusement entretenues, cultivées,
mises en valeur. Héritage et degrés de parenté sommeillent sous une
construction emblématique unique, que l’on peaufine d’âge en âge, dans la
singularité, voire l’exclusion. Drapeaux, hymnes et frontières parachèveront ce
même besoin humain en élargissant le principe à l’échelle des nations.
Chef, cœur,
flancs dextre et sénestre, pointe. L’écu déploie ses codes sur cinq régions du
corps de l’écuyer. Cotte d’armure, bannière, caparaçon et housse de cheval
complètent le signalement. Blason sur la poitrine, le chevalier se présente de
face dans sa chevauchée. Sur lui reposent les espoirs de tout son clan. Comment
ne pas se réjouir et se sublimer d’ « en être » ?! Sa
généalogie entière - ascendance glorieuse - suspend son souffle dans cette
re-mise en jeu permanente des forces en présence. Ne pas décevoir, surtout,
s’engager comme si cet instant devait être le premier… et même s’il devait
s’avérer le dernier. Lutte sans merci pour la suprématie. Fierté héraldique
aveugle d’appartenir à un arbre, d’en être issu, d’en être.
« Engagez-vous,
rengagez-vous !... », clameront de tout temps les autorités
militaires, appuyant leur sourd désir de conquête sur ces orgueils claniques. Ordres
de bataille, stratégies étudiées, les soldatesques répondront toujours présent
à l’injonction d’aller faire son affaire au camp d’en face tout en redorant…
son propre blason. Aux rigoureuses géométries des écus et armoiries sauront
répondre les impeccables ordonnancements d’opérations militaires froidement prémédités,
figures d’alignements parfaits. Les non moins appréciées médailleset décorations en tout genre venant
récompenser les méritants guerriers. L’écu se fera signe discret au revers des
vestes, réplique miniature d’exploits en tout genre. Titres et dignités
s’apprécieront au cœur de discussions de salon, reconnaissance sociale oblige.
La héraldique continuera se pratiquer entre les murs, à la façon dont la
musique classique en grand orchestre se fit peu à peu musique de chambre. Une
musique mise en partition par Proust au sein du salon Verdurin de sa Recherche : il vaut mieux en être
ouvertement, apprend à ses dépends le pauvre Swann, que de faire semblant de
s’y rattacher en dernier recours. La bonne société ne supporte pas les
francs-tireurs solitaires, pas plus que les anti-héros dérangeants.
A mille
lieues d’exploits et flonflons guerriers qui lui étaient sans doute étrangers,
le philosophe Diogène marqua les Athéniens de son temps, cinq siècles avant
notre ère. L’homme vivait chichement, vêtu d’un simple manteau, arpentant les
rues de la cité muni d’un bâton, d’une besace et d’une écuelle. Dénonçant
l’artifice des conventions sociales, il préconisait une vie sans affectation,
proche de la nature, se contentant d’une jarre ouverte pour dormir. Il
n’hésitait pas à mendier à proximité de statues, pour mieux s’habituer aux
réactions de refus. Même si les traits scandaleux de ses écrits l’ont fait
tomber dans l’oubli, on peut se souvenir que sa Politeia(République)
s’attaque à nombre de valeurs du monde grec pour prôner : l’indifférence à
la sépulture, la négation du sacré, la suppression des armes et monnaies,
l’autosuffisance, l’égalité hommes-femmes… bref une remise en cause de la cité
et de ses lois. Son raisonnement : tout appartient aux dieux, or les sages
sont les amis des dieux et entre amis tout est commun, donc tout appartient aux
sages…
« Ôte-toi
de mon soleil », ordonne-t-il au roi de Macédoine venu voir s’il ne
manquait de rien. Une lanterne à la main, il erre la nuit dans les rues à la
recherche de… l’homme idéal. Simplicité du regard, sobriété des attentes, un
tel sujet bouscule par la brillance de son anonymat et l’absence réaliste des
illusions sur le genre humain. On est loin du clinquant héraldique avide de
récompenses et grand consommateur de gratitude clanique. Tout autre est le
souci de Diogène : celui d’un citoyen du monde avant l’heure, abolissant
jalousies familiales, mesquineries fratricides, vaines fiertés guerrières ou
conquérantes, et fastes afférents. Quitte à se retrouver seul de son espèce, il
rejoint le Petit Joueur de flûteau de Brassens, renonçant à toute tentation de
blason : « Sans armoirie
sans parchemin, sans gloire il se mit en chemin… nuls ne disent dans le
pays : le joueur de flûte a trahi !» Il signe aussi l’éternel
besoin de solitude exprimé par le poète : « Bande à part, sacrebleu, c’est ma règle et j’y tiens ! »
Comment ne
pas adhérer à cette philosophie du moins - du rien ? - lorsqu’elle nous
invite à fuir aujourd’hui comme la peste ces grands spectacles
« sportifs » - ou dits tels - qui nous offrent la délirante et
lamentable vision de haines trop longtemps comprimées et subitement expulsées
entre supporteurs de camps adverses. Les slogans lancés et gestes agressifs
présentent tous les traits de frustrations tournant à l’hystérie : on
n’existe plus que par délégation, et donc par absence. Le soi conscient est
déserté au cours de ces versions contemporaines des tournois d’antan virant à
une guerre de clochers autour d’un simple… ballon de cuir. Emporté dans un
tourbillon aveugle de passions occultes, chacun endosse le masque d’une
collectivité qu’il prétend représenter et servir. Alors qu’abruti d’un désir
caché de notoriété rampante, le supporteur aveuglé ne fait que se parer d’un
masque de partialité qui le dépasse. A trop adorer nos seules couleurs, nous
voilà devenus de mauvais hérauts facilement épinglés par l’œil indifférent et
narquois du poète. « Une preuve du
pire, c’est la foule », nous souffle Prévert.
