Comment déserter proprement une vie qui vous est totalement étrangère ?... Le premier lièvre venu fera l’affaire ! Vatanen, journaliste fatigué, blasé, malheureux, accablé par la vie, approche de la quarantaine et se sent bien loin des espoirs qu’il a nourris dans sa jeunesse. Marié, trompé, déçu, il endure un ulcère à l’estomac et bien d’autres soucis quotidiens.
Dans ces conditions, Paasilina nous souffle qu’un bon coup de patte du destin s’impose. Celui-ci prend les allures d’un lièvre blanc perdu sur une route forestière de Finlande, un soir d’été. Et lorsque le petit animal saute en l’air sur le capot de sa voiture, Vatanen n’imagine pas encore qu’il a ce pouvoir magique de transformer sa vie … Tenant sa future mascotte dans ses bras, Kaarlo Vatanen s’enfonce dans la forêt profonde …
« Un homme n’ pas le droit de disparaître comme ça ! », a beau clamer la femme de l’intéressé, cela ne changera rien à l’affaire. Vatanen est ravi de fuir et d’oublier un appartement aussi hétéroclite que le ménage qu’il forme avec sa femme, ou que son emploi dans un magazine par lequel il ne se sent plus concerné. Une soif de liberté totale embrase soudainement notre homme, aiguise son instinct, le laissant exprimer son souhait définitif au dos d’un billet laconique laissé bien en vue dans un hôtel de passage, à l’intention de ses proches : « Fichez-moi la paix. »
Et voilà « l’homme au lièvre » parti sans laisser d’adresse dans les forêts profondes qui peuplent la Finlande jusqu’au Cercle Arctique. De grange en cabane, son aventure est ponctuée par les soins à apporter au cher lièvre qu’il installe sans hésiter à ses côtés, sur une chaise, sur une table pour déguster une salade à même le saladier, ou sur le comptoir vitré d’un guichet de banque.
La suite s’annonce plus sauvage et pleine d’imprévus burlesques de toutes sortes. Ainsi apprend-il que la loi lui interdit d’adopter un animal d’une espèce protégée. Un garde-chasse croisé par le fuyard fournit à celui-ci une autorisation officielle complétée par des conseils précis portant sur les herbes préférées du rongeur (conseils assortis de croquis artistiques exécutés par le garde-chasse artiste). Un chauffeur de taxi aux tendances écologistes aide à la cueillette des fleurs.
Hélas, tout le monde n’est pas aussi bien disposé à l’égard de l’animal favori : Vatanen passe pour un fou auprès de paisibles habitants d’un village, et finit par se faire embarquer par des policiers benêts … presque heureux d’avoir enfin de la compagnie. Mais on va jusqu’à porter plainte contre l’écologiste de passage pour … trouble à l’ordre public !... lui qui « ne va nulle part et se promène simplement avec son lièvre… »
« Le levraut suit tranquillement l’interrogatoire », avec l’assurance de ne pas aboutir en cellule, « un endroit trop malsain pour un animal aussi fragile ! » aux dires mêmes des policiers. Et quand l’un des jeunes agents propose de prendre l’animal chez lui pour la nuit, Vatanen lui réclame tout de go une formation qui l’autorise à soigner les rongeurs sauvages ! On laisse le lièvre gambader librement sur le plancher du commissariat.
Enfin libéré, l'animal prend goût à la vie lacustre, grandit, grossit et se fortifie. Jusqu’à ce qu’un gigantesque incendie de forêt ne chasse toute la faune du secteur. Vatanen se dit que décidément la vie est pleine de surprises : « Plutôt mille fois ici qu’à Helsinki ! », sourit-il à travers ses larmes. Et l’on peut voir le touchant tableau de Vatanen marchant à travers bois, un veau sur l’épaule, suivi d’une vache « pensive », et du lièvre qui gambade en queue de procession. Tableau touchant et baroque, aux parfums écologiques troublants.
Pénétrant dans une petite église de campagne, le lièvre est poursuivi par un pasteur armé d’un pistolet et qui tire au jugé. Malchance et disgrâce, le saint homme ne parvient qu’à … se tirer une balle dans le pied ! Vatanen est ensuite embauché pour des travaux forestiers. Il croise un vieux bûcheron lapon à qui il enseigne … à nager. Puis, perdu dans la forêt, il fait la conversation à son lièvre qui l’écoute religieusement, mais … sans rien comprendre ! Il doit enfin se défendre contre un énorme corbeau noir qui dévalise ses vivres, l’abreuvant d’injures.
(...) Le lièvre de Vatanen finit par partager tout naturellement le repas des autres héros de la partie de chasse. Mais Vatanen ne peut résister à la tentation de boire un bon coup après six mois d’abstinence et se retrouve, après dégrisement, … fiancé à une belle jeune femme. Le lièvre, lui, a disparu. Leila, l’heureuse élue, n’en a cure et souhaite que Vatanen quitte la Laponie pour revenir enfin vers la civilisation. Cruel dilemme pour Vatanen qui n’arrive pas à se décider !... et n’évite pas une dernière foucade. Franchissant la frontière russo-finlandaise, il est capturé par les Soviétiques ; lui et son lièvre y resteront détenus deux mois.
La Finlande demande son extradition dans un document où sont consignés, à l’encontre de Vatanen, pas moins de … vingt deux chefs d’accusation, allant de la violation du pacte conjugal au franchissement de frontière sans passeport, en passant par le vagabondage et la pêche sans permis. Vatanen se retrouve en fourgon cellulaire avec son lièvre. Le lecteur garde cette dernière image du fuyard écologiste, dans sa cellule, caressant son lièvre avec la tendresse d’une mère … avant de s’évader une dernière fois pour tenter de se faire oublier !...
Vatanen, le roi de la poudre d’escampette, est un homme définitivement libre et heureux !
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