vendredi 24 décembre 2010

DE LA QUETE HUMAINE A LA QUETE LITTERAIRE : BALZAC ET LA " RECHERCHE DE L'ABSOLU "


Alchimie et spiritualité : subtil cousinage de deux mondes à la poursuite d'une pureté introuvable. Et Dieu en grand absent, que supplée l'Absolu. Balthazar Claes, famille bourgeoise flamande, traque l'inaccessible étoile de ses rêves les plus fous : décomposer le carbone pour fabriquer le diamant le plus pur.

Mais décomposer, est-ce créer ?... Une question qui s'applique conjointement à la création littéraire. Métaphore féconde pour Balzac qui parvient à clore sa nouvelle alors que Balthazar n'atteint son propre graal qu'au moment suprême de sa disparition.

Le grand romancier du XIXè a toujours manifesté de l'empathie pour les personnages supérieurs, grands incompris, symboles de l'imagerie romantique. Une vraie leçon métaphysique se profile derrière ces textes du désir qui brûle les âmes comme les corps : " La gloire est le soleil des morts ".

Joséphine Claes, l'épouse de Balthazar, femme laide, d'une "laideur belle" (oxymore balzacien), a certes la beauté du dévouement, de l'intelligence, de la sympathie. Mais que peut-elle contre une rivale comme la science ?... Elle se voit réduite à faire le malheur de son mari en le gâtant.

Comme dans le "Chef d'oeuvre inconnu" (1831), Balzac rend hommage à la peinture pensée dans le récit. La matière picturale nourrit la narration d'une "tiédeur flamande" sur laquelle se déploie la passion du chercheur d'or (autre oxymore). Ombres et lumières, la maison Claes est dépeinte à la manière d'un Vermeer. Hommage à toute la culture hollandaise : le paradigme de la peinture offre au romancier une zone de neutralité où peut se dérouler le temps étiré - près de trente ans - de la quête, de la suspension, et finalement d'une utopie qui s'avoue torturée.

Peu à peu, Balthazar s'écroule, se consume, s'éteint, à l'image du temps qui s'enfuit. Exclu de partout et par tous, il entraîne sa famille dans la ruine. Et c'est l'art lui-même qui est sacrifié à sa passion : les plus grands tableaux de la famille sont vendus au nom de la flamme dévorante.

Alors que le vieux peintre Frenhofer du " Chef d'oeuvre inconnu " se livrait à une dissection frénétique de la vie, Claes, à l'inverse, matérialise, "chimise" les sentiments dans une fiction moderne du "Savant fou". Entre Prométhée, Faust et Franckenstein, Balzac fait passer l'homme occidental du défi religieux au défi scientifique. En fugueur accompli du monde et du présent, le savant monomane est ressenti comme inquiétant ou sympathique, c'est selon, de par son décalage, sa distraction infrangibles. Balthazar Claes en génie incompris : l'ambiguïté est bien au coeur de la fiction balzacienne.

Aussi la victoire tant désirée coïncide-t-elle avec la défaite ultime. Les plus belles réussites de l'écrivain Balzac sont d'abord les récits de l'échec d'une quête. Mais un échec qui ne se noie pas dans le pessimisme : on reste toujours dans une dynamique. En nous soufflant que la vérité n'existe pas, le romancier n'est jamais là où on l'attend.
" Entre la toise du Savant et le vertige du Fou, écrit-il, se dessine l'espace fascinant et risqué de tous les possibles, existentiels et poétiques ".

vendredi 10 décembre 2010

" ALBERTINE DISPARUE " : LE DESIR INCARNE CHEZ PROUST


" A la recherche du temps perdu " : le plus grand livre de tout le Temps. Chaque figure y a son " épiphanie " et vient nourrir les liens subtils entre le narrateur et l'auteur, dans un jeu à trois toujours renouvelé. Il en va ainsi lorsqu'Albertine et le narrateur semblent partager un moment de bonheur propre aux amants. Albertine, personnage flottant, énigmatique, s'incarne lentement, dans le flux du temps. Cette fille-caméléon, rencontrée à Balbec, laisse entendre une voix enrouée, quasi-crapuleuse. Quelques goulées de cidre suffisent à réveiller chez elle l'intensité d'une jouissance, privilège du plaisir féminin. Un plaisir qui n'est pas synonyme de possession. Albertine ronronne, telle une petite chatte sournoise. Elle se sert du désir de l'autre, stratégie toute féminine.

La possession s'incarne au moment où le désir succombe. L'amour, tel une cause perdue, se trouve dans l'impasse s'il se limite à la jouissance. Est-on dans la transe amoureuse?... La passion est toujours suscitée par le désir, le désir par le manque et le manque par l'angoisse. L'amour comme attente et souffrance peuple la " Recherche " de Proust.

Ce qui fascine le narrateur - et au-delà l'écrivain lui-même - c'est le corps d'Albertine flottant dans une jouissance inaccessible à l'homme. En toile de fond, c'est aussi Proust parlant de son oeuvre comme de son enfant. Une oeuvre qu'il entend posséder et pour laquelle il éprouve les affres de la parturition. Albertine, éveillée ou endormie, demeure pour lui une énigme qui s'ouvre sur l'infini, semblable en cela à l'oeuvre d'art, aux mystères du stradivarius. Proust élève ici la création littéraire au rang d'un sommet d'étrangeté, de poésie.

La distance est énorme qui sépare le narrateur de l'objet qu'il rêve de posséder. Croisant les jeunes filles en fleurs dans la campagne normande, il ressent le besoin intime de devenir pour elles inoubliable. Posséder, c'est ici obséder, capter l'attention. Il s'agit de hanter les coeurs, de pénétrer les âmes pour participer secrètement à ces vies inconnues. La possession psychologique se fait le succédané de l'amour physique.