VOLUPTES
Vénus
callipyge. Sensualité narcissique. Erotique Aphrodite soulevant impudiquement
son péplos pour apprécier elle-même
la plastique de son fessier, nécessairement superbe. Statue d’un éternel objet
du désir, honorée dans l’antique temple de Syracuse. Légende ré-enchantée par
La Fontaine et Brassens, poètes modernes.
Sexe,
érotisme. Nature et culture. L’art de désirer n’est-il que l’art de
jouir ? Adam et Eve, nos bibliques ascendants, chassés de l’Eden
terrestre, signent la faute originelle quinous voue à la pudeur que sous-entend la nudité consciente. Dans le
moment de la chute unique de nos lointains aïeux naît la culture. Et l’entrée
de l’humanité dans l’Histoire.
Image duelle,
trouble, devenue hideuse que celle où « l’interdit
redouble le désir », selon Bataille. Sculptée par l’érotisme issu du
tabou édicté, la sexualité se renforce, s’imagine, se raffine. Le désir - cette
« nostalgie de l’étoile » - creuse son éclosion et love sa floraison
dans une faille de la plénitude jamais atteinte, toujours à poindre :
celle du désir désirant… le désir. Schopenhauer dessine ce chemin vertigineux « de la souffrance du manque à l’ennui
de la possession ».
Etiqueté
impur, infâme, obscène, moyen de plaisir plutôt que fin en soi, le sexe en tant
qu’organe n’est pas une affaire de morale. Mais prétendre faire l’amour sans
morale, ne serait-ce pas s’interdire l’érotisme ? La célébration qu’est la
sexualité n’est pas réductible au « sexe ». Elle se joue dans
l’interface entre notre part la plus animale, naturelle, a-morale, et la plus
culturelle, la plus sublime qu’est l’amour. Entre sexe naturel et érotisme
culturel.
De la
génitalité au service de la reproduction de l’espèce à la sensualité créatrice
de beauté, le philosophe interroge : « La
persistance de l’espèce humaine est-elle lapreuve de sa lubricité ? » L’expression de la libido des
singes bonobos s’étale devant nos yeux pour nous rappeler que nous partageons
98% de gènes communs avec le règne animal. Les 2% restants dévoileraient-ils
cette pudeur - pudor, honte latine -
qu’un penseur définit comme « la
plus héroïque de nos vertus » ? Pourquoi la pornographie nous
troublerait-elle autant sinon par ce fait que nous ne sommes pas des bêtes et
que notre pudeur sait nous préserver de la brutalité du monde animal ? La
sexualité humaine ne repose pas d’abord sur l’instinct, mais sur un plaisir
sciemment échangé. Partages et tendresse éclairent notre part humaine d’une
lueur novatrice. Aimer l’autre passe par une reconnaissance de son altérité
singulière. Et cela traverse le visage, cette « épiphanie de la morale » dont parle Lévinas. Un
fessier, forcément quelconque et aussi plastique soit-il, ne symbolisera jamais
qu’un anonymat : la pulsion sexuelle n’aime l’autre que dans sa
généralité, dans une ouverture indéterminée propre à la nature. L’amour
identifie, nomme, s’apprête à construire patiemment un récit harmonieux,
sublimé, du rapprochement des corps. Faire l’amour, c’est ouvrir un moment de
plénitude où je ne manque de rien et où j’ai tout à inventer. Esthétique divine
qui nous rappelle aux bons souvenirs du créateur.
