vendredi 1 octobre 2010

LE " DEUXIEME SOUFFLE " : L'AME SCULPTEE AU NOIR ET BLANC


Une poignée de main, une accolade, un regard figé. Le silence et la peur. Melville filme l'attente ... en 150 minutes. Le vide en Noir et Blanc. Une histoire d'hommes, de truands en route vers leur destin, un destin de mort comme seuls savent s'en forger vraiment les gangsters de film noir. Chaque geste mène à l'inévitable, à l'irréparable, à l'inéluctable.

Aux ténèbres éternellement surgissantes répondent comme en écho les éclairs de sagesse dont l'homme est capable. Le hors-la-loi se révèle parfois doté d'une conscience, d'une morale en acier trempé. Bien loin du minuscule voleur à la tire ou des minables chapardeurs d'héritages familiaux en col blanc : serait-on à l'image des délits que l'on mérite ?... Le Fatum antique a la beauté glaciale d'un diamant noir. Et l'action s'étire tout en langueur, en mélancolie, qui cisèlent une épure visuelle et narrative. Froideur et sobriété pour un théâtre d'ombres.

Et puis, au mitan de l'oeuvre, au coeur de l'acte meurtrier qui s'annonce, on retient son souffle ...
(son "Premier souffle" en somme ...) pour quelques instants d'apnée : 4 secondes de " climax " (comme un instant d'éternité) font s'égarer la caméra du cinéaste plongeant au sol sur un groupe de fourmis s'agitant en tous sens. Plan-métaphore parfait des turbulences et agissements intérieurs qui actionnent malgré eux ces pantins en perdition, au sort tragique figé d'avance. Mécanique implacablement réglée par Melville qui élève là le cinéma de série noire au rang de la tragédie moderne où l'homme joue " à qui perd gagne ". L'âme s'y sculpte imperturbablement aux couleurs primaires les plus archaïques : le noir et le blanc, le bien et le mal. Le grand Shakespeare n'aurait pas renié !...

Et notre propre fascination de s'attarder aussi : la figure forte du héros de Melville, fidèle à ses principes et solidaire jusqu'à la mort, ne nous souffle-t-elle pas une subite inversion des valeurs dans un monde qui marcherait sur la tête ?... Non, Melville prévient : il ne prétend nullement assimiler la " morale " de son héros à la Morale universelle. Et l'accroche du film nous donne la clé de sa fable :
" A sa naissance, il n'est donné à l'homme qu'un seul droit : le choix de sa mort. Mais si ce choix est commandé par le dégoût de sa vie, alors son existence d'homme n'aura été que pure dérision ".

Au loin, déjà en gestation, se profile le théâtre glacé de l' " Armée des Ombres ".

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