Albertine se détache peu à peu dans l'esprit du narrateur. Ses yeux bleus figurent pour lui la mer qui se retire et se voile, son souffle le balancement de la houle. Elle se fait tout entière croisière sur l'infini. Albertine est cette naïade, déesse de l'élément fluide. Elle ne désire pas, elle jouit. Elle est béatitude dans la sensualité, à la manière du corps de la mère pour l'enfant. Devant le narrateur toujours frustré, la belle incarne le mystère d'une volupté parfaite, la totalité d'une jouissance d'elle-même.

Le sommeil d'Albertine a la douceur d'une caresse, celle de l'océan, matrice de toute vie. Spectateur figé, extatique, le narrateur imagine que le kimono posé de la belle abrite sans doute les lettres de ses amant(e)s. Il a peut-être là, à portée, les réponses à sa jalousie. Il se lève, tenté, mais renonce à fouiller. Car Albertine est principe de plaisir et de jalousie. Chez Proust, la jalousie est cause de l'amour et non l'inverse : comme un jeu subtil auquel le narrateur se livre avec lui-même pour se rassurer et finalement se réjouir de n'avoir pas ... à craindre.

Le jaloux et l'artiste semblent partager là ce même refus de la vérité. Le narrateur traite Albertine, animal jouissant, comme une oeuvre d'art. Il aime sa jalousie comme Proust vit son oeuvre : dans les affres de la vocation.

La chair lisse de la joue d'Albertine incarne le mystère de la chair vivante. La belle fugitive est une turbulence sur le fleuve du temps. Algue, nénuphar, elle est ce mollusque cérébral qui sécrète du romanesque. Le mystère-même encrypté dans l'acte de création.

Proust en aquarelliste pénétrant des passions à l'oeuvre.


mercredi 1 décembre 2010

DANIEL ARASSE : UN NARRATEUR DANS LE CHANT DES TOILES


Comme la littérature, le cinéma ou le théâtre, la peinture a ses grands narrateurs. Daniel Arasse est un de ceux-là. " Le savoir transcendé par la culture affective est intransmissible ", écrivait Roland Barthes. Daniel Arasse décrit la peinture comme cet art fascinant " dont on ne peut pas expliquer pourquoi il touche ", ni pourquoi l'oeuvre vous " appelle ".

Citant Delacroix touché par la " silencieuse puissance de la peinture ", Arasse précise avec justesse que si d'ordinaire on pense avec des mots, une peinture, elle, pense de façon " non verbale ". Ainsi, questionnant " Le Verrou " lumineux et libertin (1770/1778) de Fragonard, le narrateur montre que la moitié gauche du tableau n'est occupée par ... rien. Et ce rien, fait uniquement de plis, de draps, de froissures, se devine comme l'après de ce que raconte la toile. Que le peintre se veuille le maître inspiré d'un projet en forme d'énigme et l'oeuvre fait sens.

Puis, devant l'esquisse pour " La Danse " de Matisse, c'est le bleu, ce bleu-là, une tonalité inventée par Matisse, qui touche Arasse. Bouleversé, il raconte avoir quitté le musée au bord des larmes... avant de découvrir que dans cette qualité de bleu se cache du rouge, et que c'est ce rouge qui, depuis le bleu apparent, l'appelle. Surprise, le choc visuel est ici coloriste.

Les couches de sens, l'accumulation des réflexions, des méditations du peintre confiées à la toile, se dévoilent à qui sait s'y arrêter. La peinture, en soulevant des pans successifs de sens, à l'image des couches superposées de la matière, faît naître peu à peu l'intimité qui y était scellée. Emotion choc devant le coloris, devant la densité de pensée confiée à la peinture. Arasse confie sa modestie face à ce " tonneau des Danaïdes " : à travers les matières, les formes, il y a " quelque chose qui pense " et " je n'ai que des mots pour en rendre compte ".

Ce qui bouleverse l'amateur, devant " La Madone Sixtine " de Raphaël, c'est la présence des deux petits anges situés en bas du tableau. Arasse les voit comme la figuration chrétienne des chérubins gardant les voiles du Temple dans la religion juive. Le dieu s'est rendu visible avant de mourir, et cette tragédie adulte est confiée à des visages d'enfants. " La Madone Sixtine " se "lève" pour le spectateur dans la puissance extraordinaire de ce symbole.

Quant au sourire éphémère et énigmatique de " La Joconde " de Léonard de Vinci, Arasse y détecte comme la transition du chaos intemporel du paysage au temps fugitif et présent de la grâce. Ce qui le fascine, c'est ce qui relie profondément la figure du modèle au paysage de l'arrière-plan. Ce sourire symbolise d'abord pour Léonard le portrait de la femme fertile et rappelle l'attirance et la peur de l'artiste à l'égard du corps féminin. Les yeux, perpendiculaires au plan de la scène, nous regardent directement, où que nous nous trouvions par rapport au portrait. Depuis le bas du tableau jusqu'au regard s'inscrit une torsion de la silhouette qui fait qu'elle nous fixe.

Et puis qu'en est-il de ce paysage qui se découpe en toile de fond, de chaque côté du visage du modèle ?... C'est bien la Toscane qui nous apparaît, dans sa topographie immémoriale, intemporelle, issue de la réflexion cartographique et géologique du savant Léonard. Une rivière relie le lac Trasimène au Val d'Arno, comme le sourire de la Joconde joint les deux parties de ce paysage des origines. L'artiste écrit lui-même de sa toile et du pont sur l'Arno que c'est le symbole du temps qui passe. Tableau dense, sobre, du Temps qui ne cesse de renvoyer le regard ... au regard.

Toile-miroir de la joie secrète et de l'intemporalité qui se fige.

mardi 23 novembre 2010

BAUDELAIRE, SUR LES CRETES DE L'IMAGINAIRE


" Quand la pluie étalant ses immenses traînées
D'une vaste prison imite les barreaux

Et qu'un peuple muet d'infâmes araignées

Vient tendre ses filets au fond de nos cerveaux "
(Spleen )

Comment capter, volatile et précieuse, cette " reine des facultés " qui redonne à l'homme le sens des sons, des couleurs et des parfums ? Le poète tente l'impossible en deux postulations simultanées : l'homme physique et l'homme spirituel.