L’érotisme
repose-t-il sur la transgression ? Tendant à la dégradation et à la mort,
le corps est mis en demeure d’assumer une sexualité nécessaire. L’érotisme,
expérience des limites, doit transgresser les tabous. Dissolution de l’être, la
jouissance érotique préfigure la dissolution définitive dans la mort. Le
philosophe Georges Bataille y voit une connaissance et une transgression du
sacré proche de l’expérience mystique. L’érotisme comme préparation à la
mort ?... Non, répond Freud : la pulsion érotique est une force de
vie qui s’oppose à la pulsion de mort. Il ne peut y avoir de sexualité saine
sans respect de la dignité humaine. Selon l’auteur de Totem et Tabou, deux tendances biologiques sont à l’œuvre en
l’homme. Eros, pulsion de vie qui pousse les êtres vivants à se reproduire, à
se lier, à s’unir pour faire société. Et Thanatos, pulsion de mort qui les
incite à se dissoudre, à se détruire, à tendre vers le néant. Vers une mort qui
n’est pas un anéantissement, mais un passage vers une autre vie. Le corps, la
vie, la dignité s’inscrivent dans une forme de sacré.
De la faute
et de ses interdits conséquents naît l’art. La voûte de la Sixtine nous
entraîne dans une débauche de corps glorieux qui nous touchent et suscitent nos
émotions culturelles. La beauté des corps s’y double de la force et de
l’affirmation des visages. La joyeuse répétitivité des formes physiques,
l’incroyable diversité de leurs attitudes parfois acrobates, cet opéra de
muscles et de chairs que nous livre Michel Ange - le bien nommé ! - crée
une cosmologie humaine qui confine au cœur d’un érotisme vivant. Au centre de
la voûte, la ténuité et la flaccidité du sexe replié d’un Adam monumental
tiennent presque de l’anecdote et de l’ironie. On est bien loin de l’impudence
un peu risible de notre statue callipyge se mirant outrageusement dans ses
propres rotondités. Délaissant une volupté trop joueuse d’elle-même, l’amour
s’est fait entre-temps le comble de l’art.
ATLAS
Guadalcanal, Panamaribo, Tegucigalpa. Magie des mots prononcés, articulés. Incantation des
lieux évoqués. Nommer le monde c’est déjà en accomplir une première et
délicieuse traversée. Géographies et récits se donnent rendez-vous pour
alimenter nos rêves. Emouvant, impérial, l’antique géant Atlas porte la voûte
céleste sur ses épaules. Sensation confuse d’un terrible et légendaire
châtiment accordant, en retour, la naissance aux cartes, planches, plans,
graphiques comme autant de labyrinthes secrets offerts à nos mémoires
enfantines.
Syracuse, Katmandou, Mangalore, Kamtchatka.
Des mots qui chantent comme des visages sur fonds de zones colorées, aux traits
finement sculptés, aux tracés cabalistiques. Formes curieuses, abstraites,
arbitraires, découpées - par les soins de la nature ou de main
d’homme ?... mystère ! - et propres à révéler d’insondables légendes.
Profils énigmatiques des géographies.
Samarkand, cité d’art nichée au creux
d’une vaste oasis, courtisée tour à tour par Alexandre le Grand, Gengis Khan et
Tamerlan. Puerto Rico, Trinidad,
Asuncion, aux paysans métissés récoltant le café dans les estancias ou
frappant les tambours au rythme de boléros fantasques et envoûtants. Chesapeake, Kentucky, Oklahoma, aux
pionniers débraillés se lançant à la conquête des vastes espaces brûlants de
l’ouest. New Amsterdam, perle de
l’île de Manhattan achetée aux Indiens pour quelques verroteries, ancêtre de la
grande New York planifiée en immense damier, lointaine cousine de la placide
Venise du Nord aux cent canaux…
Noms
chantants, clés mystérieuses pour des mondes enchanteurs d’enfants prêts à
rêver les premiers récits de voyage de leur courte vie. Sous la Géographie
l’Histoire. Ils trônent à une place bien en vue dans les bibliothèques, ces
grands livres, encyclopédiques à l’image des vastes univers qu’ils renferment.
Et si les mains menues hésitent à en saisir l’épaisse reliure cartonnée, c’est
autant pour la crainte sacrée des secrets qu’ils scellent que pour la masse et
le format de leurs impressionnantes paginations.
Lac Athabaska, Saskatchewan, réservoir
Manicouagan, froides et blanches étendues canadiennes tutoyant effrontément
les glaces du pôle. Oulan Bator des
cavaliers mongol et son désert de Gobi. Placides ruines du Machu Picchu, derniers vestiges du fabuleux Empire inca et des rois
Yupanqui. Java, Bali, Sumatra, îles
de la Sonde, émergeant à peine de la plus vaste plateforme continentale du
monde. Valparaiso, Conception, et le désertd’Atacama, long et aride haut-plateau braquant, sous la voûte
étoilée soudain devenue proche, ses télescopes géants prêts à disséquer les
origines de l’univers.