Baudelaire dit percevoir la réalité dans toute son intensité. "Je préfère les monstres de ma fantaisie à la trivialité positive." C'est bien l'imagination créatrice que le poète défend au nom de la vérité. La poésie est ce qu'il y a de plus réel. Saisir l'éternité dans le transitoire, c'est aussi s'inpirer de la laideur elle-même, ou, pour l'énoncer autrement, faire de la beauté avec ce qui "se trouve" laid.

Passionné d'images depuis l'enfance, Charles ne se fait iconoclaste que pour mieux dénoncer les limites de la fantaisie. Partant du Naturalisme propre à son temps, le poète en vient à vanter le Sur-Naturalisme ( Edgar Poe l'esprit-frère, Nerval ... ), laissant pointer déjà le Surréalisme des " Parfums exotiques " de Breton. En peintre de la vie moderne, Charles essaime ses strophes dans les arcanes de la ville et de l'enfance. Il en creuse les fantasmagories imprévisibles, remontant à la source d'une perception enfantine, ingénue. Le poète se met en demeure de réinventer la beauté, exhumant de l'enfance le génie retrouvé.

" Du temps que la Nature en sa verve puissante
Concevait chaque jour des enfants monstrueux
J'eusse aimé vivre auprès d'une jeune géante
Comme aux pieds d'une reine un chat voluptueux "
( La Géante )

Gonflant comme une immense houle, le flot mouvant de la foule vient nourrir les jeux de l'imaginaire : " La rue assourdissante autour de moi hurlait ... " Jouir de la foule est un art. Agoraphobe, le poète veut de ce théâtre restituer l'esthétique. Passion des images, " primitive passion ", l'imaginaire transporte nos sens dans l'intensité : s'élever sans fuir, échapper à l'oubli quotidien du réel, recouvrer la pleine conscience de l'enfant toujours ivre. L'enfance, ce génie retrouvé : une petite vieille y a les yeux divins d'une petite fille. " Mais le vert paradis des amours enfantines... "

Sous les airs d'une nostalgie qui s'oublie, Baudelaire donne au regret la forme d'une présence : "Je sais l'art d'évoquer des minutes heureuses ". Et l'imagination se fait tendre et funeste, évoquant une pulsation sépulcrale :

" Loin d'eux. Voir se pencher les défuntes Années
Sur les balcons du ciel en robes surannées
Surgir du fond des eaux le Regret souriant " ( Recueillement )

La douleur en noblesse singulière.


mercredi 10 novembre 2010

L'ENFANT SARTRE ET LA MAGIE DES MOTS


" Les livres ont été mes oiseaux et mes nids, mes bêtes domestiques, mon étable et ma campagne... " Le petit Sartre vit ses neuf ans à la veille de 1914, en enfant-roi. Il avoue sans ambages : " Je naquis pour combler le grand besoin que j'avais de moi-même ", avant de se découvrir solitaire et envieux devant les jeux des enfants sur les terrasses des jardins du Luxembourg, en " gringalet qui n'intéressait personne ".

Manifestement privé d'un sur-moi scolaire, le jeune Sartre put s'appuyer sur un vrai grand-père, à défaut d'un père tôt disparu ("... par chance, il est mort en bas-âge ..."). Un aïeul doté d'une vraie tendresse qui lui transmit l'outil symbolique du langage : Sartre s'en souvient dans "Les Mots", livre-magie et livre-tombeau, à la force et à l'ambivalence insolites. A l'aube de ses vagabondages dans la bibliothèque grand-paternelle, voilà le jeune Jean-Paul lancé dans d'incroyables aventures comme en une caverne d'Ali Baba, grimpant sur les chaises, sur les tables, au risque de provoquer des avalanches. Il y fait d'horribles rencontres sous la forme de planches en couleurs avec insectes hideux et grouillants. Mais il y découvre aussi Aristophane et Rabelais. Il se glisse avec délices sous la peau de La Pérouse, Magellan, Vasco de Gama. " Hommes et bêtes étaient là en personne " : l'enfant-Sartre recueille patiemment l' "humus de sa mémoire ".
"C'est dans les livres que j'ai rencontré l'univers : assimilé, classé, étiqueté, pensé ... Platonicien par état, j'allais du savoir à son objet."

A sept ans, Jean-Paul accède à la réalité du monde par la découverte de sa laideur. Trouvant à la fois l'insurpassable et le surpassable dans cette apparence disgracieuse, il se donne un corps de gloire à travers l'écriture : soumis au rite du passage, de la virilisation, le prince se fait crapaud. Mais qu'importe, puisqu'à la manière de l'homme-livre d'Arcimboldo ( " Le Bibliothécaire " ), Sartre se décrit devenant livre. Transfiguré par l'écriture, il se mue en un grand fétiche maniable et terrible :
" On me lit, je n'existe plus nulle part, je suis partout. "


Le style confident des " Mots " transmet les bondissements de l'enfant au rythme de leur énergie jaillissante. Orphelin de père, fils de personne, Jean-Paul est " sa propre cause, comble d'orgueil et comble de misère. " " Tout se passa dans ma tête; enfant imaginaire, je me défendis par l'imagination. "

A rebours de ses origines, Sartre lutte contre l'inculqué en soi. Comme son frère ennemi Flaubert qui a souffert de ses contradictions et fui dans la littérature, l'intellectuel médite sans fin sur les ambiguïtés du monde. Son voeu : être la matière et n'être que du vent. Spinoza et Stendhal. Antimoderne, désenchanté, il appelle à lire ses textes comme une émeute, comme une famine. Avouant que " sa folie l'a protégé contre l'élite ", Sartre ne peut s'empêcher de voir dans le talent " ce qui sépare des autres, un crime contre les autres ". L'aristocrate-écrivain vit une liberté qui doit s'arracher en permanence : le pôle tendre et le pôle acide créent la tension propre aux " Mots ", trace vivace de l'écrivain à la tâche.