Qui eût
prédit le foisonnement de tous ces récits géographiques issus d’une seule et
unique pangée, résultante facétieuse d’entrechocs gigantesques des continents
entre Carbonifère et Jurassique ? Fractures, collisions, soubresauts,
dislocations, ouverture d’océans, redistribution des continents, émergence de
courants marins rebattant les masses d’eau, réinventant d’autres météorologies…
aptes à enfanter de nouvelles espèces du vivant. Géographie en constante
éruption de récits insolites à l’échelle d’un temps sans mesure familière.
« La terre est bleue comme une
orange », chante, faussement naïf, le poète Eluard. Sa parole est
vérité : la fine écorce de fruit sur laquelle nous nous mouvons ne nous
suffit-elle pas à déployer nos récits, dans l’ignorance de ceux que la planète
se raconte à elle-même dans ses tréfonds ? Nous ne vivons bien qu’à la
surface des choses, méconnaissant les formidables poussées telluriques qui
agitent les volcans sous-marins faiseurs d’îles en archipels. Tributaire de sa
propre histoire, la géographie nous permet seulement d’inventer la nôtre,
forcément incluse, dépendante, nous appelant soudain à plus de retenue, de
modestie.
Atlas,
compagnon des Géants, fils de Titan, frère de Prométhée, avait défié les dieux.
Zeus le condamna à porter la voûte du ciel sur ses épaules. La légende veut
aussi qu’il eût aidé Héraclès à cueillir les pommes du Jardin des Hespérides.
Pleioné lui donna, dit-on, sept filles, les Pléiades, nom attribué dans
l’histoire littéraire à des groupes de sept poètes considérés comme des
constellations poétiques. A l’image des quatre-vingt huit constellations
stellaires projetées sur la voûte céleste par les esprits éclairés de la
tradition hellénique. Points de repère précieux pour les hardis marins lancés à
la découverte des continents insolites concoctés par les pulsions rageuses de
notre bonne vieille terre.
Intense
besoin humain d’identifier, de nommer, de s’enivrer de récits merveilleux pour
affronter des forces qui nous dépassent. L’Histoire rassure l’homme-enfant au
seuil de ses géographies improbables. Et parvient à le griser au cœur du
vertigineux palimpseste des mots.
Nouveau livre paru le 27 octobre 2021
DEFENSE et USAGE de la FRANCOPHONIE par la lecture et l’écriture !
Avec « Eclats de rire », je signe son douzième projet d’écriture. Mon intention ? Faire vivre et partager dans toute sa diversité notre langue française de plus en plus cernée par un globish anglo-saxon colonisateur et délétère. Il y va de notre culture comme de notre identité !
LIGNES d'ERRE
La FORCE de l'INTUITION
LIVRE 11 paru en DEC 2020
Laisser la pensée errer : une rareté qui confine au luxe d’une temporalité désormais perdue ? Qu’est-ce que sentir, apprendre ? Rêver ? Quels liens entre qui je suis et ce que je sais ? Comment la reconnaissance peut-elle faire échec au spectre toxique du ressentiment qui agite notre village global contemporain ? Qu’est-ce qu’un réseau citoyen de savoirs partagés ? Comment le partage magique de l’art peut-il transformer notre école en micro-société bienveillante, fondée sur des rapports de confiance et de coopération ? Comment chacun.e de nous se révèle-t-il via ses œuvres singulières ? Autant de questions originelles propres à enrichir et déployer nos identités personnelles et collectives. Au bénéfice d'un lien social à raviver.
Que signifie « penser » ? Enigme non levée ! Sauf à (se) révéler, via la trace et l’entrelacs, le noble étonnement né de notre autonomie et de notre dignité. Cette question en voile une autre, connexe, touchant à l’esquisse d’une vérité sacrée, qui nous dépasse : « Qu’est-ce qu’être humain ? » Et, pour éclairer nos chemins, ce viatique puissant : la poésie de l’intuition.
A VOIR SUR : edition999.info/LIGNES-d-ERRE.html
ESPRITS NOMADES
EXILS A L'OEUVRE (TEMOIGNAGE)
LIVRE 10 (paru en AVRIL 2020)
Quelle alchimie peut survenir de la rencontre improbable entre émigrés précaires et sédentaires assumés ? Ancestraux, mouvements de migration et gestes d’accueil appartiennent au cours normal de l’histoire. Leur brutale résurgence pose à nos sociétés consuméristes, hyper connectées, la question lancinante du socle des valeurs à sauvegarder.