Sartre admet sans peine que ses livres sentent " la sueur et la peine ". Une ardeur ancrée dans le plaisir incomparable de l'enfant prenant " les choses vivantes au piège des phrases ". Et s'adressant à son tour au lecteur en l'autre, l'écrivain éprouve et nous partage ce pouvoir enivrant de dresser " des cathédrales de paroles sous l'oeil bleu du mot ciel... "

lundi 1 novembre 2010

" L'HOMME QUI RIT " : ENTRE SPECTRE ET FIRMAMENT, HUGO LE VISIONNAIRE


1690. Qui est cet enfant en haillons, sans visage, abandonné sur une plage de la Manche comme au bord d'un Styx abyssal ?... Bouche ouverte jusqu'aux oreilles en un rictus muet, narines dilatées, cheveux en crinière sauvage. C'est par ce spectre que l'on aborde le roman, c'est aussi par l'image du spectre que l'enfant Gwynplaine rentre dans la vie, par ce rire pétrifié à jamais, sculpté sur son visage. Face-mutilation, face-défiguration. Le visage comme organe du chaos. Eclat de rire muet, fixe et pierreux, foudroyant. Signe annonciateur de la mort, avant de se révéler machine à affirmer la vie.

Hugo met là en scène le " Chaos vaincu ". Drame pourtant injouable tant le spectacle est selon lui obscène. Mais Gwynplaine triomphe de la mort : le rire fixe engendre bientôt le rire vivant, anticipation du rire de Bergson en 1900 : " de la mécanique plaquée sur du vivant ".

L'enfant est livré seul à la nuit, à la neige et à la mort. Gwynplaine, dix ans, hideuse face, sauve la petite Déa. L'enfant perdu portant l'enfant trouvé. Déa, aveugle, sait percevoir l'âme, diaphane, et converse avec les dieux. Elle est Isis, déesse ambiguë de la mort et de la vie. Déa, bergère sublime d'un ciel étoilé qui s'affirme à rebours de la vieille lueur monarchiste, monothéiste, d'un temps qui chancelle. Contre le grotesque en perdition, un nouveau divin.

Enfin, Hugo a rendez-vous avec lui-même, comme Gwynplaine avec un gibet lugubre qui s'agite au vent. L'immobilité de la mort se met soudain à vivre. Derrière l'instrument des ténèbres où combattent la mort et la nuit, se profile une gigantesque main en train d'écrire. Le gibet laboratoire de l'écriture ! Formidable allégorie hugolienne : ce corps noir et informe, attaqué par une meute de corbeaux, c'est l'écriture en train de se décrire elle-même, de s'entendre crisser "dans un va et vient farouche". La plume trempe et gratte comme le spectre prend sa substance, dans l'encrier, réceptacle des larmes et du sang des hommes.

L'homme selon Hugo est un mutilé, comme le genre humain dont on a déformé le droit, la justice, la vérité, la raison, l'intelligence. L' "Homme qui rit" est la figure forte de ce peuple passif qui a choisi de s'esclaffer et de se soumettre. En spectrographe visionnaire de l'Histoire, Hugo mobilise le passé pour écrire avec tous ses chers disparus. Dans cet ultime ouvrage de son exil qui s'achève (1869), le mythe hugolien est plus que jamais à l'oeuvre.

lundi 11 octobre 2010

RACONTONS LA MUSIQUE : CA VA JAZZER (5)


A  SUIVRE ...


DES INTERPRETES D'ANTHOLOGIE              Coleman Hawkins (dit "le Faucon"), Chet Baker, Dave Holland, Bill Evans, Lionel Hampton, Sarah Vaghan, Sonny Rollins, Charlie Mingus, Stan Getz, Dave Brubeck, Herbie Hancock, Enrico Rava, Art Tatum, Wes Montgomery ...





DES PIECES D'ANTHOLOGIE             In the mood, Undecided, Lover man, Epistrophy, Meditation, Off minor, April in Paris, I get happy, Naïma, September song, Equinox, Moonlight serenade, Tenderly,
The man I love, Smoke get in your eyes, Lullaby of Birdland, Nuages ...  


             ... POUR UNE MUSIQUE D'ANTHOLOGIE

vendredi 1 octobre 2010

LE " DEUXIEME SOUFFLE " : L'AME SCULPTEE AU NOIR ET BLANC


Une poignée de main, une accolade, un regard figé. Le silence et la peur. Melville filme l'attente ... en 150 minutes. Le vide en Noir et Blanc. Une histoire d'hommes, de truands en route vers leur destin, un destin de mort comme seuls savent s'en forger vraiment les gangsters de film noir. Chaque geste mène à l'inévitable, à l'irréparable, à l'inéluctable.

Aux ténèbres éternellement surgissantes répondent comme en écho les éclairs de sagesse dont l'homme est capable. Le hors-la-loi se révèle parfois doté d'une conscience, d'une morale en acier trempé. Bien loin du minuscule voleur à la tire ou des minables chapardeurs d'héritages familiaux en col blanc : serait-on à l'image des délits que l'on mérite ?... Le Fatum antique a la beauté glaciale d'un diamant noir. Et l'action s'étire tout en langueur, en mélancolie, qui cisèlent une épure visuelle et narrative. Froideur et sobriété pour un théâtre d'ombres.

Et puis, au mitan de l'oeuvre, au coeur de l'acte meurtrier qui s'annonce, on retient son souffle ...
(son "Premier souffle" en somme ...) pour quelques instants d'apnée : 4 secondes de " climax " (comme un instant d'éternité) font s'égarer la caméra du cinéaste plongeant au sol sur un groupe de fourmis s'agitant en tous sens. Plan-métaphore parfait des turbulences et agissements intérieurs qui actionnent malgré eux ces pantins en perdition, au sort tragique figé d'avance. Mécanique implacablement réglée par Melville qui élève là le cinéma de série noire au rang de la tragédie moderne où l'homme joue " à qui perd gagne ". L'âme s'y sculpte imperturbablement aux couleurs primaires les plus archaïques : le noir et le blanc, le bien et le mal. Le grand Shakespeare n'aurait pas renié !...