L’expérience partagée ici, au plus près du quotidien de nos territoires, témoigne d’un échange et d’un enrichissement possibles entre des migrants contraints à la fuite et les exilés de l’intérieur que nous sommes tous à des degrés divers. Elle débouche sur l’opportunité de faire œuvre ensemble autour d’une quête et d'une estime de soi qui nous transcende. Elle nous parle de l’exil comme d’un lieu de révélation possible de cette création. Celle d’une reconnaissance mutuelle s’incarnant dans un récit commun porteur de sens.
« Un homme ça s’empêche » écrit Camus en un mantra moral sidérant. « Mon cirque est dans le ciel » clame en écho Chagall dans une vision rêvée aux parfums d’enfance. Reliant ces deux fils à son propre récit de vie, un certain Candide tente de ranimer les feux puissants des Lumières. Entre son Qui suis-je et son Que sais-je, le fils de Voltaire nous livre sa parole en mutation. De l’espace sonore avorté à celui, médité, de la feuille blanche, le geste et l’esprit rejouent leur duo idéal, nous proposant une belle leçon de vie : l’émancipation par la connaissance et l’acte d’écriture.
" LE CARNAVAL DES MIMES ", Dans l'oeil du désir mimétique
Quels liens tisser entre les attitudes du souffleur sur verre au travail, les lubies du collectionneur passionné, un orchestre d’enfants jouant sur des instruments fictifs et… une bonne tête d’équidé placide ? Quels rapports imaginer entre les arabesques d’un corps dans l’espace, les gestes de pudeur d’une femme voilée et les formes palpitantes d’une nature morte ?Quelles affinités pour figurer les feintes du poulpe mimétique, les facéties chimiques d’une comète et la fascination exercée par nos écrans connectés ?
L’imitation inconsciente d’un désir secret nous balade entre fusion et conformisme, désignant à notre insu des modèles à contrefaire. Partout et de tous temps la mimétique est à l’oeuvre. Le monde est un théâtre d’ombres où chacun consent à délaisser un original unique pour des doublures fictives. Un Carnaval des Mimes s’agite sur fond de caverne sociale. Pour le meilleur et pour le pire. Entre fiction et essai, ces courts récits de vie témoignent d’une observation réfléchie du phénomène et en présentent une vision émouvante aux colorations poétiques et philosophiques.
L'auteur inscrit son travail dans les traces de René Girard (" La Violence et le Sacré " - 1972).
Plongés dans le flux du vaste laboratoire lexical, nous assistons à l’éclosion des mots émergeant du bain révélateur de nos émotions. Dilatant nos paysages intérieurs, ils se font les témoins incarnés de nos étonnantes traversées de la nature à la culture. Origines et généalogies, formes et mythes, chroniques et métaphores, esthétique et philosophie trouvent leur port d’attache dans les dédales enivrants de la langue. Là où se révèle la part infrangible de nous-même.
Sous les fins mots, phénomènes et flux de pensée, dont les épures nous troublent, esquissent des récits mouvants, allégoriques. Ceux de nos mutations profondes, incessantes, célébrant la voie plus que la cible. Tous nos sens aux aguets, nous prolongeons l’éphémère des passages. Jusqu’à goûter l’onde qui se propage intérieurement. La vibration intime de nos émouvances.
PHILOJAZZ Petites ritournelles entre souffle et pensée
PUBLICATION
" PHILOJAZZ ",mon 3ème livre, est paru le 1er décembre 2012.
" PHILOJAZZ ", une histoire passionnée du jazz écrite au rythme de la pensée philosophique, à travers l'écoute de 25 standards de la musique afro-américaine. Quand jazz et philosophie, passion et raison, nouveau et ancien monde, savent croiser des forces complices dans une démarche commune d'appréhension du monde...
"PHILOJAZZ" sur FRANCE-CULTURE
Au "Journal de la Philosophie" de François Noudelmann
Noirs de loupes, grêlés, les yeux cerclés de bagues Vertes, leurs doigts boulus crispés à leurs fémurs, Le sinciput plaqué de hargnosités vagues Comme les floraisons lépreuses des vieux murs ;
Ils ont greffé dans des amours épileptiques Leur fantasque ossature aux grands squelettes noirs De leurs chaises ; leurs pieds aux barreaux rachitiques S'entrelacent pour les matins et pour les soirs !
Ces vieillards ont toujours fait tresse avec leurs sièges, Sentant les soleils vifs percaliser leur peau, Ou, les yeux à la vitre où se fanent les neiges, Tremblant du tremblement douloureux du crapaud.
Et les Sièges leur ont des bontés : culottée De brun, la paille cède aux angles de leurs reins ; L'âme des vieux soleils s'allume, emmaillotée Dans ces tresses d'épis où fermentaient les grains.
Et les Assis, genoux aux dents, verts pianistes, Les dix doigts sous leur siège aux rumeurs de tambour, S'écoutent clapoter des barcarolles tristes, Et leurs caboches vont dans des roulis d'amour.
- Oh ! ne les faites pas lever ! C'est le naufrage... Ils surgissent, grondant comme des chats giflés, Ouvrant lentement leurs omoplates, ô rage ! Tout leur pantalon bouffe à leurs reins boursouflés.
Et vous les écoutez, cognant leurs têtes chauves, Aux murs sombres, plaquant et plaquant leurs pieds tors, Et leurs boutons d'habit sont des prunelles fauves Qui vous accrochent l'oeil du fond des corridors !
Puis ils ont une main invisible qui tue : Au retour, leur regard filtre ce venin noir Qui charge l'oeil souffrant de la chienne battue, Et vous suez, pris dans un atroce entonnoir.
Rassis, les poings noyés dans des manchettes sales, Ils songent à ceux-là qui les ont fait lever Et, de l'aurore au soir, des grappes d'amygdales Sous leurs mentons chétifs s'agitent à crever.
Quand l'austère sommeil a baissé leurs visières, Ils rêvent sur leur bras de sièges fécondés, De vrais petits amours de chaises en lisière Par lesquelles de fiers bureaux seront bordés ;
Des fleurs d'encre crachant des pollens en virgule Les bercent, le long des calices accroupis Tels qu'au fil des glaïeuls le vol des libellules - Et leur membre s'agace à des barbes d'épis.
En vad...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrou...
En vadrouille
En vadrouille
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS
Dans le cadre de la BIENNALE " PHOTOFOLIES EN TOURAINE ", l'auteur expose à la Bibliothèque de Beaulieu lès Loches, sur le thème de la lumière.
Place à la lumière, matériau premier du peintre comme du photographe. Lumière-matière à modeler, sculpter, transformer. Sublime glaise dont chacun peut jouer à l'infini. De l'évidence scientifique à l'esthétique picturale, la lumière surgit, rayonne, diffuse, réfléchit, colore, voile révèle. Et quand elle s'absente sur la fine pointe de ses radiations, c'est en nous confiant le vestige d'une réalité au creux même de la pensée. Convertie en essence philosophique, sa clarté en vient à célébrer la joie mobile de l'esprit. Irait-elle jusqu'à nous livrer la clé des songes ?... Fiat lux ! ... Que la lumière soit !...
ARAGON / FERRE
Je chante pour passer le temps Petit qu'il me reste de vivre Comme on dessine sur le givre Comme on se fait le coeur content A lancer cailloux sur l'étang Je chante pour passer le temps
J'ai vécu le jour des merveilles Vous et moi souvenez-vous-en Et j'ai franchi le mur des ans Des miracles plein les oreilles Notre univers n'est plus pareil J'ai vécu le jour des merveilles
Allons que ces doigts se dénouent Comme le front d'avec la gloire Nos yeux furent premiers à voir Les nuages plus bas que nous Et l'alouette à nos genoux Allons que ces doigts se dénouent
Nous avons fait des clairs de lune Pour nos palais et nos statues Qu'importe à présent qu'on nous tue Les nuits tomberont une à une La Chine s'est mise en Commune Nous avons fait des clairs de lune
Et j'en dirais et j'en dirais Tant fut cette vie aventure Où l'Homme a pris grandeur nature Sa voix par-dessus les forêts Les monts les mers et les secrets Et j'en dirais et j'en dirais
Oui pour passer le temps je chante Au violon s'use l'archet La pierre au jeu des ricochets Et que mon Amour est touchante Près de moi dans l'ombre penchante Oui pour passer le temps je chante
Je passe le temps en chantant Je chante pour passer le temps
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LAZULIE
CHAGALL (détail)
CHAGALL (détail)
PARIS PAR LA FENETRE
MARC CHAGALL 1913
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
Furtifs
MUSEE
MUSEE
MUSEE
MUSEE
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAUX ICEBERGS
VAISSEAU ICEBERG 1
VAISSEAU ICEBERG 2
VAISSEAU ICEBERG 3
VAISSEAU ICEBERG 4
" FIAT LUX " - EXPO PHOTOS (suite)
LE BATEAU IVRE
Comme je descendais des Fleuves impassibles Je ne me sentis plus guidé par les haleurs : Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cible Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs ...
... La tempête a béni mes éveils maritimes Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes Dix nuits sans regretter l'oeil niais des falots
... Mais vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes Toute lune est atroce et tout soleil amer L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes O que ma quille éclate ! O que j'aille à la mer !...