Et notre propre fascination de s'attarder aussi : la figure forte du héros de Melville, fidèle à ses principes et solidaire jusqu'à la mort, ne nous souffle-t-elle pas une subite inversion des valeurs dans un monde qui marcherait sur la tête ?... Non, Melville prévient : il ne prétend nullement assimiler la " morale " de son héros à la Morale universelle. Et l'accroche du film nous donne la clé de sa fable :
" A sa naissance, il n'est donné à l'homme qu'un seul droit : le choix de sa mort. Mais si ce choix est commandé par le dégoût de sa vie, alors son existence d'homme n'aura été que pure dérision ".

Au loin, déjà en gestation, se profile le théâtre glacé de l' " Armée des Ombres ".

LE DEUXIEME SOUFFLE : L'AME SCULPTEE AU NOIR ET BLANC

Une poignée de main, une accolade, un regard figé. Le silence et la peur. Melville filme l'attente ... en 150 minutes, le vide en noir et blanc. Une histoire d'hommes, de truands en route vers leur destin, un destin de mort comme seuls savent s'en forger vraiment les gangsters de film noir. Chaque geste, chaque plan mène à l'inévitable, à l'irréparable, à l'inéluctable.

Aux ténèbres éternellement surgissantes répondent comme en écho les éclairs de noblesse dont l'homme est capable.Le hors-la-loi se révèle parfois doté d'une conscience, d'une morale en acier trempé. On est bien loin du petit voleur à la tire ou des minables chapardeurs d'héritages familiaux en col blanc. Le Fatum antique a la beauté classique du diamant noir. L'action s'étire tout en langueur, en mélancolie qui cisèlent une épure visuelle et narrative. Sobriété et froideur pour un théâtre d'ombres.

Et puis, au mitan précis de la mécanique du conte, au coeur de l'acte meurtrier qui s'annonce, on retient son souffle pour quelques instants d'apnée : 4 secondes de " climax " font s'attarder la caméra du cinéaste qui plonge au sol sur un groupe de fourmis s'agitant en tout sens. Plan-métaphore parfait des turbulences et agissements intérieurs qui actionnent malgré eux ces pantins en perdition au sort tragique figé d'avance. MMM

mercredi 22 septembre 2010

LA SEMPITERNELLE BAGUENAUDE D'UBU-PAPE


En VRP machinal d'un message depuis longtemps inaudible, l'autocrate proclamé promène sa suffisance falote. Lourdement engoncé dans un apparat rituel grotesque, Il va d'une démarche pesante, dont Il soigne l'automatisme ancestral, souriant benoîtement à une foule en état d'extase infantile. Au jeu cruel des homonymies, le Pontife "poncifie". Cela suffit au bien-fondé de son apparition.

Brandissant mollement une crosse clinquante, vestige armé des mille épées qui dictèrent un culte bimillénaire à des populations effarées, Il offre à la foule le visage poupin, débonnaire, des potentats ordinaires : il lui suffit d'y croire pour y être.

Oubliant que le Salut "affaire d'institutions collectives" a vécu, ce monarque sans âge semble considérer la foule alentour comme son hochet éternellement bienveillant. Celle-ci, juste retour, acclame et s'incline, institue et statufie. Roi et sujets, bourreau et victimes indéfiniment s'accouplent par ce rite insane ancré dans un autisme au-delà de tout entendement. Autoproclamé à vie " Maître du culte du secret " et de ses autodafés conséquents, Il se veut et s'affiche résolument au-dessus des lois civiles ordinaires. Peut-il être un instant question de relever de la justice des hommes dès lors que l'on se veut en prise directe avec les forces occultes du Ciel ?!... Le Dieu qu'il a créé de toutes pièces répond bien évidemment de Lui !...

Maniant les augures avec l'obscénité suave propre au souverain Bien, Il en déduit pour son propre compte une légitimité éternelle et sans faille. On l'informe de quelque scandale en cours ?... Il en appelle à l'impunité céleste. On lui parle autonomie, conscience, souffle vital ?... Il répond dogme, autorité, docilité aveugle. On lui oppose raison, réflexion, philosophie ? Il clame assistanat, dépendance. On lui dit morale, Il répond religion. Sa Genèse a proclamé l'Homme souverain aveugle de la Nature, Il énonce son culte maître de l'Homme.

Et lorsqu'il daigne délivrer sa parole mimétique à une assemblée soudoyée jusqu'à l'anesthésie, le son comme le sens s'en sont absentés : Il est devenu lui-même son propre message. Drapé dans une impunité de bon aloi, s'auto-amnistiant d'une main qui se veut rassurante, l'autocrate va, précédé de l'armée de ses certitudes et suivi de la morgue de sa haute bienveillance.

mardi 7 septembre 2010

NIETZSCHE OU L'ETERNEL RETOUR


A 120 ans de distance, en visionnaire acéré de l'intime, le philosophe nous livre son " Dernier Homme ", curieuse réplique anticipatrice de notre homme de la rue d'aujourd'hui... Avant de nous confier son chef d'oeuvre " Ainsi parlait Zarathoustra ", épopée initiatique du dépassement de l'homme ... par l'homme.
Alors que notre modernité agonise, la pensée de Nietzsche rayonne, suggère, stimule, métaphorise, explose. Par aphorismes courts, incisifs, ciselés. Pensée toujours dialogale. De soi à soi. De soi à l'autre. Face à la défaite programmée d'un cerveau gauche tyrannique, impuissant, stérile, réducteur, voire falsificateur, force est d'ouvrir les portes : l'image, la métaphore, le symbole, en vecteurs neufs, élèvent les âmes vers le divin. Préfiguration, déjà, des" images-signes " de Levi-Strauss incorporant au sens de l'existence une " épaisseur d'humanité ".

A l'Apollon lisse et ordonné d'une civilisation conforme et policée, Nietzsche oppose le modèle d'un Dionysos nocturne, fougueux, iconoclaste : celui d'une barbarie extatique et créative. Le philosophe récuse Apollon et promet Dionysos. Un Dionysos " Antéchrist ", frère jumeau de Shiva : dieu destructeur... parce que créateur. Créer, n'est-ce pas déconstruire d'abord avant de reconstruire autrement ?... Créer un nouveau " Comment vivre " en régénérant la vie de l'intérieur.

" Volonté de puissance " ?... Volonté " vers la puissance ", plutôt. Tension vers. Désir de. Volonté pour. Appétence dionysiaque, moteur de notre évolution. Incarnation d'une volonté toute neuve, fruit de notre processus cosmique enfin assumé. Souffle de l'Esprit.

Nietzsche est passé par là. En mystique de l'Eternel retour.

mercredi 1 septembre 2010

PRINCIPE FRUGALITE


Réveille-toi Humanité !...
et secoue tes gonds pétrifiés ...

Ose bousculer les idoles qui ont forgé ta soi-disant modernité en te plongeant dans la béatitude somnolente d'un assistanat mortifère : l'Eglise et ses poncifs, l'Etat et sa sécurité, la Science et ses technologies, la Bourse et ses rentes. Les idéologies de tout poil t'ont empoisonnée de slogans enjôleurs et de promesses que l'on sait maintenant intenables.

La modernité avait choisi ses axes. Son projet : le progrès. Son objet : le consommable. Son sujet : l'homme. Ce schéma a atteint ses limites il y a déjà plus de trente ans. Il est aujourd'hui en panne, dans l'impasse : le progrès est un leurre, la consommation un piège et l'homme un barbare. Il est grand temps de mener un bilan sévère : depuis des siècles, on veut croire et nous faire croire que le bonheur viendra de l'extérieur, apporté par les idéologies, les religions, la science ou les richesses.

L'heure de toutes les désillusions a (enfin) sonné et le constat est sans appel : bonheur et joie de vivre ne peuvent venir que de l'intérieur. Il faut donc " retourner nos vies comme on retourne un gant " : l'essentiel vient du dedans de nous, par la réalisation intérieure de tous nos possibles. La réponse au " pour quoi vivre " sera spirituelle ou ne sera pas. Réenchanter notre monde, c'est réactualiser ces quatre piliers d'une sagesse mystique : l'Esprit ( *cosmique ), la Nature, le sacré et la joie.

Il nous faut apprendre à cultiver le terreau de notre intériorité : cultiver l'éveil, la porosité, la reliance avec l'ici et maintenant. Immense retour de chacun sur soi : la joie naît de l'accomplissement de soi. Notre conscience est le seul lieu du monde. Tout est déjà ici, enkysté dans la " graine de soi " propre à chacun. La joie est à l'intérieur, ici et maintenant. La vie est un art où il suffit de rentrer. En acceptant de se baisser un peu et de le faire en modestie, en simplicité. En frugalité.


* On peut lire l'ouvrage pertinent de Marc Halévy, philosophe et prospectiviste : " Principe Frugalité " ( Editions Dangles, mars 2010 )

* Fables, métaphores et mythes nous relient au cosmos dont nous ne sommes qu'une infime mais unique composante. Ces récits multi-millénaires sont des passerelles précieuses entre l'univers et nos espaces intérieurs, nous permettant de remodeler ces derniers, souvent avec pertinence.

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dimanche 29 août 2010


Mon ouvrage " PASSIONS A L'OEUVRE " vous ouvre ses page en librairie (sur commande), EN LIGNE sur http://www.amazon.fr/, sur le site de l'Editeur http://www.praelego.com/ et sur le site http://www.plaisirdelire.fr
Je vous donne aussi rendez-vous sur ce BLOG pour y recueillir un avant-goût du livre et y suivre d'autres écrits à venir ...

vendredi 27 août 2010

SENEQUE ET LA VIE HEUREUSE


" Quoi donc ? la vertu suffirait à vivre heureux ?... " s'interroge Sénèque. Et s'adressant à ceux qui la laissent échapper : " Vous ne possédez pas le plaisir, c'est vous que le plaisir possède ".
Huit siècles d'Ecole stoïcienne - grecque puis romaine - ont forgé l'ascèse ( l'aïskesis grec ), cette idée d'exercice, d'entraînement quotidien à se modifier soi-même, à transformer son existence en vue de " calmer les tempêtes de l'âme ".

Les Stoïciens ( " gens du Portique " ) nous ouvrent la voie où nature et raison conjuguent leurs forces pour nous conduire au souverain bien. Pour Hegel, les Stoïciens sont le nom de la liberté de la conscience de soi quand elle prend conscience d'elle-même. Connaître et apprivoiser cet autre soi-même avec qui l'on vit pour nous rendre artisan de notre propre existence : n'est-ce pas l'objet de toute philosophie ?...

Et Sénèque de poursuivre son dialogue avec Lucilius : "Tu demandes quels progrès j'ai faits ?... J'ai commencé à être l'ami de moi-même." Encore faut-il " éviter ces bienfaits pleins de glu qui, pour notre plus grand malheur, nous trompent par ce leurre : nous croyons les posséder, nous y sommes collés ... " Un appel à résoudre enfin les vestiges toujours vivaces de nos désirs infantiles non résolus, sources d'obscénités sans nom, que nous ne voyons même plus. Appel à la médiation intérieure repris en écho près de vingt siècles plus tard par Bruno Bettelheim dans son " Coeur conscient " , et par toute la psychanalyse moderne à sa suite.