Arthur RIMBAUD Poésies
ALBERT CAMUS "Noces à Tipasa"
Ce bain violent de soleil et de vent épuisait toutes mes forces de vie. A peine en moi ce battement d'ailes qui affleure, cette vie qui se plaint, cette faible révolte de l'esprit. Bientôt, répandu aux quatre coins du monde, oublieux, oublié de moi-même, je suis ce vent et dans le vent, ces colonnes et cet arc, ces dalles qui sentent chaud et ces montagnes pâles autour de la ville déserte. Et jamais je n'ai senti, si avant, à la fois mon détachement de moi-même et ma présence au monde.
L'hiver, le soir : alors, parfois, l'espace ressemble à une chambre boisée avec des rideaux bleus de plus en plus sombres où s'usent les derniers reflets du feu, puis la neige s'allume contre le mur telle une lampe froide
JACCOTTET "A la lumière d'hiver "
RENE CHAR
Nous n'appartenons à personne sinon au point d'or de cette langue inconnue de nous, inaccessible à nous qui tient éveillés le courage et le silence.
APOLLINAIRE " CHANSON DU MAL AIME "
Mon beau navire ô ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous assez divagué De la belle aube au triste soir...
... Les dimanches s'y éternisent Et les orgues de Barbarie Y sanglotent dans les cours grises Les fleurs aux balcons de Paris Penchent comme la tour de Pise...
VERLAINE / BRASSENS
COLOMBINE
Léandre le sot Pierrot qui d'un saut De puce Franchit le buisson Cassandre sous son Capuce
Arlequin aussi Cet aigrefin si Fantasque Aux costumes fous Ses yeux luisant sous Son masque
Do mi sol mi fa Tout ce monde va Rit chante Et danse devant Une frêle enfant Méchante
Dont les yeux pervers Comme les yeux verts Des chattes Gardent leurs appas Et disent : " A bas les pattes ! "
L'implacable enfant Preste et relevant Ses jupes La rose au chapeau Conduit son troupeau De dupes
Charles BAUDELAIRE
Je suis belle, ô mortels, comme un rêve de pierre Et mon sein où chacun s'est meurtri tour à tour, Est fait pour inspirer au poète un amour Eternel et muet ainsi que la matière...
Je trône dans l'azur comme un sphinx incompris; J'unis un coeur de neige à la blancheur des cygnes; Je hais le mouvement qui déplace les lignes; Et jamais je ne pleure et jamais je ne ris.
" UN BALCON EN FORET " Julien GRACQ
Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente Julien Gracq se fait pour nous guetteur muet des sylvestres solitudes. Le coeur de la forêt refuge et prison à la fois carrefour d'histoire à poésie de poésie à géographie. Gracq rêveur éveillé des toits et des belvédères agissant et se regardant agir dans l'épais silence des layons filant à travers bois vers le val de Meuse en contrebas. Au coeur de la forêt d'Ardenne comme au coeur de l'attente où l'espace et le temps s'estompent infiniment lecture et art fusionnent étrangement ...
Paul ELUARD " L'Amour la poésie "
La terre est bleue comme une orange ...
Les guêpes fleurissent vert L'aube se passe autour du cou Un collier de fenêtres Des ailes couvrent les feuilles Tu as toutes les joies solaires Tout le soleil sur la terre Sur les chemins de ta beauté
Les idées sont des succédanés des chagrins
Marcel Proust
Au coeur des paysages s'inscrit l'étoffe des rêves comme autant de pays sages arpentés sans trêve
La langue est la peinture de nos idées RIVAROL
La plupart des gens meurent sans avoir vécu. Heureusement, ils ne s'en aperçoivent pas.
IBSEN
BLOGS AMIS La Passée des Arts
Bleu de cobalt
L'Estro Armonico
Infime est la portion de vie que nous vivons SENEQUE
Une preuve du pire, c'est la foule SENEQUE
C'est quand il n'y pas grand'monde qu'il y a grand'chose PREVERT
La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil
René CHAR
L'habituel défaut de l'homme est de ne pas prévoir l'orage par beau temps
MACHIAVEL
On ne retrouve jamais le commencement du commencement, mais toujours l'aurore d'une vie nouvelle JANKELEVITCH
BHAGAVAD GHÎTÂ
En haut, ses racines, en bas, ses branches, tel est l'arbre cosmique immuable. Les hymnes en sont les branches. Qui le connaît connaît la connaissance.
Krishna
RIMBAUD Les Effarés
Noirs dans la neige et dans la brume, Au grand soupirail qui s'allume, Leurs culs en rond [,] À genoux, cinq petits, — misère ! — Regardent le boulanger faire Le lourd pain blond [.] Ils voient le fort bras blanc qui tourne La pâte grise, et qui l'enfourne Dans un trou clair. Ils écoutent le bon pain cuire. Le boulanger au gras sourire Chante un vieil air. Ils sont blottis, pas un ne bouge, Au souffle du soupirail rouge, Chaud comme un sein. Quand, pour quelque médianoche, Façonné comme une brioche, On sort le pain, Quand, sur les poutres enfumées, Chantent les croûtes parfumées, Et les grillons, Quand ce trou chaud souffle la vie Ils ont leur âme si ravie, Sous leurs haillons, Ils se ressentent si bien vivre, Les pauvres Jésus pleins de givre, Qu'ils sont là, tous, Collant leurs petits museaux roses Au grillage, grognant des choses Entre les trous, Tout bêtes, faisant leurs prières, Et repliés vers ces lumières Du ciel rouvert, Si fort, qu'ils crèvent leur culotte, Et que leur chemise tremblote Au vent d'hiver.
APPRENDRE ?... UNE ALCHIMIE
Le sage montre la lune, le sot vise le doigt. La scène a valeur de fable. Déjouons-la pour mieux la rejouer. Voici que le sot présumé glisse son regard vers la face joviale de l’astre… jusqu’à le plonger sur son versant caché. Dans le secret gardé des choses, ce lieu de la conscience né de l’épaisseur de qui nous sommes. Notre apprenti – ce frère universel en puissance – se fait soudain plus sage que… le sage lui-même. La leçon a valeur de tremplin. Par où diable est-il passé ? Quels subtils chemins de traverse a-t-il arpentés ? Son parcours tient du labyrinthe mêlé, complexe, d’une gestation aux ressorts intimes dont lui seul détient les clés. L’instant d’apprendre ?... Il le nourrit d’abord d’un souffle alterné, au rythme d’un échange gazeux. Son corps et tous ses sens émergent, vestiges en nous de l’animal qui s’apprête à bondir. Sa tête aussi, sentinelle aux aguets comme un cœur qui bat. Et l’esquisse d’un geste d’attention, l’adresse d’un silence, d’une promesse de soin faite à l’objet d’apprentissage. La connaissance n’en finit pas de s’amorcer dans l’attente de son plaisir différé. Muette et patiente épiphanie. Surprise d’une promesse neuve comme un phénix. Elle n’oublie pas qu’elle est naissance toujours revisitée. Co-naissance, re-connaissance. Rappel bienvenu d’un état croisé dans une autre vie ? Savoir inscrit, toujours remémoré ? L’objet se tient là, le futur sage se sent prêt. Tout en lui vise, pointe, prévoit, anticipe. Gourmande à l’avance. Présent à soi, il sent qu’il entre en état d’initiation, en accès à cette part de lui qui sait… qu’il ne sait pas encore. Attente pleine, concentration… Et bascule. Le cœur du geste d’apprentissage advient telle une évidence longtemps retenue, contenue. A l’image d’un désir qui migre, l’instant survient où tout s’éclaire, l’espace d’un frisson qui entre en résonance avec son objet, le comprend, l’appréhende, le saisit dans sa singularité touchante. Via l’émotion, le corps et le mental réunis. Passage entre frôlement et impulsion. Force de l’évidence. Vertige provoqué et relâchement des sens. Ajustement des liens.
L’après s’annonce déjà, comme l’éclaircie suit l’ondée féconde, l’averse gonflée de ressources. En nous guette encore la vigie grisée d’une veille attentive. Avant que n’advienne le sursis né d’un trop plein de tension. Escale bienvenue que ce moment où le créateur suspend l’œuvre parvenue à son apogée. Le climax d’une attente dès lors comblée, assouvie. L’euphorie pleine des promesses du travail accompli habite l’élève, désormais initié. Tel un vin nouveau, le savoir du jour est arrivé. Rien ne sera plus comme avant. Notre tronc toujours en croissance vient s’enrichir d’une strate fraîche qui fait lien vers la totalité de l’arbre – multiples rhizomes – que nous formions déjà. Somme d’instants anciens, familiers, prêts à se réactiver à tout moment. Gisement de ressources liées à notre récit personnel, unique en son genre, inscrit dans ce que nous ne cessons d’être. Une continuité en mutation. L’apprentissage appelle la transmission, comme sous le matin qui blêmit la rosée s’attarde. Que faire d’un magot dormant ? D’un pactole froid ou d’un astre éteint ? Alors que le plaisir de savoir se dédouble, se redouble à l’infini d’un délice qui dure, s’étale, prend ses aises. La connaissance nous a transformés. Et voici que l’élève appliqué mute en professeur curieux. L’acte d’apprendre vient de trouver sa seconde vie : enseigner. Est-ce une autre histoire ? Ou la même qui lui ressemblerait comme une sœur ? De quel bois sommes-nous faits ? Notre personnalité se révèle ici en compagne accueillante qui sous-tend, anime et ravive nos apprentissages. Elle est ce lieu précieux d’une rencontre à explorer entre ce que je sais et qui je suis…
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