Rude thérapie quotidienne que nous proposent là les Stoïciens !... Mais grandir, n'est-ce pas continuer sans relâche à s'élever coûte que coûte au-dessus des petits arrangements comme des grandes infortunes qui font notre quotidien ?!...
Gens de bien, oui. Parce que nous le valons bien.

jeudi 29 juillet 2010

CONSCIENCE


Assis au bord du monde
l'homme y questionne son appartenance
ses désirs ses illusions
ses fantasmes comme ses possibles errances
Le reconnaît-il comme sien ce monde
quand son regard le croise ?...
Un regard qui crée les choses l'espace le temps
au coeur de ce lieu privilégié
où naît l'altérité
Dans ces égards partagés
ouvrant des voies à tous les vents
Souffle d'or ou souffle de mort
le piège s'ouvre des vertiges de l'avoir
au risque de la fraîcheur de l'être
En vain résonne l'appel clair de la tenue
de la retenue
Rien n'est écrit de ce qui dégénère
ou régénère
Tous les possibles sont en main
comme autant de cartes du destin
Seule compte la flamme frêle de la conscience
et le regard croisé dans ce miroir
où repose ce qui la reconnaît

lundi 19 juillet 2010

CONDAMNES A LA LIBERTE !...


" DESERT ", ultime texte de " NOCES " (1938) ... un écrivain de 26 ans pointe pour nous l'absurde qui n'est " que " l'expérience du silence où nous plonge notre liberté ". Nous sommes bien de ce monde " sans intention " , qui ne nous " regarde " pas, et qu'il nous faut dépouiller de ce que les hommes y déposent. Notre réconciliation avec lui repose sur le seul consentement.

Ainsi Albert CAMUS nous propose-t-il conjointement la joie et l'amertume. A notre image, l'écrivain redonne aux pierres sculptées par l'Homme antique leur existence de pierres sauvages rendues à la Nature. Théologie et Hédonisme sont renvoyés dos à dos : " Croire au Ciel " comme " Aller au septième ciel " reposent sur un même déni de la réalité. Décidément, il ne nous reste qu' à jouir de chaque instant comme si c'était ... le premier.

Etre " hors de soi ", faire la paix pour découvrir notre lien au monde : c'est sans doute cela "entreprendre la géographie d'un certain désert ". Quant à la philosophie, CAMUS nous la révèle utile ... " à rien du tout ", vu qu'elle nous enseigne à reconnaître avec bonheur ce qui n'a pas d'utilité.

L'univers de CAMUS nous laisse à notre liberté de devenir " qui nous sommes " : des hommes qui s'oublient dans le paysage et dont la vie est à elle-même son propre sens. Seule notre présence-absence à l'univers signe la découverte de notre plénitude. CAMUS célèbre "nos noces avec le monde "...

samedi 17 juillet 2010

MEMOIRE AU PRESENT


Un carillon tinte, lointain. Un pan de mur jaune s'expose, énigmatique, au regard. Une petite sonate ressuscite ses notes oubliées... L'écrivain suspend nos durées familières pour penser le temps et l'espace dans une bulle d'éternité.
En nous confiant sa vision des pavés de l'église de Combray qui se fondent en or blond et lumineux comme le miel, Marcel PROUST nous rend à la mémoire éternelle du présent. Le temps se dépouille là de son utilité immédiate et vient ajouter son épaisseur aux trois dimensions de l'espace connu.

La vérité du désir façonne l'espace malléable, redonne chair aux objets perdus, aux plus menus événements que l'on croyait oubliés. Le temps émerge par bouffées pour se faire oeuvre d'art. La distance s'abolit dans ce passage du moment retrouvé. L'éternité prend naissance au sein même de ce temps qui redevient nôtre.

Les vitraux de l'église de Combray se fluidifient sous une lumière mouvante : PROUST vit l'éternité en écrivant. Le rassemblement du temps dans l'unité du présent de l'oeuvre mène au bonheur d'une totalité retrouvée. Se profile alors, tel un Orient désormais accessible, le vaste labyrinthe immobile de l'intériorité.

vendredi 11 juin 2010

L'AIR DE RIEN ...


D'instant en instant, l'air instille ses volutes futiles qui titillent les pores. Chaque molécule respire sans en avoir l'air. Enfin lasse d'avoir à se justifier, toute existence se dissout dans l'anonymat d'impasses salutaires. Baudruche fébrile et pathétique, l'ego épuisé fredonne son ravissement de jouer d'une inutilité qu'il ne sait plus feindre. La lumière même se fait insouciante, joignant à celles de l'air de timides intrusions sous les espaces voilés. Escamotant leurs pans rudes et aveugles, les cloisons ordinaires font vaciller leur matérialité rassurante pour n'être plus que chimères évanouies.
Où sommes-nous alors ?... La sensation hésite et glisse d'un "nous n'y sommes plus" à un "nous n'en sommes plus". Pas d'étrangeté inquiétante dans ce sentiment d'être ailleurs, mais la tranquille évidence d'être enfin chez soi. En passeur de vertus appliqué, le temps nous confie une rareté toute fraîche : "Ne faites rien et voyez !... Plus l'esprit est vide, plus il peut se remplir d'objets sublimes."

Paysage vide, demeure vide, page vide appellent des espaces à créer. En s'incarnant, les âmes de Platon descendent comme des étoiles filantes, traversent les déserts et finissent par atteindre notre monde. Parvenues au Léthé, elles n'en peuvent plus de boire l'eau du fleuve de l'oubli. Réduit à un océan de peu, le vide séduit ces folles prêtes à toutes les repentances pourvu qu'on leur promette une paix durable. Le Rien se presse en foule au funérailles du "Moi Je..." Un voile de légèreté esquisse une ombre claire.

samedi 15 mai 2010

INSPIR ... EXPIR ... FLUX CREATEUR


Telles les images à la surface d'un courant où l'on jette une pierre, les ondes de la rêverie s'estompent infiniment. Un bref instant, le flâneur impénitent se mue en rêveur véloce capturant ses chimères avant qu'elles ne lui glissent entre les fibres...

Les saisissant au vol, il se prend au jeu subtil des intermittences et des esquisses, des inadvertances et des naïvetés. Il se rend attentif aux rimes sonores et visuelles teintées de tonalités aux nuances diaphanes. Les modulations se déclinent en variantes discrètes, distillant un mélange de sensualité et de mélancolie qui confine au sublime : ici et alors s'ouvrent les fenêtres de la pleine conscience.

Saisis par les frôlements fugaces de l'inspir, nous savourons de soyeux instants d'éternité. Notre main, portée par des vagues venues d'un autre monde, se fait nageuse reconnaissante et vient expirer sur la p(l)age vierge et brûlante. Argonautes de l'idéal, nous abordons les terres inconnues de nos commencements...

lundi 26 avril 2010

" HAÏKU " LARME DE TEMPS


Griffure de lumière, boucle gracieuse,
il s'enroule sur lui-même
le haïku

Tableautin ? Poussière de temps ? La Faucheuse n'en a cure et moissonne à tout va les larmes de nos instants filant sous nos paupières. Le temps suspendu vogue et décrète l'absence. L'esprit part en errance, délivré de l' "Empire des signes"(R BARTHES)

Dans le cerisier blanc
murmure puissant
le peuple des abeilles

Le haïku dit la saison, la végétation, la mer, le village, la silhouette ... Evénement bref qui trouve d'un coup sa forme juste, le haïku est sans sujet. Il est ce "pli léger dont est pincée la page de la vie, la soie du langage" dont parle Roland Barthes. "Espace de purs fragments, aventure infinitésimale, il donne à lire la rectitude de la trace, sans sillage, sans marge, sans vibration. Il est le mode graphique d'exister." Cette écriture qui n'écrit rien, ou plutôt écrit le "rien", reproduit "le geste désignateur du petit enfant qui montre du doigt quoi que ce soit en disant : ça ! (rien de spécial)"

Ils tracent leurs signes
les nuages
cheveux ailés du vent

mardi 23 mars 2010

EXPRIMER PARTAGER TRANSMETTRE

De l'écume des livres à l'écume des lèvres
les mots chuchotent badinent musardent
pépient en sarabandes joyeuses
colportent des myriades de récits
les propagent de lecteur en locuteur
Ecrits lectures et bavardages
joignent ici leurs signes
dans un vaste murmure partagé.

vendredi 26 février 2010

UN LIVRE PARAIT : " PASSIONS A L'OEUVRE "


Amis lecteurs
Mon ouvrage vous ouvre ses pages dès maintenant en librairie (sur commande), EN LIGNE sur http://www.amazon.fr/, sur le site de l'Editeur http://www.praelego.com/ et sur le site http://www.plaisirdelire.fr
Je vous donne aussi rendez-vous sur ce BLOG pour y recueillir un avant-goût du livre et y suivre d'autres écrits à venir ... JM Parent

dimanche 24 janvier 2010

GEOGRAPHIES DE NOS ENTREMONDES



Tout homme porte en lui une terre promise dont certains rêves, parfois, lui évoquent la couleur, le parfum, l'essence-même. Une terre où rien ne compte que de vivre, regarder, respirer... Lieu d'un passé sans mémoire, sans généalogie, sans patrie, comme un négatif à nos fantasmes, ou le paysage insolite de notre inconscient.


Explorer les géographies de cet entremonde, c'est accepter de se laisser embarquer dans nos dérives imaginaires, pour aborder enfin aux rives de "cet autre en soi". Plongés malgré nous dans de fades odyssées, nous sommes tels des Ulysse échoués sur la plage de nos paradis perdus, avides de saisir la vérité du chemin parcouru et de pénétrer dans les failles de nos atlas imaginaires. Pour accoster aux confins de notre terre natale. Notre Terra Incognita ...

PASSIONS A L'OEUVRE : 4è de couverture


Ancien journaliste, professeur des Ecoles à Loches (Sud Touraine), Jean-Marie PARENT a fait de l'art et de l'écrit des compagnons familiers. Quand le semblant nous épuise, l'art nous regarde et nous parle. Il sait nous engager au coeur de récits mythiques où la mouvance de nos histoires personnelles trouve parfois un écho fertile. Ainsi l'auteur visite-t-il les oeuvres, tentant d'en découvrir le secret à la fois unique et multiple. Invitant chacun à partager ce geste d'attention et de bienveillance qui "oblige" l'amateur éclairé, il guette l'intemporel moment de bascule vers le climax de l'ouvrage, l'instant magique, intime de la transmission.


Patiente exploration dans "les règles de l'art"... C'est le regard posé du visiteur qui fait renaître l'oeuvre, vierge comme à l'origine face à cet oeil neuf. Car l'oeuvre transcende le temps : elle contient tous les temps, ceux qui ont vu son émergence, comme tous ceux, postérieurs, qui la restituent à notre vigilance émerveillée. Porteuse de l'exigence d'un sens, elle en appelle à l'ouverture des sens, à l'élégance du regard, au déploiement de la pensée.


Alors peut venir le temps de transcrire et de transmettre l'émotion née de son exposition. L'auteur tente de se faire le passeur suggestif de "la passion à l'Oeuvre". S'appuyant sur les nouvelles ressources offertes par la "Toile", le lecteur, à son tour, prendra-t-il le relais ?... Pour le plaisir, intact et toujours renouvelé, de réveiller l'eau qui dort ...

JOIE D'UN PREMIER LIVRE ECRIT


Amis Lecteurs

Vous êtes invités
à une balade insolite
et active
dans les coulisses
de l'Art et du Temps...

Pour le plaisir
de respirer des vents
nouveaux
et buissonniers...

L'auteur JM Parent

Mon livre paraît fin février 2010

(commande sur le site des Editions PRAELEGO.com, ou en librairie)

Courriel : jmparent6@gmail.com

Blog : jmparent6.spotblog.com